Suzanne Citron, l'historienne qui appelait à dénationaliser l'histoire de France

Publicité

Suzanne Citron, l'historienne qui appelait à dénationaliser l'histoire de France

Par
Suzanne Citron en 2015 dans une vidéo du Comité de Vigilance des Usages Publics de l'Histoire
Suzanne Citron en 2015 dans une vidéo du Comité de Vigilance des Usages Publics de l'Histoire
- capture d'écran

Disparition. Elle est morte ce 22 janvier 2018. Suzanne Citron, historienne, auteure du "Mythe national", était notamment connue pour ses travaux sur l'école de la IIIe République qui, estimait-elle, avait inventé le mythe de l'histoire de France.

Elle avait 95 ans. L'historienne Suzanne Citron s'est éteinte à Paris ce 22 janvier 2018. Celle pour qui la commémoration ne devait "pas être une auto-célébration narcissique" a consacré une grande partie de ses travaux à la question du mythe national, et à la manière dont l'école de la IIIe République l'avait inventé et cultivé. Suzanne Citron appelait à dénationaliser et réinventer l'histoire de France. Dans Libération, le 30 décembre 2004, elle estimait ainsi que "le récit historique fantasm[ait] une pureté originelle" :

Inventée pour et transmise par l'école de la IIIe République, notre histoire multiculturelle et poly-ethnique doit être réécrite dans la France d'aujourd'hui, une France post-vichyste, post-coloniale, amarrée au char de l'Europe, insérée dans la complexité du monde du XXIe siècle.

Publicité

Née Suzanne Grumbach en 1922 en Moselle, dans une famille juive, elle franchit clandestinement la ligne de démarcation avec sa sœur sous l'Occupation, tandis que deux cousins de sa mère sont victimes des premières rafles. Elle poursuit ses études d'histoire à Lyon, tout en participant à des activités de résistance. Elle y est arrêtée en juin 1944, peu après le débarquement, ce qu'elle racontait à L'Humanité en mars 2014 :

Je tombe sur une souricière de la Gestapo. [...] Je suis retenue pour mon patronyme (Grumbach) et embarquée avec le reste du bureau jusqu’à la place Bellecour, siège de la Gestapo. Là, grâce à ma carte d’identité falsifiée puisque le nom de ma mère, Dreyfus, avait été maquillé, je serai considérée comme demi-juive, ce qui me sauvera de la dernière grande déportation depuis Drancy.

Le colonialisme comme révélateur

Après la guerre, Suzanne Citron découvre le colonialisme, ce qui lui fait reconsidérer pour la première fois l'histoire de France avec un esprit critique. Elle se documente avec un œil neuf sur l'Indochine française jusqu'à la mutinerie de 1930, la tuerie de Madagascar de 1947... et la Guerre d'Algérie, comme elle le racontait, toujours dans L'Humanité, en 2014 :

Le livre interdit de Francis et Colette Jeanson, "L’Algérie hors la loi", publié en 1955, révèle les enfumades du général Bugeaud à la professeure agrégée que j’étais. On m’a donc menti sur l’histoire de France. Je comprends bientôt que les pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement Guy Mollet le 12 mars 1956 par la gauche tout entière, communistes compris, sont le paravent d’un système de torture rappelant la Gestapo. La guerre d’Algérie, c’est donc la République qui torture au nom de la France une et indivisible de Dunkerque à Tamanrasset. Mon image de la République, préservée par la Résistance, s’effondre.                                  
 

Elle prend alors ses distances avec l'enseignement et ses méthodes, estimant que la pédagogie avait créé et consacré cette mythologie nationale. 

En janvier 2006, dans "La Fabrique de l'Histoire" d'Emmanuel Laurentin, Suzanne Citron était venue débattre autour de la question du récit national avec Pierre Birnbaum, Patrick Garcia, Christian Amalvi et Pap N'Diaye. Une table-ronde menée par Emmanuel Laurentin, et dans laquelle l'historienne revenait sur la manière dont l'histoire de France avait été fabriquée : 

Lavisse notamment, et l'historiographie républicaine, ont construit cet unanimisme sur des fondements beaucoup plus anciens qui étaient pratiquement une historiographie remontant à Grégoire de Tours et représentait les rois de France comme les héritiers des rois francs. Et par conséquent, on construisait un récit du passé qui commençait avec Clovis du point de vue de l'historiographie royaliste, et comme entre temps le mythe gaulois s'était développé, [...] on accrochait en amont de l'historiographie qui venait en fait des grandes chroniques de France, des ancêtres gaulois qui apparaissaient brusquement et ont été cristallisés dans les manuels de Lavisse.

Le récit national (4/4)_La Fabrique de l'Histoire, 5 janvier 2006

53 min

Suzanne Citron avait involontairement fait parler d'elle lors des dernières élections présidentielles, lorsque François Fillon s'était vu remettre un exemplaire du Mythe national par l'historienne Laurence De Cock, lors de "L'Emission politique" du 24 mars 2017, sur France 2. Résultat des courses ? Rupture de stock pour l'ouvrage, une semaine plus tard.

En décembre 2015, Suzanne Citron se racontait dans une vidéo du Comité de Vigilance des Usages Publics de l'Histoire.