Requiem pour les majors

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Requiem pour les majors

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DEUIL cd
DEUIL cd

Les majors sont déjà mortes… mais elles ne le savent pas. Ou feignent de l’ignorer. La chute d’EMI, rachetée par Universal et Sony en novembre 2011 marque une étape supplémentaire dans la disparition progressive de ces empires du disque. Toutes les lois Hadopi, tous les systèmes de verrouillage des fichiers ou des sites, toutes les tentatives pour faire payer la musique en ligne n’y feront rien. Une page de l’histoire de la diffusion de la musique et, au-delà, de celle de la culture, est en train de se tourner. Les CD et les DVD finiront fatalement par rejoindre leurs ancêtres, les disques noirs et les cassettes, dans les musées de la reproduction de la musique et de la vidéo. Déjà, les rayons s’amenuisent dans les grandes surfaces spécialisées et les prix sont de plus en plus bradés. Signe de la fin d’une époque, nous sommes entrés dans la période des soldes permanentes. Tout doit disparaître avant fermeture définitive…

Après la fusion de BMG et Sony en 2004 et la disparition d’EMI aujourd’hui, elles ne sont plus que trois : Universal, Sony et Warner à se partager environ 70% du marché mondial de la reproduction musicale. Ce dernier trio a sans doute encore quelques années devant lui. Le temps de penser à une reconversion…

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Les raisons pour lesquelles cette perspective apparaît inéluctable sont les mêmes qui conduiront à la disparition de la presse quotidienne sur papier. Ces deux activités économiques sont, en effet, victimes d’une réalité criante et, sans doute pour certains, cruelle : leur inutilité. De la même façon que l’eau courante au robinet a conduit à la disparition des porteurs d’eau, le numérique à la prise finira par éliminer les supports matériels. Bien entendu, les majors sont largement plus puissantes aujourd’hui que les porteurs d’eau du début du XXème siècle. Pourtant, cent ans après, elles se trouvent dans la même situation. Elles tentent désespérément de continuer à proposer un service de plus en plus obsolète.

Un peu d’histoire… Le CD, disque audio numérique créé en 1982 par Sony et Philips et le DVD apparu en 1996 sont les derniers avatars de la succession des supports de reproduction de la musique et des films qui se sont succédés à partir du phonographe de Thomas Edison en 1877 et du paléophone de Charles Cros. Le gramophone d’Emile Berliner date de 1888 et se développe après 1901. Commence alors l’ère des disques, 78 tours, en métal puis en vinyle, 33 tours et 45 tours à partir de 1948. La bande magnétique apparaît aussi après la seconde guerre mondiale et la K7 de Philips est commercialisée en 1964. Vingt ans plus tard, le monde bascule dans le numérique avec le CD. On se souvient qu’alors la révolution reste tranquille. Il ne s’agit que d’un support de plus. L’occasion de racheter, encore plus cher, les œuvres souvent déjà acquises sur disque vinyle ou sur K7…Ce principe sera également très rémunérateur pour les majors lors du passage de la cassette vidéo VHS au DVD. La dernière tentative, celle du Blu-Ray lancé en 2006, ne s’impose guère. La mine d’or des supports physiques de reproduction est déjà en passe d’épuisement. Il ne reste alors que quatre majors pour exploiter le filon…

Aujourd’hui, elles ne sont plus que 3. Le compte à rebours commence. Si les consommateurs cessent d’accumuler des disques coûteux qu’ils utilisent rarement, ce n’est pas par manque d’appétit pour la musique ou le cinéma. Leur fringale reste intacte, particulièrement chez les jeunes. La raison est à chercher du coté des modes de consommation. Cinéphiles et audiophiles s’abreuvent désormais à la prise dans le mur. Celle qui leur apporte, chez eux, Internet et la télévision numérique. Preuve du caractère de plus en plus incontournable de cette pratique, les DVD sont désormais souvent vendus avec une possibilité de téléchargement gratuit du film… qui se trouve sur le DVD… Une surprenante stratégie d’autodestruction des majors elles-mêmes qui achève de démontrer que le support physique a cessé de lutter contre son concurrent virtuel.

Déjà, certaines grandes enseignes comme Virgin réaffectent les rayons naguère consacrés aux CD et DVD à l’offre de matériel électronique et informatique. A la Fnac La Défense, à Paris, les disques sont passés au sous-sol. D’ici quelques années, ces grandes surfaces remplaceront les disques par des supports numériques de stockage (clés USB, baladeurs et tablettes numériques, disque durs…). Après demain, le stockage lui-même aura perdu toute utilité tant les réseaux donneront un accès facile, permanent et peu onéreux à des bases de données de millions de titres. Autant de châteaux d’eau étanchant par câble, fibre et radio la soif des amateurs de musique et de films. Les majors porteuses d’eau ne seront plus alors qu’un lointain souvenir.

M.A.