
Previously. Causée par une carence en vitamine C, le scorbut, qui fit des ravages auprès des marins jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, signe son retour ; aux Etats-Unis notamment, quelques dizaines de cas ont été signalés. Retour sur l'histoire de la "peste des mers".
Déchaussement des dents, purulence des gencives, perte des cheveux, hémorragies… voici quelques-uns des symptômes les plus sévères du scorbut, une maladie due à une carence en vitamine C. Identifiée au XVe siècle au moment des premières grandes expéditions en mer, elle impactait surtout les marins, privés de fruits et légumes pendant plusieurs mois, au point qu’elle passe pour être la première maladie professionnelle identifiée. On la croyait disparue dans les pays industrialisés, mais quelques dizaines de cas émergent à nouveau dans les pays développés, et notamment aux Etats-Unis.
"Le scorbut apparaît pendant des siècles au même titre que la variole, la peste ou le choléra, comme l’un des fléaux de l’humanité."
“La vitamine C permet au collagène de maintenir sa structure. Sans elle, les tissus tels que les vaisseaux sanguins perdent leur cohésion et finissent par être lésés”, explique Sciences et Avenir dans un article du 20 août 2018. Cette vitamine, on la trouve dans les fruits et légumes crus, et notamment dans les oranges, les citrons, les fraises, ou encore les brocolis ! Trois mois d'alimentation sans fruits et légumes suffisent à entraîner l'apparition des œdèmes symptômes du scorbut.

En 1973, dans l’émission “Biologie et médecine”, le professeur Julien Marie, membre de l'Académie de Médecine, revenait sur l’histoire du scorbut. La maladie était alors rarement rencontrée en France, mais sévissait toujours dans les pays d’Asie et d’Afrique. Il retraçait les origines du scorbut, en commençant par se pencher sur l'étymologie du mot :
Il dérive des langues septentrionales (scandinaves). En esclavon, c’est à dire en langue slave ancienne, le mot "scorb", et en danois le mot "scorbect", signifie “ulcère de la bouche”, qui est l’un des symptômes très importants du scorbut.
Le scorbut, dans l'émission "Biologie et médecine" du 11 octobre 1973, sur France Culture
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Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) précise le rôle joué par le mot issu du vieil islandais "skyrbjurg", désignant un œdème ("bjurg") causé par du lait caillé ("skyr"). Car "on attribuait à la grande consommation de lait caillé par les marins pendant leurs voyages, l'apparition d'œdèmes".
Quoiqu'il en soit, précise le professeur Julien Marie dans cette archive, le nom de la maladie n’apparaît en fait pour la première fois qu’au XVIe siècle dans un ouvrage de pharmacologie d’Euricius Cordus, un botaniste et médecin allemand. Mais le scorbut de l’adulte n'a pas attendu qu'on l'identifie pour faire des dégâts, soulignait encore le professeur :
Au milieu du XIIIe siècle, parmi les troupes de Saint-Louis [ qui souffrait lui-même de scorbut, NDR], on observa une épidémie réalisant tous les caractères de la maladie scorbutique. Il apparaît même comme très vraisemblable qu’une épidémie de même nature décima au début de notre ère l’armée de Germanicus dans les Pays-Bas, la maladie étant dénommée “stomacacé” par les médecins romains de l’époque. L’histoire nous montre que le scorbut apparaît pendant des siècles, au même titre que la variole, la peste ou le choléra, comme l’un des fléaux de l’humanité. Il est le compagnon habituel des guerres, des sièges, des périodes de famine et des longues navigations de la marine à voile.
Et pour cause... la maladie se révélait mortelle dans 50 à 80% des cas...
Agrumes et choucroute à la rescousse !
Rudement impactés par la maladie, ce sont les navigateurs qui font les premières découvertes thérapeutiques : ils comprennent qu’il leur faut nécessairement faire escale dans des pays où ils pourront consommer des fruits, ce qui fit dès le XVe siècle la réputation de Tahiti. Ils déduisent vite le rôle joué par les agrumes, notamment, comme palliatifs au scorbut : ainsi, en 1604, le voyageur et apothicaire français François Martin note-il dans sa Description du premier voyage fait aux Indes orientales :
Il n'y a rien meilleur pour se préserver de cette maladie que de prendre souvent du jus de citron ou d'orange, ou manger souvent du fruit, ou bien faudra faire provision des sirops de limon, d'oseille, d'épine-vinette, d'une herbe appelée cochlearia, qui semble porter en soi le vrai antidote, et en user souvent.
L'efficacité de la cochlearia comme traitement anti-scorbutique est aussi évoquée par le médecin hollandais Johann Friedrich Backstrom, au XVIIIe siècle : il s'était appuyé sur une anecdote rapportée par le médecin écossais et pionnier de l'hygiène dans la marine royale britannique James Lind :
Un matelot des vaisseaux qui vont au Groenland fut réduit à un si triste état par le scorbut, que ses compagnons le portèrent sur le rivage, et l’abandonnèrent, le croyant dans un état entièrement désespéré. Ce pauvre malheureux avait perdu entièrement l’usage de ses jambes ; il ne pouvait se traîner qu’en s’aidant des pieds et des mains. La terre était couverte d’une plante qu’il broutait comme les bêtes : il fut par ce moyen parfaitement guéri en peu de temps. Lorsqu’il fut revenu chez lui, on sut que cette plante n’était autre chose que le cochlearia.
En 1789, la délivrance de jus de citron devient réglementaire parmi les équipages de la marine française ; et ce, même si c’est seulement en 1928 que le savant hongrois devenu américain Albert Szent-Györgyi, découvre l’acide ascorbique.
Enfin, à la fin du XVIIIe siècle, le célèbre navigateur britannique James Cook, lors de son premier voyage autour du monde, démontre l'efficacité d'une très fameuse spécialité d'Alsace : la choucroute ! Lors de son expédition dans le Pacifique Sud, il en fit charger des barils entiers dans les cales. L'expérience fut si concluante que l'administation anglaise décida de créer de grands entrepôts pour conserver le précieux choux fermenté, facile à conserver, et si riche en vitamine C.