Réinventer l'architecture autour des habitants avec Christophe Hutin

Projet Grand Parc, Bordeaux. C.Hutin, A.Lacaton, J-P.Vassal, F.Druot
Projet Grand Parc, Bordeaux. C.Hutin, A.Lacaton, J-P.Vassal, F.Druot

Réinventer l'architecture autour des habitants avec Christophe Hutin

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Réinventer l'architecture autour des habitants avec Christophe Hutin

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Riche d’une expérience dans un township d’Afrique du Sud, l’architecte Christophe Hutin accorde une place centrale à l’habitant dans la conception d’un logement.

"L’architecture ce n’est pas fait pour être regardé, c’est fait pour être habité. L’architecture, sa grande différence, c’est qu’il y a des personnes à l’intérieur qui en font l’usage."  

"Vous remarquerez que vous retrouverez toujours les mêmes figures de bâtiments, les mêmes styles partout en France, alors que nous avons des climats totalement différents. Et on voit bien que les contextes ne sont pas du tout pris en compte en introduction, en architecture. Il n'y a pas de réponse spécifique, il n'y a que des réponses génériques et standards dont les habitants n'ont au final, je pense, pas les bénéfices", introduit Christophe Hutin, architecte et commissaire du pavillon français à la Biennale de Venise 2021. 

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Une architecture avec et pour les habitants, c’est ce que défend Christophe Hutin. Il veut supprimer la frontière entre le concepteur d’un logement et celui qui y habite, et récuse ainsi un fonctionnement classique qui aboutit à des projets de maisons génériques et identiques.   

Les townships de Soweto

Sa réflexion est née en Afrique du Sud, alors qu’il n’est pas encore architecte. On est en 1994 et Christophe Hutin s’implique dans la campagne électorale des premières élections libres en Afrique du Sud. Il loge dans le township (le quartier défavorisé) de Soweto avec des collègues. 

Là-bas, il assiste à des mariages et à un procédé bien particulier : chaque lendemain de noces, les époux récupèrent de la tôle pour construire leur propre maison. 

Quartier défavorisé d'Afrique du Sud
Quartier défavorisé d'Afrique du Sud
© Getty

"J'ai beaucoup appris du contexte sud-africain et des townships en Afrique du Sud. J'ai appris comment construire librement et comment on peut improviser en architecture. Ce ne sont pas des modèles sur le plan architectural. Mais par contre, ce qui est très intéressant, c'est que le projet de vie et l'architecture se rencontrent dans ces objets-là, c'est-à-dire que les maisons sont pensées par les gens : elles sont fabriquées totalement en accord avec leurs désirs, leurs projets. Le travail de l'architecte, pour moi, doit apporter une compétence nouvelle pour que justement, la discipline de l'architecture puisse être au service de cette rencontre entre le projet de vie et l'objet architectural qui va accueillir ce projet de vie", développe Christophe Hutin.  

Mais de retour en France, alors qu'il démarre dans le domaine, ce que l'architecte a observé en Afrique du Sud se heurte à la réalité du terrain. Il envisage alors chaque projet dans sa globalité, autour d’une discussion approfondie avec chaque habitant.  

Construire pour et avec les habitants

"On connaît les personnes, on visite leur logement, on prend en compte leur histoire et leur parcours de vie dans l'architecture. Ça, c'est le point de départ de tout projet. Ça veut dire que quand on fait un projet d'architecture finalement, on prolonge cette histoire, on prolonge la situation “habiter” dans le temps et on lui donne une nouvelle capacité, une nouvelle compétence. C'est ce que j'appelle la rencontre entre la compétence de l'architecture et la performance des habitants", détaille Christophe Hutin.

Cette rencontre est au coeur du projet qu’il développe à Mérignac, près de Bordeaux. Chargé de la rénovation de deux cités d’urgence conçues pour loger des travailleurs migrants il y a 50 ans, Christophe Hutin y rénove les 100 maisons dans une démarche participative. 

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"On essaie de comprendre la situation telle qu'ils la vivent. Quels sont leurs besoins ? Quels sont les problèmes ? Et on essaie de voir aussi ce qui va bien, et dans ces maisons souvent, il y a eu une amélioration par les personnes de l'environnement construit qui est plutôt intéressante, qui est une vraie ressource architecturale. Et donc, on essaye d'appuyer là où ça va bien, c'est-à-dire sur ce qui a été très bien fait. On essaie d'apporter notre compétence d’architectes pour les aider et les accompagner à aller encore plus loin dans leur ambition et dans l'amélioration de leur cadre de vie", ajoute-t-il. 

Un logement viable et durable

Pour Christophe Hutin, penser l’architecture avec l’habitant permet de rendre l’habitat davantage viable et durable.

"D'abord, s'il est plus confortable, il est mieux utilisé sur le plan de l'usage, il offre de nouvelles possibilités, il offre du plaisir, du bien-être aux personnes. Et quand on est bien dans son logement, en général, on en prend soin, on y fait attention et on est bien aussi avec les autres, avec ses voisins. En général, lorsque les gens sont bien dans leur bâtiment, ça se voit sur la façade, c'est ça qui fait la beauté d'un bâtiment, pour moi : comment la vie s'installe dans un lieu, comment est-ce qu'on fabrique des lieux plutôt que des espaces. Et la fabrication de ces lieux produit une esthétique contemporaine", précise Christophe Hutin. 

Penser l’habitat de cette manière c’est aussi anticiper sa performance énergétique grâce aux plans en créant des courants d’air, des fenêtres de lumière, des pièces à taille humaine. Privilégier le contenu à la forme, c’est pour lui la définition de l’architecture du XXIe siècle. 

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À lire : "Les communautés à l’œuvre" dirigé par Christophe Hutin. La Découverte, avril 2021. 

À voir : Biennale de Venise : pavillon français sous le commissariat de Christophe Hutin. Du 22 mai 2021 au 21 novembre.