Travail en temps de Covid-19 : une enquête de la CGT sonne l’alarme avant le déconfinement
Par Annabelle GrelierLe collectif des jeunes diplômés de l’Ugict, l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, livre une enquête détaillée sur les conditions de travail pendant ces deux mois de confinement. La guerre dans le monde du travail a bien eu lieu, comment rectifier le tir ?
C’est la première fois qu’une enquête quantitative à l'initiative d'une organisation syndicale est menée dans une période aussi exceptionnelle. Pilotée par le collectif Des chiffres et Des luttes, qui réunit des professionnels de la statistique publique de la Dares et de la Dress syndiqués à la CGT, cette enquête offre un panorama assez complet des bouleversements qu’ont vécus les salariés depuis le 16 mars dernier.
56 % des salarié·es en chômage partiel ont perdu des revenus
Plus de la moitié des salarié·es en chômage partiel ont perdu des revenus depuis le début du confinement. Pourtant, la prise en charge de 84 % du salaire en cas de chômage partiel, associée aux exonérations de cotisations pour les entreprises continuant à rémunérer leurs salariés à 100 %, aurait dû permettre aux entreprises de maintenir intégralement les salaires selon la CGT. Ceci concerne d’abord les salariés ayant les salaires les plus faibles, les ouvriers et les employés qui sont les plus nombreux à être en chômage partiel, pour qui une brutale chute de revenus est d’autant plus compliquée.
A noter, 14 % des salarié·es qui ont continué à travailler en présentiel et 6 % de ceux qui sont en télétravail disent avoir perdu des revenus, contre 3 % qui en ont gagné en présentiel et 1 % en télétravail.
On est bien loin de la prime promise par le gouvernement à toutes celles et ceux qui continuent à se rendre sur leur lieu de travail et mettent en danger leur santé ! déplore Sophie Binet, co-secrétaire générale de l'Ugict-CGT
Pire encore, 31% des salariés déclarent avoir continué à travailler malgré le chômage partiel total ou l’arrêt maladie. "Ceci est illégal et s’apparente à du travail au noir" dénonce-t-on à l'Ugict. Ce phénomène semble s’être concentré dans le secteur privé pour les salarié·es en chômage partiel total et dans la fonction publique pour celles et ceux placé.e.s en autorisation spéciale d’absence.
Concernant la perte de congés et les jours de RTT, là aussi les chiffres sont éloquents. Dans le privé, 55 % des cadres, la moitié des professions intermédiaires, et 45 % des ouvriers/employés ont ou vont perdre des congés.
Dans le public, les chiffres sont plus faibles, la perte de congés concerne 38% d’entre car l’ordonnance sur le prélèvement des jours de congés ou de RTT pour le secteur public a été publiée le 15 avril 2020 au milieu de la collecte de l'enquête. Cette ordonnance prévoit le prélèvement de 10 jours dans la fonction publique d’Etat pour les personnes en autorisation spéciale d’absence, et le chef de service peut imposer 5 jours supplémentaires pour les personnes qui télétravaillent. Ces mêmes dispositions sont possibles dans la fonction publique territoriale, à la discrétion des collectivités, ce qui laisse dire à la CGT que cela pénalisera la majorité des fonctionnaires et notamment les femmes.
Seuls 21 % des salariés interrogés se sentent protégés par les mesures barrières mises en place
A l'Ugict-CGT, on reconnaît qu’au début du confinement, tout s’est installé dans la panique et l’urgence d’une situation inédite tant pour les employeurs que pour les salariés. Mais au fur et à mesure du confinement et jusqu’à la fin, la plupart des nouvelles organisations mises en place ne se sont guère améliorées. Un constat d’autant plus alarmant qu’on se rapproche de la date de déconfinement prévue pour le 11 mai.
L'enquête révèle le manque cruel de matériels de protection et la généralisation de pratiques hasardeuses sur les sites de production : 62 % des salariés interrogés déclarent ne pas avoir eu suffisamment de masques et de gants alors que 56% étaient en contact avec du public, 40% ont déclaré avoir dû se rendre sur des sites infectés, 60% ont travaillé avec plus de 6 collègues par jour, 63% n’ont pu bénéficier de mesures d’éloignement des personnes malades, quand pour 93% des salariés en présentiel aucune alternative aux transports en commun ne leur a été proposé par leurs employeurs.
Pour les salariés en télétravail, la situation n’est pas plus satisfaisante. Avant confinement, seuls 3 % des salariés en France exerçaient leur activité en télétravail. Après le 16 mars, ils étaient plus d'un quart, bien souvent sans le matériel adapté ni expérience de cette nouvelle organisation.
La transition s’est faite de manière chaotique et parfois maltraitante, relate Marie-José Kotlicki, co-secrétaire générale de l'Ugict-CGT
Surcharge de travail, non-respect du droit à la déconnexion, non-respect des horaires : "Il faut en finir avec le télétravail en mode dégradé !" exige-t-elle, à l'image de ce récent communiqué.
60 propositions pour installer des solutions durables
L’épidémie s’installe dans la durée et il faut trouver des solutions durables pour enrayer les risques psycho-sociaux engendrés par la période de confinement estime l'Ugict-CGT dont l’enquête a également mise en exergue la pression subie par les personnels encadrants. Managers et chef de service ont souvent dû mettre en œuvre des consignes imposées par leur hiérarchie sans moyens ni réelles réflexions.
La CGT conditionne le déconfinement à la garantie du respect de la santé des salariés. Parmi ses 60 propositions, elle réclame en priorité la mise en place de négociations systématiques avec les organisations syndicales. La reprise d’activité doit être soumise à la signature d’un accord d’entreprise. "Pas de protection, pas de travail" résume ainsi le syndicat. Il demande également la mise en place d’un droit d’alerte suspensif pour les encadrants et le renforcement du rôle des institutions de contrôle que sont les médecins et les inspecteurs du travail. La CGT souhaite également l’ouverture de négociations sur la numérisation du travail. Plus largement, il s’agit pour la confédération de corriger les abus et le non-respect du code du travail constatés pendant la période du confinement pour qu’ils ne se poursuivent dans les prochains mois sous la menace du chantage à l’emploi qui ne manquera pas d’accompagner la reprise d’activité.
Un déconfinement en effet placé sous le signe de la peur de perdre leur emploi pour un gros tiers des salariés et notamment les précaires, les CDD ou intérim chez qui ce chiffre s'élève à 47%. L’enquête montre également que malgré leur niveau de qualification, les cadres du privé sont 30 % à craindre pour leur emploi, à peine moins que les ouvriers et les employés avec 35 %.