Amoureuse du patrimoine bâti, la designeuse Anna Saint-Pierre valorise les gravats et autres déblais de chantier pour en faire des revêtements innovants. Durant trois ans, ses recherches ont été développées auprès de l’agence d’architecture SCAU et du laboratoire recherche de l’École des Arts.
Cette jeune designeuse donne une seconde vie aux bâtiments en récupérant leurs déchets pour les introduire sous une nouvelle forme : des briques deviennent un sol, les gravats une peinture.
"Aujourd'hui, à l'ère de l'anthropocène et de toutes les questions que cela peut poser aux architectes, aux designers, on pourrait considérer que tout matériau mérite une forme de conservation et qu'il faudrait arrêter ce dualisme entre jetable et conservable, introduit Anna Saint-Pierre, doctorante de l'EnsadLab-SCAU en design textile. C’est en quelque sorte, une alternative entre la table rase au sens d’évacuer les matériaux, faire table rase de cette matérialité-là et la pure conservation où on conserverait l'édifice tel quel, sans y toucher, sans s'adapter au passé, au présent et aux nouveaux usages."
Une sensibilité à l'histoire des bâtiments
Sensible au patrimoine bâti français et à ses déchets, Anna Saint-Pierre faire revivre l’histoire des bâtiments sous une forme décorative. Ses recherches ont bénéficié d’un accès à une large typologie de chantiers SCAU traduits pour certains en terrains d’expérimentation. Ils sont le fruit d’un travail de collaboration avec les architectes de l’agence.
"On va travailler à sa seconde vie. Typiquement, ça peut être une façade en granit qui va devenir le sol d'un atrium d'un immeuble de bureaux. Ça peut être des cloisons en briques qui vont être abattues et justement, redevenir des parois mais cette fois-ci, un textile imprimé avec des briques où on va avoir une vraie souplesse dans la manipulation, ça peut être des sols excavés qui vont se retrouver en matériaux de façade. Justement pour faire référence à l'histoire géologique d'un sol", poursuit-elle.
Ses tissus innovants sont produits à base de poudre colorante avec l'idée de reproduire la même texture que la pierre. Mais le produit phare d'Anna Saint-Pierre est le granito. Un matériau de construction composé de fragments de pierre. Habituellement avec du marbre, ici elle le produit en fonction des déchets récupérés : pierre meulière, brique, granit.
"On vient prendre de la matière en grains après démolition et on va l'introduire dans un matériau qui s'apparente à un béton décoratif et on va venir travailler sur toutes sortes de calepins. Donc, on va faire varier à la fois la taille des grains, l'espacement de ces grains, la couleur du liant qu'on va utiliser sur ce type de rendu, on a fait, je pense, je ne sais pas combien d'échantillons où, effectivement, on a vraiment cherché à expérimenter toutes les variations esthétiques qu'on pouvait obtenir à partir de considérations purement techniques et matérielles", détaille Anna Saint-Pierre.
Recycler sous une autre forme
Anna Saint-Pierre souhaite également que ce projet améliore durablement le recyclage de ces déchets. Les déblais de chantier, très nombreux, sont stockés dans des déchetteries qui colonisent progressivement des terrains d’activités agricoles.
Ce phénomène a débuté après la Seconde Guerre mondiale avec l’introduction de nouveaux outils de démolition et de nouveaux matériaux comme le béton armé, la colle. Les pierres, sols ne peuvent plus être récupérés ou réutilisés bruts comme c’était le cas avant… ils deviennent systématiquement des gravats.
"De façon assez générale, ce projet parle à la fois de la vie d'un lieu, mais il parle aussi du coût de la réhabilitation des déchets et du rapport qu'on entretient avec ces déchets qu'aujourd'hui on a vraiment tendance à évacuer le plus loin possible de nos yeux. L'idée, c'est aussi d'en faire un des éléments de décor au sens, dans un environnement quotidien, où on va avoir accès visuellement à ces matériaux et ça fait en quelque sorte un peu partie d'un nouveau style architectural aussi. Et donc c'est aussi d'adapter les démarches de réemploi et de recyclage qui, initialement, étaient plutôt artisanales à des projets de grande ampleur. L'idée, c'est vraiment de parler de l'ADN du bâti et quand on va sur un chantier et qu'on regarde un peu ce qu'on va retrouver dans les bennes de chantier, on se rend compte qu'avec ces gravats, on pourrait reconstituer l'histoire et le style historique auquel appartient l'édifice qui est en passe de disparaître", conclut la designeuse.
Pour le moment, la designeuse travaille sur des projets de bâtiments non classés au patrimoine historique. C'est sa manière à elle d'affirmer que chaque construction mérite conservation.
Légende images vidéos : Anna Saint-Pierre - SCAU architecture (projets Les Petites Affiches, Fresk, Nanterre Partagée, Complexe sportif Hunebelle)
Pour voir son travail : https://www.instagram.com/annasaintpierre/?hl=fr