Reportage. Réchauffement climatique, déforestation, perte de la biodiversité... Alors que les mauvaises nouvelles pour la planète se succèdent, certains en appellent à l'écopsychologie. Comme en Suisse, où des associations proposent d'aller à la rencontre des arbres dans les parcs et les forêts.
Se reconnecter avec le vivant et la nature à l'heure où l'état de la Terre inquiète de plus en plus. Voilà le propos de l'écopsychologie. Ce mouvement de pensée né aux États-Unis et très développé dans le monde anglo-saxon est en plein essor en Suisse. Egalement relayé par des associations en France et surtout en Belgique. Reportage dans un atelier à Genève.
Retrouver un contact "tout à fait banal mais que l'on a oublié de nos jours"
"Peut-être qu'en passant le pouce sur la feuille, là, tu peux ressentir une certaine fraîcheur. C'est la plante qui respire." La scène a de quoi surprendre. De bon matin, une cinquantaine de personnes déambulent, pieds nus et les yeux bandés dans un parc en pleine ville. Avec une personne pour guider, une autre pour toucher et sentir, ici un brin d'herbe, là un tronc d'arbre ou encore un chien en promenade.
C'est un contact avec la nature tout à fait banal mais que l'on a oublié de nos jours. Quand on se balade dans la rue, on n'a plus l'habitude de toucher les feuilles ou d'écouter les bruits. L'idée, c'est de se remettre à ces choses basiques. Alexia Rossé, coanimatrice de l'atelier
Sociologue et écothéologien, Michel Maxime Egger est l'autre coanimateur. Auteur en 2015 d'une introduction à l’écopsychologie intitulé Soigner l’esprit, guérir la terre, ce journaliste de formation est l'un des pionniers de l'écopsychologie en Suisse :
On voit de plus en plus d'intérêt du côté de psychothérapeutes. Ils se disent : mais c'est vrai, dans mon cabinet, je vois des souffrances en lien avec les dégradations écologiques. Que puis-je proposer comme outil ? De plus en plus de personnes s'intéressent donc à se former pour pouvoir intégrer cela dans leur pratique.
Michel Maxime Egger
Après deux heures d'exercices, le plus souvent en silence, les participants repartent plutôt conquis. "Cela donne du courage et cela permet aussi d'éviter de tomber dans la dépression.", pour l'un. "Etre avec d'autres personnes qui ont cette même sensibilité, c'est encourageant, cela enlève un peu le désespoir.", pour une autre. "C'était très intéressant. Très serein à la fin. Cela complète une session chez le psy.", d'après un dernier.
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Aux racines de l'écopsychologie
Ce courant de pensée très peu connu en Europe continentale s'est cristallisé dans les années 1990 aux Etats-Unis et s'est développé essentiellement dans le monde anglo-saxon. Transdisciplinaire, inspirée par les traditions premières, l'écopsychologie estime que, pour répondre en profondeur à la crise environnementale, l'écologie et la psychologie ont besoin l'une de l'autre. Elle montre comment sortir du déni et de l'impuissance, traite à la racine l'aliénation de l'humanité envers son habitat naturel, qui ne serait pas étrangère aux formes d'addiction à la consommation. L'écopsychologie ne peut donc pas être réduite à un gros câlin avec un arbre. Son succès dépasse les frontières de la Suisse. Des associations en France et surtout en Belgique proposent également des ateliers d'initiation.
"L’écopsychologie ne vise pas la résolution de nos problèmes psychiques, mais bien un changement de société. Pour moi, c’est un des éléments d’un mouvement de civilisation. Avec une dynamique de groupe essentielle, car il s’agit aussi de se relier aux autres.", expliquait à Reporterre en février 2017 Dominique Bourg, spécialiste de la pensée écologique et professeur à l’université de Lausanne, qui a codirigé le Dictionnaire de la pensée écologique (PUF). Samuel Socquet, de Reporterre, parlant d'un mouvement "inspiré par les traditions premières et on y croise des chamanes, des militants, des philosophes, des scientifiques, des thérapeutes".
Michel Maxime Egger s'est longuement confié à Leili Anvar dans Les Racines du ciel, en janvier 2016 . "Pour bien comprendre l'importance et le sens de l'écopsychologie, il faut la situer par rapport au problème qui lui a donné naissance : la crise écologique. Je ne suis pas sûr que l'on ait pris véritablement la mesure de la profondeur de cette crise qui est un véritable bouleversement systémique. Il pose des défis énormes à l'humanité et met en question les fondements même de notre existence et de notre être.", précisait-il notamment. Et d'ajouter :
Cela ne se veut pas une discipline universitaire mais on pourrait dire un mouvement, une mouvance, un champ de recherche fondé sur l'idée que pour répondre à ces défis il faut une alliance entre la psychologie et l'écologie. L'écologie a besoin de la psychologie et la psychologie a besoin de l'écologie.