Sur les parois des grottes, l'art du paléolithique en trois mouvements
Par Pierre RopertLa grotte Lascaux 4 va bientôt être ouverte au public, qui pourra venir contempler l'art pariétal du paléolithique. Mais d'une grotte à une autre, retrouve-t-on les mêmes dessins ? Un bison s'y distingue-t-il d'un autre bison ? Au paléolithique, déjà, on peut distinguer certains styles artistiques.
Pendant le paléolithique, de - 40 000 à - 12 000, les Homo sapiens d'Europe ont couvert les parois des grottes de leurs dessins. Sur les murs, au fond des cavernes, pèle-mêle, l'artiste préhistorique a représenté la faune de son époque, sans se dessiner lui-même : dans l'art pariétal, au paléolithique, seul 6 % du corpus total représente l'Homo Sapiens. Sur les murs, on retrouve donc un bestiaire relativement stable : "Dans les périodes très anciennes, à l’Aurignacien (- 39 000 à - 28 000), au Gravettien (-31 000 à - 24 000), les félins, les mammouths, les ours et les rhinocéros vont dominer le bestiaire. Puis, il y a une période charnière aux alentours de - 17 000, où on a une inversion de ce bestiaire. Les animaux dominants vont alors être le cheval, le bison, le bouquetin, le cervidé. Les autres vont devenir des animaux rares", retrace Carole Fritz, chargé de recherche au CNRS au Centre de Recherche et d'Etude pour l'Art Préhistorique (CREAP).
A ses yeux, ces dessins préhistoriques ont pour objectif de raconter des histoires, des mythes. "C'est difficile d'en parler sans rentrer dans l'interprétation, précise-t-elle. Mais l'anthropologie démontre depuis très longtemps qu’il n’existe pas de société sans mythes. Je ne vois pas pourquoi le paléolithique dérogerait à la règle. Dans les sociétés, ce sont les mythes qui régissent l’organisation sociale, la pensée. Le problème c’est que nous n'avons pas d'ethnographie qui accompagne cela : on fouille des poubelles et on regarde des dessins ; c’est très difficile de reconstituer un mythe à partir de ça."
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Dans ces sociétés très figées, l'art pariétal a perduré, sans qu'il y ait, a priori, beaucoup de variations. "C’est très conservateur une société préhistorique, et donc il ne faut pas qu'il y ait de changement, surtout dans le symbolisme, raconte Carole Fritz. A partir du moment où vous avez une mythologie, ça veut dire que vous avez un choix dans les figures représentées. Entre - 40 000 et - 12 000, le bestiaire représenté a très peu évolué. " Pourtant, d'un lieu à un autre, d'une époque à la suivante, si le style confine toujours au naturalisme, il existe de flagrantes différences de styles.
De l'Aurignacien au Solutréen : un art plus "spontané" à la grotte Chauvet
- De - 40 000 à - 19 000.
"On est très embêtés, à l'heure actuelle, parce qu'il est très difficile de faire la différence entre l’Aurignacien, le Gravettien et le Solutréen." Malgré l'évolution des outils au fil des millénaires, la façon de représenter des animaux varie très peu entre ces périodes. Et les dessins les plus anciens, découverts à la grotte Chauvet, attestent de techniques artistiques et de qualités graphiques perfectionnées dès les - 36 000 ans.
"Les techniques mises en oeuvre à Chauvet produisent des dessins qui sont d’une qualité artistique que l’on peut comparer à certains grands peintres ou certains grands dessinateurs. Un dessin de Picasso et un dessin préhistorique, techniquement c’est la même chose. Si vous tombez sur un dessinateur très habile du paléolithique, vous aurez du mal à critiquer l’habileté du dessin par rapport à un Picasso ou un Barcelo par exemple."
La création artistique relève donc d'une démarche réfléchie : à Chauvet, pour dessiner sur les parois du fond de la grotte, les artistes préhistoriques doivent transporter des branchages à brûler, pour le charbon de bois comme pour la lumière. "Tout ça est réfléchi préalablement : si vous voulez des pigments rouges, il faut des hématites, qu'il faut aller chercher. Il y a une vraie organisation sociale derrière ces gestes."
Sur le site, on retrouve plus d'un millier de peintures et de gravures, dont 447 représentations d'animaux appartenant à 14 espèces différentes, de l'Aurignacien au Gravettien : "Ce qui caractérise la grotte Chauvet dans les manières de faire des artistes, hommes ou femmes, ce sont des dessins très vifs. Il y a un contact très fort entre l’artiste et la paroi, poursuit Carole Fritz. On voit qu’ils ont posé les mains, qu'il y a beaucoup de traces rouges… C’est-à-dire qu’on a des artistes qui sont très vigoureux, et ça se ressent sur le panneau des chevaux, dans le détour de la tête du cheval le plus célèbre, le numéro 4 : on a un détourage très fin, mais également très nerveux, pour faire un contraste blanc-noir, pour faire ressortir la tête. Ces contacts, ces gestes rapides, bien posés, montrent qu’il y a une maîtrise du geste." Pour représenter la faune, les artistes préhistoriques usent de nombreuses techniques : ils raclent les parois pour faire contraster le blanc de la pierre avec le noir du charbon, estompent les couleurs pour donner une sensation de relief ou gravent à même la roche.
