Souvenirs de toiles de Philippe Di Folco
Longtemps journaliste, à présent romancier et essayiste… Philippe Di Folco est un fou de littérature et de cinéma et quand il ne s’attaque pas aux tabous de notre société en dirigeant "Le Dictionnaire de la pornographie" ou "Le Dictionnaire de la mort", il planche pour le septième art. Rencontre au fil des toiles avec un dingue de ciné qui cosigna notamment le scénario de l’hypnotique "Tournée" de Mathieu Amalric.
** Le premier film ?**
"2001, l’odyssée de l’espace". J’avais 6 ou 7 ans, j’étais avec ma mère, nous étions dans le cinéma Gemini situé dans le vieux Créteil, non loin d’où j’ai grandi. Je ne me souviens pas des séances de dessins animés que mes parents m’ont offertes sans doute vers cet âge… mais de celle-ci, oui. Ma mère s’était endormie. Moi, j’étais surexcité. Effrayé aussi. Longtemps, la voix de HAL 9000 me hanta. Un ami et moi avions même décidé de recréer sur son balcon un vaisseau spatial. Nous allions jouer dedans les jeudis après-midi. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs. Cet âge est celui du merveilleux : le v
aisseau volait, j’en reste persuadé. Ce film compte beaucoup pour moi encore aujourd’hui : le confluent entre la poétique et la science y constitue comme une impérissable énigme. ** Le film interdit qu’on tente de se procurer par tous les moyens ?** A l’époque des premiers clubs vidéo, je me souviens avoir loué en fraudant "Caligula" de Tinto Brass (1979, interdit aux moins de 18 ans) alors que je n’avais pas 15 ans, mais aussi "Massacre à la tronçonneuse", qui m’avait déçu. La copie était pourrie. On m’a également interdit "Vendredi 13" de Sean S. Cunningham (1980) que j’ai pu me procurer en vidéo. Dans ce film la scène d’accouplement entre deux ados poignardés en plein coït m’avait surpris, voire choqué, bien plus que les galipettes de l’empereur romain précité ; "Caligula" m’avait ennuyé, je ne sais plus pourquoi. Au final, je ne recherchais pas plus que ça des scènes érotiques (l’arrivée dans mon foyer de Canal+ en 1985 et des pornos cryptés du samedi soir m’a laissé indifférent) mais j’avais des potes au lycée qui ne juraient que par ça. Quant aux salles X, je n’osais pas y aller, j’habitais la banlieue, Paris m’attirait mais pour les librairies, les bars, les clubs et donc les filles en chair et en os. Je crois qu’un soir, mes parents étaient partis, j’ai loué un film hard pour pimenter un rendez-vous, je n’avais pas beaucoup d’expérience, mais on s’est endormis avant d’avoir eu l’idée de regarder ça !
** Le film qui décle** nche l’envie de raconter des histoires ? Sans doute "L’Eclipse" d’Antonioni. J’avais 17 ans et en sortant de la salle de Chaillot (le film était invisible depuis 1962, enfin, paraît-il), j’ai gratté des dizaines de pages. Ce texte (perdu depuis) n’est ni du Balzac ni du Daney mais c’est quelque chose qui a à voir avec une quête, un lieu perdu, une femme disparue, un monde qui s’effiloche, qui se désintègre sous nos yeux sans que personne ne semble y prendre garde. On retrouve cela dans l’un des derniers plans de ce long métrage envoûtant au possible : un lampadaire iridescent, un grand bidon d’eau, une fuite, une rigole, et puis le noir. Je ne sais pas si j’ai rêvé tout ça… Cette scène est primitive pour moi, au sens où j’ai eu envie ce soir-là d’écrire, de raconter une histoire avant de pouvoir, du moins l’espérai-je, la filmer. ** Les héros préférés ?** Tous les antihéros chez Cassavetes. Les farfelus chez Fellini (spécialement dans "E la nave va"). Denis Lavant dans "Mauvais sang" de Carax. Charles Denner dans "L’Homme qui aimait les femmes" de Truffaut. Le photographe de "Blow-Up" ou le journaliste dans "Profession : reporter" d’Antonioni mais aussi Maria Schneider, sublime, inoubliable ! > Retrouvez l'intégralité des souvenirs de toiles de Philippe Di Folco sur Grand Écart