À Meudon, combat souterrain pour le patrimoine : "Tant que la destruction n’est pas faite, on sera là"
Par Héloïse DécarreMéconnue du grand public, mais classée depuis 1986, la carrière Arnaudet de Meudon, dans les Hauts-de-Seine, est un trésor patrimonial. Face au risque d’effondrement, son comblement a été validé par la justice. Le chantier a démarré au début du mois de juin, mais les opposants restent mobilisés.
En contrebas du musée Rodin, dans le quartier de Val Fleury à Meudon, se cache une petite relique de l’histoire locale. Sous terre, l’ancienne carrière Arnaudet s’étend sur 8 kilomètres de galeries voûtées. Entre 1870 et 1925, on y extrayait de la craie. Fermé depuis son classement en 1986, le site est donc méconnu du grand public. Et pourtant, la valeur de cette cathédrale souterraine est inestimable.
Un trésor du patrimoine local
Cette carrière revêt une valeur historique car elle témoigne du passé industriel de la région (on peut y découvrir des puits d’aérage, et d’anciennes champignonnières), mais aussi scientifique : miroirs de faille et micro-fossiles de plus de 60 millions d’années y sont visibles. Sans parler de l’intérêt historique du lieu, tenant debout grâce à des croisées de voûtes en plein cintre.
Mais ce trésor risque en partie de disparaître. Tout commence en 2013, lorsque le sénateur et ancien maire de Meudon, Hervé Marseille (UDI), prend un arrêté de péril imminent face au risque d’effondrement de la carrière. En 2017, le risque est également relevé par l’Ineris, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques. Selon la mairie, une quarantaine d’habitations et de locaux d’activités se trouveraient dans la zone d’incidence. Pour la préfecture, comme pour la ville, le danger de vivre un drame similaire à la catastrophe de Clamart est trop grand. En 1961, 21 personnes étaient mortes à la suite de l’effondrement de la carrière de cette ville voisine.
"Quand une bâtisse classée menace de s’effondrer, on a la possibilité soit de la réhabiliter, soit de la détruire : ici, on est sur une mairie qui a choisi de détruire son patrimoine", Magdaleyna Labbé, meudonnaise et militante pour la défense du site.
La mairie de Meudon obtient donc, en 2019, une autorisation spéciale de travaux en site classé, délivrée par le ministère de l’Écologie. En découle un conflit judiciaire entre certains habitants de Meudon et autres protecteurs du patrimoine, réunis dans un collectif, et l’État. Car selon certains scientifiques, comme le géologue Jean-Pierre Gély, la carrière est stable, et le risque d’effondrement surestimé. Les défenseurs de la carrière Arnaudet préconisent donc d’autres solutions pour la sécurisation du site, comme un renforcement par maçonnerie des 106 piliers fragilisés (sur 300 au total). "On n’est pas là pour dire qu’il ne faut pas mettre en sécurité la carrière !, insiste Magdaleyna Labbé, meudonnaise et militante pour la défense du site. Nous ce qu’on veut, c’est une mise en sécurité respectueuse du site classé. Quand une bâtisse classée menace de s’effondrer, on a la possibilité soit de la réhabiliter, soit de la détruire : ici, on est sur une mairie qui a choisi de détruire son patrimoine", déplore-t-elle.
Détruire la moitié du site, pour ne pas en perdre la totalité
Au contraire pour Denis Larghero (UDI), maire de Meudon, "c’est l’absence de travaux qui menace le classement de la carrière, puisque sans cela le risque d’effondrement finira par la faire disparaître". L’élu insiste sur son rôle de représentant de l’État et de responsable pénal en cas d’incident. Il affirme avoir "légitimement confiance dans les institutions de l’État qui ont à charge d’étudier les risques", et assure que "le renforcement de la maçonnerie n’apporte pas les mêmes garanties, à la fois technique et de sécurité".