"Je pense qu’il y avait un contact très fort, matériel pour le coup, entre la paroi et l’artiste. Il touche à la paroi, il dessine au fusain, il étale le noir, il le mélange au blanc de la paroi, à l’argile qui reste sur la paroi pour créer des noirs, des gris…"
Du Solutréen au Magdalénien : à Lascaux, les débuts d'une transition
- De - 22 000 à - 15 000.
"A Chauvet on nous fait voir que certains Aurignaciens sont très portés sur l’avant des animaux, très détaillés, mais on a aussi des animaux entiers, explique Carole Fritz. Mais après, Lascaux, on a des animaux complets. Ce ne sont pas des règles fixes, ce sont des appréciations d’artistes à un moment donné. Il y a des manières de faire, des tics graphiques propres à Lascaux ou Chauvet." La chercheuse estime que les dessins pariétaux de Lascaux sont "moins dynamiques dans la gestion du geste" que ce que l'on peut trouver à Chauvet, mais là où le site de Dordogne se distingue, c'est par le très gros travail des artistes préhistoriques sur la polychromie.
"Là encore, ça signifie qu’il y a une très grosse organisation préalable pour la recherche et la préparation des pigments", tient à préciser la chercheuse. Dans la majorité des grottes, dont Lascaux d'ailleurs, on retrouve avant tout des gravures dessinées au silex : "Pour eux, c'est comme un crayon. On retrouve d'ailleurs la même variabilité que sur les dessins faits aux pigments. A partir du moment où vous êtes dans un système à codification sociale vous retrouvez les mêmes codes sur les peintures que sur les gravures".
A Lascaux, déjà, on commence à entrapercevoir le style de la culture magdalénienne, plus appuyée sur le détail, là où, à Chauvet, les artistes privilégient des grands aplats de couleur pour figurer les volumes : "Ce détail maniéré, on ne l’a pas dans les périodes antérieures. Ça commence peut-être un peu à Lascaux justement, qui est un peu à la charnière entre ces périodes anciennes et le Magdalénien. A Lascaux, ça arrive à la fin de la dernière grande glaciation, donc on a des changements dans les organisations sociales, et un bestiaire qui va s'inverser dans la dominante."
Le Magdalénien : à la grotte de Marsoulas, le maniérisme de l'art pariétal
- De - 19 000 à - 10 000.
Le Magdalénien, la dernière phase du Paléolithique supérieur européen, comprise entre environ 17 000 et 12 000 ans avant le présent, voit émerger un art préhistorique moins nerveux, comme on peut le contempler à la grotte de Marsoulas, en Haute-Garonne.
"Quand je parle de l’art magdalénien je devrais dire “les arts” magdaléniens, précise d'emblée Carole Fritz. La culture magdalénienne s’étend sur toute la France, en Pologne, en Espagne… Il va y avoir des caractères régionaux qui vont entrer en ligne de compte. Chez les Magdaléniens, la ligne cervico-dorsale du bison peut être très différente d’un endroit à un autre par exemple : on reconnaît ainsi un bison de Dordogne d’un bison des Pyrénées. Mais des fois, on trouve un bison des Pyrénées en Dordogne. C’est très complexe, parce que ce sont des influences, des groupes qui se rencontrent, qui partagent des choses, des idées, des messages, des manières de reproduire…" La chercheuse insiste d'ailleurs sur le fait qu'on ne peut pas conclure à une évolution du style en fonction de l’évolution de la chronologie. Les zones géographiques sont également déterminantes dans l'essor des différents styles.
Dans la grotte de Marsoulas, on peut contempler des systèmes polychromiques comme des gravures. "On a un grand bison fait avec des points rouges, posés au doigt sur la paroi, mais il n'y a pas de contacts parasites, c’est très appliqué, décrit Carole Fritz. Il y a un dynamisme dans l'exécution, mais il y a moins de nervosité". A ses yeux, ce qui caractérise l'art pariétal magdalénien, c'est son maniérisme : les artistes vont au plus près de l'animal et dessinent les plus petits détails, jusqu'à faire les poils de duvet autour des yeux.
"Ils vont aller jusqu’aux détails les plus intimes. Il faut savoir que le tour de l'oeil du bison est une peau sans poils : ils dessinent comme une lunette autour de l’oeil, pour visualiser cette partie sans poils. Ensuite, ils vont faire des centaines de milliers de petits traits pour représenter le pelage de l’animal."
Depuis l'Aurignacien, la représentation des animaux a changé : au Magdalénien, les animaux ne sont plus de profil avec des encornures vues de face. "Cela va différer parce qu'au Magdalénien, on est dans un naturalisme exacerbé. Ça ne signifie pas qu'avant ça n'était pas du naturalisme, c'était juste plus stylisé."