Enfin ! Les jours s'allongent, tout comme les soirées. Vous sentez ce regain de motivation ? Normal : la lumière captée par vos yeux, non contente d'entraîner une stimulation cognitive, vous met aussi en joie. Portrait chimique de votre cerveau exposé.
Il fait grand jour au saut du lit, comme à la sortie du travail ! Au-delà des sensations agréables et de la synthèse de vitamine D qu'engendre le retour de la chaleur et de la lumière, cette dernière impacte le fonctionnement du cerveau, qu'elle atteint en passant par les yeux. Et cela explique que vous vous sentiez particulièrement motivé (avouez-le !). Ce que vous ignorez peut être en revanche, c'est que les photons vous aident également à mieux réfléchir. En compagnie d'un chercheur en neurosciences, on brosse cette fois le portrait chimique de votre cerveau... exposé.
La lumière du soleil est composée de toutes les couleurs, correspondant chacune à une longueur d'onde particulière. Et c'est par nos yeux uniquement, munis de photorécepteurs, que la lumière va gagner notre cerveau. Ces photorécepteurs visuels sont les cônes et les bâtonnets, qui permettent la formation des images, la perception de ce qui nous entoure.
Au soleil, moins de fatigue, plus de motivation
Un troisième photorécepteur a été découvert en 2002. Plus sensible à la longueur d'onde bleue, celui-là : la mélanopsine. C'est ce qu'explique Gilles Vandewalle, chercheur qualifié du Fonds de la recherche scientifique à l’université de Liège, en Belgique, qui travaille sur l'impact de la lumière sur le cerveau à l'aune de l'imagerie médicale. Ce photopigment est exprimé par les neurones de la rétine. A l'inverse des cônes et des bâtonnets, il n'est pas connecté aux parties du cerveau contrôlant la vision mais plutôt notre horloge biologique, poursuit Gilles Vandewalle :
Les cellules qui expriment la mélanopsine sont connectées notamment à notre horloge biologique au niveau de l'hypothalamus : on a des neurones qui servent vraiment de métronome à l’organisme, et qui permettent de réguler toute notre physiologie sur 24 heures.
C'est cette horloge biologique qui permet la sécrétion de la mélatonine. Bien connue sous le nom d'"hormone du sommeil", la mélatonine est l’hormone qui signale la nuit à notre organisme. Or elle est tributaire de la lumière - ou plutôt, de l'absence de lumière : moins il y a de mélatonine dans notre organisme, moins le sommeil se fait ressentir. Et plus le sujet est motivé. Raison pour laquelle la luminothérapie est utilisée pour traiter la dépression saisonnière, rappelle le chercheur belge :
Les déprimés saisonniers auraient une horloge biologique un petit peu moins bien réglée en hiver, du fait du manque de lumière. Cela contribuerait aux problèmes d’humeur. C’est vraisemblablement la mélatonine qui n’est pas sécrétée correctement au bon moment. Beaucoup de maladies psychiatriques ont une saisonnalité dans leurs symptômes.
Mais pourquoi se sent-on heureux au soleil ?
La luminosité a aussi un impact direct sur certains neurotransmetteurs (composés chimiques qui assurent les interactions entre les neurones). Elle stimule ainsi la production de sérotonine, qui intervient dans la régulation de l’humeur. “On pense que l’apparition de la dépression saisonnière chez les personnes sensibles à ce genre de problèmes, serait aussi due à des problèmes au niveau de la sérotonine”, souligne le chercheur. Gilles Vandewalle évoque une autre hypothèse, encore en cours d'exploration : la stimulation par la luminosité d'un autre neurotransmetteur, la noradrénaline.
