L'Allemagne sera-t-elle le premier pays européen à reconnaître l'intersexualité sur les certificats de naissance ? Un projet de loi en ce sens n'attend plus que d'être voté par le Parlement. Découvrez trois témoignages pour appréhender cette réalité, vécue plus ou moins douloureusement.
Sur les certificats de naissance allemands, la mention "divers" apparaîtra sans doute bientôt aux côtés de "masculin" et "féminin". En effet, le gouvernement allemand a voté mercredi 15 août un projet de loi en faveur de la reconnaissance civile des personnes intersexuées. Si ce texte est voté par le Bundestag, qui a jusqu'à fin juin 2018 pour prendre position, l'Allemagne deviendra le premier pays d'Europe à reconnaître un troisième genre.
D'après le conseil d'éthique, 80.000 personnes intersexuées vivraient en Allemagne. Et en France, combien de personnes naissent chaque année avec des organes génitaux indifférenciés ? Il n'existe pas de chiffres officiels ou suffisamment fiables : "ça va de quelques centaines à quelques milliers de cas par an en France, tout dépend de qui l'on parle", expliquait Laurence Brunet, juriste spécialisée en droit de la famille, dans un Magazine de la rédaction du 4 mars 2016, ajoutant que les cas de strict hermaphrodisme étaient extrêmement rares. Dans cette émission d'une heure produite par Aurélie Kieffer, deux personnes intersexuées et une mère concernée par le sujet, témoignaient de leur vécu, plus ou moins douloureux, selon la pathologie et ses répercussions psychiques.
Evelyne, un caryotype XY plutôt bien vécu
Evelyne est née fille et a été déclarée telle, car ne présentant aucune anomalie génitale extérieure. C'est seulement lors de sa puberté que des questions commencent à émerger du fait de son absence de règles : "J’ai fait des examens et il a été déterminé que j’avais un caryotype XY. C’était en 1969. Le médecin ne m’a pas prévenue, il m’a donné une réponse vague du type 'Il y a un petit problème', mais c’est tout. Et puis vers 23 ans a commencé à se poser la question de la maternité. Je ne savais pas si j’étais stérile, pas stérile…”
À cette époque-là, j’hébergeais deux de mes nièces qui faisaient leurs études à Paris, dont une qui faisait ses études de médecine. Quand je suis rentrée à la maison, je lui ai demandé : "Est-ce que tu sais ce que c’est qu’une femme avec un caryotype XY ?" Et elle m’a presque crié dessus en me disant : "Je ne veux pas avoir ce type de conversation dans la famille !"
Evelyne dit s’être toujours identifiée à une fille, et la morphologie de ses organes génitaux ne l'a jamais empêchée de vivre pleinement sa sexualité : “Pour moi, la revendication d’un sexe neutre ne me parle pas du tout, et je ne comprends même pas qu’on puisse rechercher à avoir cette particularité.”
Elle a fini par adopter un enfant avec son mari, et parvient même à voir son syndrome sous un jour positif : "Ça m’a apporté le fait que je sois très grande, très très mince, tout en étant caryotype XY on n’a pas de problème de chevelure par exemple…"
Laurence, mère de Line, bébé intersexué : “J’ai eu l’impression que le choix était orienté : petite fille, point.”
Laurence se souvient de son accouchement comme d'un moment où le malaise était palpable autour d'elle. Dans un premier temps, personne ne se risque à la renseigner sur le sexe de son enfant, qui ressemble à "un petit garçon sans pénis".
Il y avait une ambiance extrêmement pesante, mais je pense que sur l’instant je ne réalisais pas. Je mettais ça sur le fait qu’on avait été obligé de faire une césarienne. (...) C’est ma sœur qui est venue en premier m’expliquer ce qu’il se passait, et ensuite c’est le papa. Ce n’est pas le corps infirmier, ni le médecin… Le papa était décomposé. (...) J’ai eu peur qu’elle soit morte.
On demande aux parents de choisir un prénom mixte, ce qu’ils refusent catégoriquement, préférant lui donner deux prénoms, un masculin, et un féminin, inscrits sur l'état civil : “Ça embêtait tout le monde, mais ce n’est pas grave.”
À Marseille, raconte-t-elle, on leur propose de procéder à une ablation des gonades de leur enfant, et d’attendre la puberté pour réaliser une vaginoplastie, la création d’un vagin : "Je n’ai pas très bien compris dans quelle langue [le médecin] me parlait… j’avais juste envie de lui dire ‘casse-toi’, 'sors' ! (...) j’ai eu l’impression qu’on lui enlevait ce qu’elle était, mais ça c’est mon ressenti de maman. Que quelque part, on la mutilait, qu’on jouait à Dieu.”
On m’a expliqué qu’au jour d’aujourd’hui la médecine n’était pas capable de faire autre chose qu’un... alors je vais mettre des guillemets parce que c’est ce qu’on m’a dit “un rouleau de printemps”, pour un sexe masculin non fonctionnel, qu’à la limite c’était un morceau de graisse (...) et que ça de toute façon il fallait opter pour une petite fille parce que c’était plus simple.
Sylvaine, d'abord appelée Sylvain : “Où aller ? Frapper à quelle porte ? J’ai perdu 10 ans de ma vie à trouver une solution, parce que je n’avais pas les bonnes informations.”
Sylvaine est née en 1956 et a été baptisé "Sylvain". "On a vu que j’avais un petit zizi et une petite fente, donc on m’a envoyée vers un grand chirurgien (...) et il m’a opérée tout de suite. De quoi ? On ne sait pas", explique-t-elle. Mais vers l'âge de 9 ans, celle qui est considérée comme un petit garçon commencé à avoir une légère poussée mammaire :
Un professeur m’a mise sous testostérone vers l’âge de 10 ans, pendant 2 ans. Moi à l’époque j’étais un petit garçon… on n’a pas le droit à la parole. On est soumis au médecin, et puis c’était l’époque qui voulait ça.”
Dans sa tête, elle se considère comme “un petit garçon avec des problèmes”... un ressenti exacerbé par le fait que ses parents l'envoient voir psychologues et psychiatres : “À Noël je demandais toujours des dînettes, des mallettes d’infirmière, des poupons, des landaux... Mes parents étaient très inquiets."
Mon sexe d’homme n’a jamais poussé. J’avais un micro pénis quand j’étais bébé et à 25 ans j’avais un micro pénis qui faisait 2 cm et demi à peu près (...) Je me suis inventé une vie sexuelle vis à vis de ma famille pour ne pas avoir trop de questions. Les copains allaient voir les filles, moi j’allais au cinéma, je n’étais pas intéressée.“
Alors qu'elle se douche à la veille de ses 32 ans, les choses se compliquent encore lorsqu'elle découvre que "l'eau est rosée" : elle a un écoulement de sang menstruel. Sylvaine décide finalement, à 45 ans, de se faire opérer "pour être pleinement femme", et affirme "vivre très bien" aujourd'hui, même sans sexualité.
À un moment de ma vie, j’ai cherché le sexe quand même. Mais je ne pouvais pas. C’est vrai qu’avec les stéréotypes qu’on voit à la télé, les femmes bien faites, les hommes bien faits… on vit dans une société sexuelle aujourd’hui. Nous on est à part, on vit en retrait de cette société sexuelle. Je me suis contentée d’avoir des caresses érotiques.”