Sahara: les hommes et le désert - Le making off de l’émission du 17 mars
Par Sylvain Kahn
Pour Planète terre, je pars souvent des clichés, des idées reçues, des évidences - des intuitions. Il n’y a pas de fumée sans feu.
J’ai trouvé un site web orienté voyage dédié au Sahara, par Patrice Jeandroz. Très agréable. Il propose une entrée “géographie”, avec des paysages et quelques définitions . Pas d’hommes, pas de femmes, pas de villes, pas de migrants? Une belle carte, sans échelle et sans légende: le jaune est il de la très basse altitude ou du sable? Mais: des frontières, et des noms, et des monts - jusqu’à 4000m! Hoggar, Tibesti, Désert blanc, Grand erg oriental…
Rarement autant qu’avec le Sahara, n’ai je été pris à fond (de cale) dans les filets des poncifs . A mailles étroites, denses, et serrées. Pour mon plus grand bonheur: j’ai été de découverte en découverte. Le Sahara est un objet géographique formidablement contre-intuitif !
Quelques boules d’heures de préparation et trente minutes d’émission plus tard, l’esquif planète terre a traversé le rideau et les volutes de fumée; et ses passagers carressé le feu sans fard.
Je me suis longuement entretenu avec Monique Mainguet et Olivier Pliez , mes deux invités. Monique Mainguet est professeur associée en géographie à l’université de Reims et membre de l’Institut universitaire de France. Voilà plus de 40 années que le Sahara, sa dynamique et les processus qui l’animent sont au coeur de ses recherches. Grâce à Monique Mainguet, j’ai découvert ceci : le sable ne compte que pour 20% de la superficie du Sahara. Ce n’est pas tout : des quantités d’eau significatives sont piégées dans les roches du sous-sol du Sahara. Voilà qui est contre-intuitif, n’est ce pas ?
Olivier Pliez est chercheur CNRS, dans le laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires, le LISST, à Toulouse, au Mirail. Le Cnrs lui a décerné sa médaille de bronze en 2007 pour ses travaux sur les villes du Sahara. Car, nouvelle découverte contre-intuitive : le Sahara est urbanisé, et l’immense majorité de ses habitants vivent en ville.

Une rue de Dongola ©Olivier Pliez
Olivier Pliez, ces trois dernières années, a particulièrement travaillé sur les circulations et les migrations transsahariennes. Il a écrit plusieurs articles sur ce sujet. Saviez vous qu’environ neuf dixièmes des migrants transsahariens ne cherchent pas du tout à traverser la Méditerranée?

Pancarte ©Olivier Pliez

Sahara ©Olivier Pliez

Camion ©Olivier Pliez
**“Un malentendu à propos des populations concernées" ** Il nous paraît indispensable de rappeler quelques éléments lorsque l’on parle de ces flux migratoires : -L’Afrique est la première destination des migrants africains, avant l’Europe-L’Afrique est un continent vaste et divers-On ne peut pas confondre les différents flux migratoires Il faut dissocier les flux migratoiresAu Sahara, 8 à 9 migrants africains sur 10 sont Sahéliens mais ils travaillent sur les chantiers, dans les villes et les campagnes du désert depuis plusieurs générations.
Les 10 à 20% de migrants qui tentent de rejoindre l’Europe sont généralement minoritaires à bord des barques qui traversent les détroits méditerranéens (en 2004, 60% des clandestins depuis la Libye à destination de l’Italie étaient égyptiens).
Or, en voulant pénaliser les 10 à 20% de migrants qui sont en « transit » vers l’Europe, on sanctionne d’abord les 80 à 90% de Maliens, Nigériens, Tchadiens et Soudanais des marges sahéliennes qui pratiquent depuis des décennies la migration transfrontalière en toute discrétion. Leurs mouvements répondent à un besoin : la pénurie chronique de main-d’œuvre dans les Sahara algérien et libyen. Cette confusion entre émigration sahélienne et migration de transit depuis tout le continent africain pénalise aussi les premiers, soumis aux rafles, expulsions, pogroms et fermeture des axes routiers qui depuis deux ans secouent tous les pays frontaliers du Sahara. Elle sanctionne des stratégies d’adaptation aux aléas climatiques qui sont la caractéristique même du climat sahélien”.O. PliezDans les Annales de géographie , plusieurs articles ces quatre dernières années: à huit mains (dont celles de Jacques Fontaine), en novembre 2009 (n°670), sur l’espace saharien algérien et son aménagement, son quadrillage, son contrôle, son exploitation; en septembre 2008 (n°663), d’Anne Ouallet, sur la question migratoire et la dynamique transsaharienne; en décembre 2006 (n°652), d’O. Pliez, sur migration d’aujourd’hui et espaces nomades. A nouveau, Le Grand Maghreb , dirigé par Jean françois Trouin, évoqué la semaine passée sur l’érosion et les sociétés au Maroc, cette fois pour les pages de Jean Bisson: “le Sahara: la mémoire d’un lointain passé”.J’ai lu Tibesti . Il s’agit du beau livre paru chez Skira en 1989 consacré à l’œuvre du peintre Jean Vérame. Il a fait d’un cirque de pierres de quelques kilomètres, situé près de Bardaï, le support de sa peinture. Cet extrait provient du passage intitulé « L’image et l’espace » : « Il faut se méfier des photographies du désert. Elles mentent . … Elles passent sous silence que l’on ne peut savoir ce qu’est ce site sans devoir l’arpenter. Il faut marcher. Découvrir. S’égarer. Revenir. S’arrêter. Se retourner. Repartir. A chaque pas tout change. »

Tibesti ©Jean Verame