Twitter "était une plateforme de choix pour les djihadistes"

Publicité

Twitter "était une plateforme de choix pour les djihadistes"

Par
Compte Twitter de propagande djihadiste
Compte Twitter de propagande djihadiste

Le Forum International de la Cybersécurité de Lille a été l'occasion de revenir sur l'état de la menace cyberdjihadiste sur les réseaux sociaux. Une responsable de Twitter France a notamment raconté comment la plateforme avait changé de politique après l'attentat de Charlie Hebdo de janvier 2015.

La défaite du groupe Etat Islamique n'a pas seulement eu lieu sur le terrain en Syrie et en Irak. La déroute concerne aussi les réseaux sociaux. C'est l'un des enseignements tirés lors du Forum International de la Cybersécurité de Lille.

A l'occasion d'une table ronde, des responsables de Twitter et de la police ont expliqué comment la lutte s'est organisée sur le front des réseaux sociaux. Car le front médiatique a toujours était considéré comme stratégique par le groupe Etat Islamique. Tout autant que la lutte armée. "Il y a de nombreuses citations, de nombreux posters qui disent que le djihad des médias c'est 50% du djihad, explique Laurence Bindner, ancienne membre du Centre d'analyse du terrorisme. La propagande a toujours été très importante en termes de communication et en termes de positionnement 'marketing' d'un groupe terroriste".

Publicité

Ce positionnement a pris une tournure massive à la fin des années 2000 avec l'avènement des réseaux sociaux Facebook, Youtube, Twitter. Jusqu'ici, les djihadistes occupaient surtout des sites web et des forums. En 2014, le groupe Etat Islamique est à son apogée sur les réseaux. Des milliers de comptes diffusent en masse des contenus djihadistes sur de nombreuses plateformes. La prise de conscience a lieu avec l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015.

Avant cette date, la question ne se posait quasiment pas comme le reconnait Audrey Herblin, directrice des affaires publiques de Twitter France :

On ne se souciait pas suffisamment du sujet car on n'en mesurait pas la portée à l'époque. On a été créé en 2007, on était encore très jeunes. On avait beaucoup de mal à percevoir les enjeux que ça posait, au delà même de la plateforme. Et au-delà même de l'enjeu sociétal.

Elle reconnaît que la dimension ouverte et publique de Twitter en a fait "une plateforme de choix pour la propagande de l'Etat islamique. Et aussi pour le recrutement. C'est très clair, il ne faut pas le nier".

A l'époque, le réseau social axe sa stratégie sur une liberté d'expression totale. Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution sanctuarise cette liberté. Après l'attentat contre Charlie, Twitter planche sur le sujet. 

Une partie de la réponse se fait au sein de Twitter. La plateforme revoit les conditions d'utilisation de son réseau pour se donner de la marge de manœuvre dans la suppression des contenus en lien avec le terrorisme. Jusqu'en 2015, pour être supprimé, un contenu devait être préalablement signalé par des utilisateurs.

Désormais, Twitter dispose d'outils de recherches et de suppressions de contenus et de comptes faisant de la propagande djihadiste. A l'été 2015, l'entreprise met au point un algorithme de détection des contenus problématiques. En deux ans et demi (jusqu'au 31 décembre 2017), 1,1 million de comptes liés au terrorisme sont supprimés. Dont les trois quarts par l'algorithme de Twitter. L'entreprise met en avant l'efficacité de l'outil qui arrive même à supprimer des comptes djihadistes très rapidement après leur création et avant même la publication d'un premier tweet.

"C'est un faisceau de signaux qui nous permettent d'identifier que le compte s'est créé dans le seul but terroriste", précise Audrey Herblin.

Les autres contenus supprimés le sont sur signalement des utilisateurs et des autorités. C'est la deuxième partie de la réponse de Twitter : mieux collaborer avec les services de l'Etat. Mais le rapprochement n'a pas été évident, selon Audrey Herblin :

Il y avait presque de la défiance, en tout cas de la méfiance, pour des entreprises comme les nôtres d'avoir des rapports trop proches avec l'Etat. Mais on a mis  ça de côté car il y a un intérêt supérieur et on a besoin de mieux se comprendre. 

Les différents acteurs se rencontrent désormais régulièrement. Cette réponse couplée aux défaites du groupe Etat islamique a permis de faire reculer les cyberdjihadistes. Selon la chercheuse Maura Conway, le nombre moyen d'abonnés à des comptes Twitter djihadistes est passé de 177 en 2014 à 14 aujourd'hui.

Cet affaiblissement des cyberdjihadistes se ressent également dans le nombre de signalements en ligne à la plateforme Pharos, gérée par le ministère de l'Intérieur. Pharos a reçu 6.000 signalements en lien avec le terrorisme en 2017, soit deux fois moins qu'en 2016.

Mais la menace n'a pas totalement disparu. Ces derniers mois, les djihadistes encore actifs se sont repliés sur des petites plateformes ou sur des réseaux sociaux connus pour ne pas collaborer avec les autorités comme la messagerie Telegram. Mais les autorités françaises ne désespèrent pas d'obtenir de l'aide de la part de l'entreprise.

"Même les plateformes les plus réticentes commencent à réfléchir", se réjouit François-Xavier Masson, directeur de l'Office Central de lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC) :

Parce qu'avoir le nom de sa plateforme associé à une activité terroriste, en matière d'image de marque et de volume d'affaires, ce n'est pas ce qui se fait de mieux.