"Rocky" ou la revanche fantasmée de l'Amérique blanche

Rocky Balboa affronte le champion Apollo Creed dans "Rocky" (1976)
Rocky Balboa affronte le champion Apollo Creed dans "Rocky" (1976)

Rocky ou la revanche de l'Amérique blanche

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"Rocky" ou la revanche fantasmée de l'Amérique blanche

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Selon l'historien Loïc Artiaga, "Rocky" incarne une revanche symbolique de l'Amérique blanche dans un contexte de crise économique, après une décennie marquée par le mouvement des droits civiques et le triomphe d'un boxeur noir.

Rocky, c’est un film culte oscarisé, un héros de la pop culture, c’est aussi la revanche fantasmée de l’Amérique blanche dans les années 1970, en réaction au mouvement des droits civiques et au triomphe d’un boxeur noir, bien réel lui, Mohamed Ali.

Pour l'historien Loïc Artiaga, "'Rocky' propose un univers qui est racialisé, ce n'est pas une fiction raciste, mais c’est une fiction où la question de la race est abordée et thématisée."

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Au milieu des années 1970, Sylvester Stallone est un jeune acteur qui cherche à s'imposer dans le cinéma.

Il écrit le scénario d’un film de boxe, en s’inspirant d’un combat réel qui a eu lieu en 1975, entre le champion Mohamed Ali et un outsider, Chuck Wepner. Contre toute attente, Ali, le champion noir, est mis en difficulté par le boxeur blanc. Stallone reprend cette histoire et raconte ce match "non pas du point de vue du champion comme on pourrait l’attendre, mais du point de vue de l’outsider."

L’outsider, dans le film, c’est Rocky Balboa, boxeur médiocre, prolétaire d’origine italienne, qui a l’opportunité d’affronter un champion, Apollo Creed.

Philadelphie ou l'Amérique déchue

Le film s’ouvre sur les quartiers ouvriers de Philadelphie, touchés par la crise économique et la désindustrialisation.

Pour Loïc Artiaga, cette ville incarne les espoirs déçus de "la rust belt, cette Amérique qui a compris qu’elle avait perdu, où le travail est une denrée rare, où les rapports sociaux sont compliqués." Dans ce contexte, Rocky apparaît "comme le premier grand héros de la période de la crise des années 1970, qui est aussi celle qui suit la guerre du Vietnam."

Déconsidéré, déclassé, sur la touche, Rocky Balboa est même contraint de laisser son casier à un boxeur noir au sein de son gymnase. Un remplacement symbolique qui fait écho à l'histoire de la boxe au XXe siècle, "où les différentes fractions de la population américaine se sont succédé sur le ring. Il y a eu des époques pour les Italo-Américains, le dernier grand champion, c'est Rocky Marciano dans les années 1950, il y a aussi de grands boxeurs juifs dans l’entre-deux-guerre."

Dans les années 1970, ce sont les Afro-Américains qui dominent le ring, "avec un boxeur majeur, majuscule, Mohamed Ali qui se retrouve affadi derrière le personnage d’Apollo Creed."

Sans oser le demander
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Le miroir inversé de Mohamed Ali

Rocky incarne le miroir inversé de Mohamed Ali, il est monolithique, peu bavard, là où Mohamed Ali était volubile, provocateur et politisé.

Le film imaginé par Stallone réécrit une histoire alternative de la boxe, remettant l'Amérique blanche au centre du jeu mondial.

Il faut contextualiser la sortie du film en 1976, soit "deux ans après l’immense match de Kinshasa Ali-Foreman, le moment de la rencontre entre les Africains Américains et les Africains qui se veut une tribune, une manière de déplacer la scène pugilistique là où est le cœur battant du monde qui émerge."

Le vrai Mohamed Ali affirmera même : "J’ai été tellement génial qu’ils ont dû créer Rocky, une représentation blanche pour l’écran, afin de contrer ce que je représente sur le ring."

Gros succès au box-office, Rocky remporte trois oscars et engendre plusieurs suites.

Symbole des années Reagan, le film montre à la fois une réussite individuelle du héros grâce à la seule force de ses poings, il met en scène aussi la supériorité des États-Unis, notamment sur l’URSS avec son autre grand antagoniste, Ivan Drago, le terrifiant boxeur soviétique.

Pour Loïc Artiaga, Drago incarne "une espèce de grande machine rouge, dans la plus pure tradition de la façon dont on dépeint les sportifs soviétiques dans la seconde moitié du XXe siècle. À chaque fois, l’opposant est d’une certaine manière menaçant au-delà du ring. Ils incarnent à chaque fois une menace sociale ou politique et donc il faut les mettre à terre."

C’est cette image triomphante que reprend Donald Trump en 2019 dans un montage très subtil avec son visage collé sur le corps de Rocky.

Le président américain avait d’ailleurs proposé un poste à Sylvester Stallone dans son administration, offre déclinée par l’acteur.

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