Russie : le web sous contrôle

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Russie : le web sous contrôle

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**Bien conscient du pouvoir contestataire d'Internet, Vladimir Poutine ne cesse de renforcer son contrôle. La guerre en Ukraine a accéléré en Russie un processus en cours depuis le retour de Poutine en 2012. Le pouvoir tente à la fois de limiter la liberté d'expression, de contrôler des usages citoyens du web et de faire d'Internet le vecteur d'une vision pro-russe du monde. **

internet
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© Fotolia - Jamdesign

Cette guerre de l'information, le pouvoir la mène d'abord sur le front intérieur. Le discours s’est musclé contre Internet, qualifié au printemps dernier par Vladimir Poutine d’« agent de la CI A ». « Le pouvoir nourrit un discours anxiogène, qui fait passer Internet pour un espace anarchique et décadent », explique Julien Nocetti, chercheur à l'IFRI et spécialiste du web russe. Et le pouvoir cherche par tous les moyens à contrôler les usages citoyens du web qui se sont développés ces dernières années.

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Un arsenal de lois pour encadrer le web
L’encadrement passe d'abord par une grande** inventivité juridique** : depuis2012, pas moins de huit textes de loi ont été adoptés pour encadrer les médias. 18 sont encore à l’étude. Très utilisée, la loi contre l'extrémisme . Cette notion au contour indéterminé a permis d'empêcher la diffusion de plusieurs sites d'opposition, le journal l enta.ru, le site du joueur d'échec et opposant Garry Kasparov ou encore Grani.ru, un site d'information d'opposition. Le site zapretno.info (ce qui est interdit) recense desexemples de contenus interdits

C'est désormais de Paris que travaille** Ioulia Berezovskaia,** sa directrice. Un jour, sans prévenir, le site Grani a été bloqué par les fournisseurs d'accès. C'était un ordre du Roskomnadzor, le service fédéral de surveillance des télécommunications. Mais sans que le site ne sache quel est précisément le contenu incriminé* « On nous a dit que le contexte du site appelle au rassemblement illégal. Pour être débloqué, il faudrait que l'on retire le site dans son ensemble, c'est absurde* », souligne la journaliste.

Ioulia Berezovskaia
Ioulia Berezovskaia
© Radio France - Catherine Petillon

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Après avoir contesté en vain le blocage devant la justice russe, l’équipe de Grani compte aller devant la Cour europénenne des droits de l’homme. Le site continue néanmoins de publier et forme ses internautes à contourner techniquement le blocage, par exemple en anonymisant son adresse de connexion.

« C’est important pour pouvoir accéder au contenu, mais aussi du point de vue de la sécurité des utilisateurs, de plus en plus visés par les lois liberticides adoptées récemment » , insiste Ioulia Berezovskaïa.

Les réseaux sociaux dans la ligne de mire
Désormais, les utilisateurs de réseaux sociaux doivent eux aussi apprendre à se méfier. L'équivalent russe de facebook,** Bkontatke -** le réseau social le plus utilisé dans le pays- a été repris en main par le Kremlin.

Son fondateur, Pavel Dourov, a lui démissionné et quitté le pays : il avait refusé d'informer le FSB sur les créateurs de pages concernant Maïdan et l'Ukraine.

vkontakte
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© Reuters - Serguei Karpukhin

Les membres de twitter et facebook sont à leur tour dans la ligne de mire. Ils sont depuis le printemps soumis à une nouvelle loi, tout comme les blogueurs s'adressant à plus de 3 000 lecteurs. «* Ils doivent s'enregistrer auprès des autorités et répondre aux mêmes obligations que les médias, * explique** Johann Bihr,** responsable du bureau Europe de Reporters sans frontière*.C'est-à-dire vérifier les informations, ne pas proférer de jurons. Ils sont aussi pénalement responsables des commentaires postés sur leurs page* s»

En juillet également a été votée une loi relative aux données personnelles. Elle prévoit quà partir du 1er septembre 2016, les réseaux sociaux, les services de messagerie et les moteurs de recherche seront obligés de stocker les données personnelles de leurs utilisateurs sur un serveur en Russie, dont l'emplacement devra être transmis aux autorités. En pratique, cela pourrait remettre en cause la présence en Russie de Facebook et Twitter, parmi les derniers espaces de liberté d'expression.

Usages politiques du web
Si le pouvoir russe s'intéresse beaucoup au web, c'est aussi afin d'utiliser à son profit les canaux diffusion. Le Kremlin met les outils numériques au service de sa propagande sur les valeurs patriotiques et conservatrices, qu'il oppose à la décadence morale de l'Occident. Dernière annonce en date : mi -novembre, l'une des bibliothèques nationales a fait part de sa volonté de créer une** « alternative russe » à Wikipédia** . Estimant que l'encyclopédie en ligne ne contient pas d'information fiable et objective sur la Russie. Cette annonce s'inscrit dans** «** la volonté de créer des outils spécifiquement russes et de défendre une vision pro-russe du mond e», explique Françoise Dauc é, maître de conférence à l'Université de Clermont-Ferrand.

Françoise Daucé
Françoise Daucé
© Radio France - Catherine Petillon

Le pouvoir diffuse ainsi un messsage traditionnel, conservateur, national, dans le cadre de campagnes dites de « ré -information».

« Ce regard spécifique à la Russie concerne l'ensemble des sphères de la connaissance: les phénomènes de société, comme autour du mariage pour tous, mais aussi l'histoire : on assiste une importante relecteure de l'histoire russe (avec des formes de réhabilitation du stalinisme), et plus largement internationale

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Imposer une vision russe du monde

Sputnik
Sputnik
© Radio France - capture d'écran

Dans ce combat informationnel, il y aussi le front extérieur. Car sa vision du monde, la Russie entend la diffuser aussi à l'étranger. Et pour cela aussi elle compte sur le web. Financé par l'Etat, le groupe Rossiya Segodnya (la Russie aujourd’hui) a lancé le 10 novembre son service multimédia international, un site et une radio qui d'ici 2015 devrait diffuser en 30 langues. Son nom,** Spoutnik** , est à lui seul un programme : partir à la conquête de l'opinion internationale. Avec un objectif revendiqué : «*combattre la propagande agressive qui nourrit le monde et impose un point de vue unipolaire * ». La guerre de l'information compte une arme de plus.