Sous l'effet de la lumière, la connectivité du cerveau, c'est-à-dire la façon dont les différentes zones dialoguent, est elle aussi modifiée. La lumière bleue instaure aussi un dialogue plus étroit entre l'amygdale et l'hypotalamus. Or l'amygdale intervient dans la modulation des émotions et l'hypotalamus, placé dans le cerveau sous-cortical, est quant à lui impliqué dans le fonctionnement de l'humeur, de la motivation, du sommeil (rappelons que c'est le siège de l'horloge biologique), de l'appétit, de la thermorégulation... Directement lié à l’hypophyse, qui sécrète toute une série de précurseurs hormonaux (notamment les précurseurs des hormones sexuelles), l'hypotalamus a un impact sur toutes nos fonctions vitales. La qualité de la lumière module donc comment notre cerveau traite nos émotions.
La luminothérapie s'est véritablement développée dans les années 1980. Mais dès les années 1920 et 1930, bien avant qu'on connaisse la spécificité chimique de la lumière bleue, un certain Docteur Saidman avait pressenti tous ces bienfaits sur la santé, et contribuait à la populariser. En juillet 2010, l'émission La Marche des sciences d'Aurélie Luneau sur France Culture racontait l'histoire de ce médecin et de ses "solariums tournants" :
Les solariums tournants du docteur Saidman, dans La Marche des sciences, 8 juillet 2010
58 min
Quatre ans plus tard, le 4 septembre 2014, cette même émission approfondissait la question en s'interrogeant sur l'usage des ultra violets à l'école dans les années folles. L'émission s'attardait sur le rôle joué par des associations de bienfaisance, pionnières dans cette thérapeutique en pédiatrie :
De l'usage des ultraviolets dans les années folles, dans La Marche des sciences, 4 septembre 2014
55 min
Un avis "éclairé"... dans tous les sens du terme
En 2014, des expériences sont menées par Sarah Laxhmi Chellappa et ses collègues de l’Université de Liège et de l’Inserm afin de savoir si la perception de la lumière par la mélanopsine (ce photopigment sensible à la lumière bleue, donc), avait également un impact sur la cognition. Il s'agissait de faire réfléchir les cobayes, placés dans un IRM, en leur attribuant des tâches assez simples, explique Gilles Vandewalle :
On leur met des lumières de couleurs différentes… Ils sont en train de faire une tâche auditive, qui n’a donc a priori rien à voir avec ce qu’ils voient, et malgré tout, en fonction de la lumière qu’ils reçoivent par les yeux, le cerveau s’active différemment pour faire cette tâche auditive. Il s’active plus si la lumière est bleue. On pense que c’est parce que la mélanopsine est impliquée. Et donc la perception de la lumière par la mélanospine a un impact sur la cognition.
Du point de vue de la connectivité, le thalamus, région sous-corticale, va aussi voir son dialogue avec des régions du cortex préfrontal renforcé, indique le chercheur :
Le thalamus va être en dialogue plus étroit avec le cortex préfrontal si la lumière est plus chargée en bleu, ou en tout cas est plus intense. On pense que ça contribue à un meilleur fonctionnement cognitif. Or le cortex préfrontal est ce qui permet à l'humain d'avoir des comportement compliqués.
Alors ? Quand faut-il vous exposer pour tirer la substantifique moelle de tous ces bienfaits de la lumière ? De façon relative, la lumière bleue est dominante à l’aube et au couchant, car les autres longueurs d’ondes y sont moins nombreuses : “Le ciel devient plus bleu et on pense que c’est de là que viendraient les cellules ganglionnaires à la mélanopsine, parce qu’elles permettraient à l’horloge biologique de bien détecter le début et la fin du jour", indique Gilles Vandewalle. Cependant, il y a plus de lumière bleue quand la lumière est la plus intense, donc au milieu de la journée.
Attention cependant, si vous avez des velléités luminothérapeutiques et souhaitez acquérir lampe ou "luminette" (lunettes de luminothérapie) :
La lumière bleue n’est pas bonne en soi donc il ne faut pas que les gens se mettent à s’éclairer en bleu partout. Mais il ne faut pas la négliger. Il y en a largement assez dans la lumière du jour. Mais généralement, à l’intérieur, les éclairages sont pauvres en lumière bleue. Ce qui peut créer des manques.