Syrie : les sanctions sont-elles efficaces ?

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Syrie : les sanctions sont-elles efficaces ?

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Le "Caesar Act", qui entre en vigueur le 17 juin, vise à asphyxier financièrement le régime syrien, quel qu'en soit le prix pour la rue, pour qu’il s’engage dans une transition politique crédible.
Le "Caesar Act", qui entre en vigueur le 17 juin, vise à asphyxier financièrement le régime syrien, quel qu'en soit le prix pour la rue, pour qu’il s’engage dans une transition politique crédible.
© AFP - LOUAI BESHARA

Les États-Unis imposent aujourd'hui de nouvelles sanctions à la Syrie dans le cadre du "Caesar Act". Elles visent à faire pression sur le régime de Bachar al-Assad. Mais leur impact sur une population usée et ruinée peut se révéler plus coûteux que les bénéfices politiques attendus.

Déjà fragilisée et appauvrie par la guerre et l’effondrement économique du Liban voisin, la Syrie de Bachar al-Assad est une nouvelle fois dans le collimateur des États-Unis.

L’entrée en vigueur du "Caesar Syria Civilian Protection Act" vise à sanctionner les individus, entités ou sociétés qui entretiennent des relations économiques avec Damas. Ce dispositif concerne ses voisins : le Liban, la Jordanie, l’Irak mais aussi l’Égypte qui continue de commercer avec la Syrie.

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Bref, il s’agit d’asphyxier financièrement le régime syrien pour l’empêcher de reconstruire le pays et lui tordre le bras afin qu’il s’engage dans une transition politique crédible.

Un impératif absolu de justice

À l’origine de ces mesures punitives, la "Loi Caesar" tire son nom du transfuge de l’armée syrienne qui a fait sortir clandestinement plus de 50 000 photographies de Syriens torturés à mort dans les geôles du régime. Un dossier accablant des basses œuvres des services syriens.

"Il y a un impératif absolu de justice pour les victimes, explique Nadim Houri, directeur du think tank Arab Reform Initiative (ARI). On ne peut pas passer l’éponge sur tous ces crimes."

Les sanctions ne peuvent pas non plus être la seule option. Elles doivent avoir le minimum d’impact sur la population. Toute la question, et le défi, est de concilier la justice et l’humanitaire.

Officiellement, ces sanctions américaines mais aussi européennes ne concernent pas les biens humanitaires. Mais dans la réalité, aucune entreprise et aucune banque ne s’avise d’exporter médicaments ou équipements hospitalier vers la Syrie de peur de subir les foudres de Washington.

Dans son hôpital d'Alep, le Dr Marwan al-Khatib voit défiler tous les malheurs d'une population traumatisée par la guerre et qui aujourd'hui plonge dans la misère. Lui-même gère son hôpital avec des bouts de ficelles. Les nouvelles sanctions américaines sont pour lui un nouveau coup de massue.

Un embargo inhumain

"Cet embargo est inhumain, témoigne le Dr Al-Khatib par téléphone_. La santé doit être sans frontière. On ne doit pas jouer avec la santé des gens. Si une machine d’anesthésie tombe en panne, il sera très compliqué de la réparer. Beaucoup de techniciens de maintenance ont quitté le pays depuis le début de la guerre. Le prix des pièces détachées a énormément augmenté. Au final, ceux qui payent le prix, ce sont les malades."_

Ce régime sévère de sanctions américaines et européennes contre le régime syrien rappelle celui mis en œuvre dans les années 1990 contre l’Irak de Saddam Hussein. Loin d’affaiblir le raïs irakien, l’embargo avait au contraire consolidé son pouvoir, lui permettant même de manipuler à son profit le programme de l’ONU "pétrole contre nourriture".

"Je ne pense pas que ces nouvelles sanctions vont entraîner la chute du régime, estime l’économiste franco-syrien Samir Aïta. En revanche, la Syrie risque de connaître la famine."

L’ennemi réel de Bachar al-Assad, c’est la paix. Or, ces sanctions introduisent une autre dimension de la guerre qui va le renforcer.

80 % de Syriens sous le seuil de pauvreté

En attendant, la population sombre dans la pauvreté et la précarité. Certains Syriens affirment même qu’ils avaient moins de problèmes économiques pour boucler les fins de mois pendant la guerre qu’aujourd’hui. 

Les chiffres donnent l’ampleur de la catastrophe humanitaire en cours. 4 Syriens sur 5 vivraient aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Plus de 11 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire pour survivre.

"Pourquoi punir des gens qui ont subi la guerre ?" s’interroge un sénateur du groupe d’amitié France-Syrie, qui suggère que l’Union européenne mette en place un instrument bancaire pour financer l’achat de biens alimentaires et médicaux pour le pays.

Même si sa mise en œuvre a longtemps été retardée, l’UE et l’Iran ont ainsi créé Instex (Instrument in Support of Trade Exchanges), un mécanisme de troc pour échanger des biens médicaux et agricoles et contourner ainsi les sanctions américaines contre la République islamique.

Le rôle de la diaspora syrienne

"On pourrait aussi imaginer un représentant humanitaire de l’UE pour la Syrie qui aurait un rôle de coordination de l’aide, ajoute Nadim Houry. Au-delà, il faudrait aussi faciliter le transfert de fonds de la diaspora syrienne pour aider leurs proches sur place, comme par exemple, envoyer de l’argent pour une opération chirurgicale d’un parent." Aujourd'hui, ce n'est pas possible.

Le problème, c’est que sur le dossier syrien, regrette Didier Billion de l’ Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), "la communauté internationale est divisée. Les Russes et les Chinois jouent leur propre partition". Ces deux membres du Conseil de sécurité de l’ONU ne se privent d’ailleurs pas de mettre leur véto pour autoriser le passage transfrontalier de l’aide humanitaire vers la Syrie.

Le régime syrien, de son côté, fort de sa victoire militaire acquise grâce à l’appui de Moscou, de Téhéran et du Hezbollah, ne veut rien lâcher. Face à lui, les États-Unis et les Européens sont dans une posture stérile du tout ou rien. Résultat : la population syrienne est sacrifiée sur l'autel de la géopolitique.

Des sanctions temporaires… qui s’éternisent !

Les sanctions sont faciles à instaurer mais difficile à lever. Elles entraînent un pourrissement de la situation sur le terrain et l’appauvrissement de la population. La plupart du temps, elles sont contreproductives. À l’exception de l’Afrique du Sud de l’apartheid – parce que les membres du Conseil de Sécurité étaient unis à l'époque –, aucun régime autoritaire n’est tombé ou s’est amendé sous le coup d'un embargo.

La "Loi Caesar" peut-elle malgré tout servir de déclic aux protagonistes de la tragédie syrienne ? Dans le cadre d’un processus politique, il manque une feuille de route pour la justice. Elle pourrait commencer par le dossier des détenus et des disparus, piloté via le CICR ou tout autre organisme crédible et indépendant. Mais encore faut-il de la bonne volonté des uns et des autres. Une denrée rare en Syrie.