"Le renforcement de la maçonnerie n’apporte pas les mêmes garanties, à la fois technique et de sécurité", Denis Larghero, maire (UDI) de Meudon
Le projet prévoit de combler 45% de la carrière grâce à des gravats issus des chantiers du Grand Paris, pour sauver les 55% restants. Le but, pour la mairie : mettre en valeur la moitié du site, pour éviter que l’entièreté ne disparaisse. "L’objectif, c’est de pouvoir valoriser et de rendre visitable cette carrière", précise Denis Larghero. Problème : le remblaiement va concerner la partie centrale du lieu, bloquant l’accès aux voûtes en arêtes et autres fossiles, selon les opposants au projet. Un argument rejeté par l’édile. "C’est une erreur de dire que ces galeries ne seront pas visitables. La certitude c’est qu’aujourd’hui, 0% de la carrière est visitable. Nous allons lancer une étude qui va permettre de voir dans quelles conditions on pourra rendre accessibles ces différentes parties, dont les grandes galeries qui se trouvent au fond", promet-il.
L'impact environnemental du projet, source d'inquiétude
Pas de quoi rassurer Magdaleyna Labbé, qui s’inquiète aussi de l’impact environnemental des travaux. "A propos des déblais qui seront apportés, on ne nous a fourni aucune étude prouvant qu’ils ne seraient pas polluants", explique-t-elle. Du côté de la mairie, on ne parle pas de gravats, ni de débris, mais de "terres inertes". Des "terres inertes qui seront tracées depuis leur zone d’extraction, pendant le transport, à l’arrivée sur le site, et au moment de leur insertion dans la carrière", selon Denis Larghero. Un contrôle qui sera mené par deux bureaux d’études, l’un missionné par l’entreprise responsable du chantier, l’autre indépendant. Le maire de Meudon souligne que la préfecture suivra également les travaux de près.
Et en ce qui concerne le chantier en lui-même, qui durera 8 à 9 mois, la mairie certifie que tout a été fait pour limiter son emprunte carbone. "Les zones d’extraction doivent être situées à moins de 25 kilomètres du chantier", détaille Denis Larghero. "Plusieurs camions vont défiler en faisant 50 kilomètres aller-retour tous les jours", réplique Magdaleyna Labbé.
Un terrain bientôt constructible
Prix du comblement de la carrière Arnaudet : 6 millions d’euros (pris en charge à 50% par le fonds Barnier, qui accompagne les collectivités devant effectuer des travaux liés à des risques majeurs, et par le fonds de recyclage des friches de la région Ile-de-France à hauteur de 900 000 euros - le reste sera financé par la mairie du Meudon et les autres copropriétaires de la carrière). Mais l’avantage du projet, pour les pouvoirs publics, c’est qu’il rendra constructibles les terrains au-dessus de la carrière.
Un espace qui deviendra un parc public, jouxtant le jardin du musée Rodin, rassure la mairie. Mais là encore, pas de quoi satisfaire les protecteurs de la carrière. "Autour de ce petit parc public, il y aura 28 000 mètres carrés de logements !, déplore Magdaleyna Labbé. C’est énormément d’immeubles qui vont pousser sur cette colline, qui actuellement est verte et faite de petits ateliers d’artistes". Effectivement, une friche de deux hectares en bordure de la carrière a remporté la 3ème édition du concours Inventons la métropole du Grand Paris, augurant de nombreuses constructions à venir.
Les deux parties semblent irréconciliables, et résument bien le difficile équilibre entre préservation du patrimoine et besoins d’aménagement des territoires, face à une population de plus en plus nombreuse. Mi-mai, une tribune publiée dans Le Figaro, signée par une trentaine de personnalités de la culture, dont Stéphane Bern, a appelé à la protection du site. Mais, au début du mois de juin, les travaux de sécurisation ont bien commencé. Pour Magdaleyna Labbé, le combat continue. "Ça fait quatre ans qu’on se bat, on ne va pas baisser les bras. Tant que la destruction n’est pas faite on sera là !, clame-t-elle. On espère que le ministère de la Culture nous entende, et se saisisse de ce dossier. Pour l’instant, il est aux abonnés absents".