Robert Paxton : "Les archives sont là comme des mines de charbon qu'on extrait"

A l'occasion de la parution du dernier essai de Robert O.Paxton intitulé "L'armée de Vichy : le corps des officiers français", Jean Lebrun s'entretient avec l'historien sur ses méthodes de recherches et la priorité qu'il donne aux archives.
L'historien américain Robert O. Paxton revient sur ses années d'études à Paris au début des années 1960 en tant que doctorant. Il fait état des difficultés pour lui de travailler sur la période de la collaboration. Il pense qu' "aucun peuple ne se penche sur les aspects noirs de son passé avec délectation, ce n'est pas facile". Il prend l'exemple des Indiens ou de l'esclavage, "sujets que le grand public préfère ignorer" chez lui aux États-Unis. Il lui semble qu'en France, le grand public croit toujours en l'image d'un "Vichy plus ou moins passif" face aux initiatives allemandes, une "version aronienne" de l'Histoire de France en quelque sorte, les thèses de Robert Aron étant très populaires.
Robert O Paxton invité de "Travaux publics" le 19/01/2004.
1h 08
Je me suis demandé souvent, depuis la sortie de mon livre dans la traduction française de "La France de Vichy" en 1973, et le grand succès tout à fait inattendu de ma part de ce livre et les passions qu'il a soulevées, qui m'ont étonné - je me suis demandé souvent depuis : Quand est-ce que cette période de passion pour le régime de Vichy va terminer ? Pendant combien de temps on va être obsédé par l'histoire de Vichy ? Et puis je me souviens de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, qui a eu lieu il y a 150 ans, pour laquelle la passion historique n'a pas beaucoup diminué. Je suis sûr que Vichy va passionner les Français pour un temps limité mais quand va-t-on arriver à la fin ? Robert O. Paxton
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L'historien citoyen se prend à "spéculer" sur les circonstances de la défaite de l'armée française en 1940. Il précise qu'il ne croit pas "que le régime de Vichy était vraiment fasciste. C'était plutôt un régime autoritaire comme le régime de Salazar ou de Franco. C'est de l'autoritarisme, pas du fascisme."
Ce que je crois avoir trouvé c'est une sorte de cassure en 1940. La "grande muette" a cessé d'être muette, le culte de l'obédience a reçu des coups entre 1940 et 1944 et les officiers ont joué un rôle public sous Vichy et ça leur en a donné le goût. Donc, il y a eu des préparations mais pas de ligne directe entre la dissidence de 1940 et la dissidence de 1960. Robert O. Paxton
Il insiste sur l'importance des archives et dit se méfier un peu des versions avancées par les témoins, notamment à travers les mémoires écrites bien après la guerre. Il y a, selon lui, deux sources valables : les documents de l'époque et des interviews "où on peut juger" les interlocuteurs en face et "t_out en sachant qu'on n'a pas toute la vérité_".
Je suis sorti de cette expérience convaincu qu'il n'y a pas de salut hors des archives de l'époque. Robert O. Paxton
On dit parfois que Paxton avait accès aux choses que les Français ne pouvaient pas voir, mais ce n'est pas vrai du tout ! N'importe quel Français aurait pu consulter les mêmes archives. Et on dit que ma version est fausse parce que ce sont des documents nazis mais le sténographe écrit aussi exactement que possible ce que les personnages présents ont dit. (...) Je crois vraiment que ces documents contiennent des paroles de l'époque auxquelles, bien sûr, il faut donner un contexte, il faut les interpréter. Robert O. Paxton
- Travaux publics
- Première diffusion : 19/01/2004
- Production : Jean Lebrun