
La curiosité d'Umberto Eco ne connaissait pas de limites : écrivain, philosophe et sémiologue, il cherchait à "voir du sens là où on serait tenté de ne voir que des faits". Prolifique, il laisse derrière lui une oeuvre conséquente. Rapide tour d'horizon, en cinq ouvrages.
L'Œuvre ouverte (1965)
Formé à l'université de Turin en 1954, Umberto Eco en ressort diplômé en philosophie et s'intéresse rapidement à la culture populaire et à l'art d'avant-garde. En 1965, paraît L'Oeuvre ouverte (Points), premier essai de l'auteur sur l'art, où il pose les bases de sa théorie. "L'œuvre d'art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant", y écrit Umberto Eco. L'auteur y développe pour la première fois l'idée que l'oeuvre est un objet ouvert et que l'interprétation du lecteur participe à son invention. Deux ans plus tard, l'écrivain publie, Apocalittici e integrati, où il plaide pour un engagement critique face aux médias. Ces deux ouvrages font très rapidement d'Umberto Eco un intellectuel reconnu en Italie. L'Œuvre ouverte est le texte fondateur de l'oeuvre sémiologique de l'écrivain, qu'il poursuit avec de nombreux autres ouvrages, parmi lesquels La Structure absente (1968) ou Le Rôle du lecteur (1979).
Le Nom de la rose (1980)
Impossible de faire l'impasse sur le roman phare de la conséquente bibliographie de l'érudit italien, qui l'a rendu célèbre aux yeux du grand public. A la fin des années 70, Umberto Eco est sollicité pour participer à une collection de polars courts. L'écrivain refuse, assurant qu'il a l'intention d'écrire un roman d'au moins 500 pages, et s'attelle à la tâche. En 1980, sort ainsi Le Nom de la Rose, brillant roman médiéval sur fond de polar : en l'an 1327, dans une abbaye bénédictine du Nord de l'Italie, une série de crimes nécessite l'intervention de l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, alors que règne un climat de conflit théologique entre franciscains et autorité pontificale. Dans ce premier roman, Umberto Eco met à contribution le lecteur et le sollicite, via de nombreuses références (notamment à Thomas d'Aquin, sur lequel Umberto Eco a effectué sa thèse de fin d'études) et des énigmes. Il pose ainsi les jalons de sa littérature, réflexive, qui s'appuie sur l'érudition et le discernement des lecteurs.
Lors de la sortie de l'ouvrage, en 1980, le public italien y voit une référence au fanatisme des Brigades rouges, ce qui peut en partie expliquer son succès inattendu (Umberto Eco a en partie contesté cette interprétation). Le roman n'en est pas moins un immense succès : il se vend à plusieurs millions d'exemplaires et est traduit en 43 langues. En France, il est récompensé du Prix Médicis étranger en 1982. En 1986, son adaptation au cinéma par Jean-Jacques Annaud, avec Sean Connery dans le rôle de Guillaume de Baskerville, achève d'en faire un monument de la culture populaire.
Les Limites de l'interprétation (1990)
En 1990, dans Les Limites de l’interprétation, Umberto Eco poursuit sa réflexion sur la relation entre l'auteur et le lecteur, et questionne ainsi la littérature, son interprétation et ses limites. Le sémiologue temporise : il faut trouver des limites à l'interprétation, elle doit être encadrée, finie, pour produire du sens et il n'est pas souhaitable de pousser l'art de lire entre les lignes. Umberto Eco rétablit une dialectique entre les droits du lecteur et les droits du texte, de l'auteur.
Comment voyager avec un saumon (1998)
L'humour est caratéristique de l'oeuvre d'Umberto Eco, et s'inscrit en filigrane de sa production. Quand il ne rédige pas des romans ou des essais, Umberto Eco, par ailleurs chroniqueur, écrit des pastiches et des parodies pour les journaux italiens, parfois réunies en ouvrage, tel Comment voyager avec un saumon ou Pastiches et postiches (1996).
Son humour, souvent décapant, doit beaucoup à son enfance : Umberto Eco a grandi pendant la seconde guerre mondiale ("entre 11 ans et 13 ans, j’ai appris à éviter les balles", disait-il). Il se jouait ainsi de l'absurdité de la condition humaine. "On fait toujours de l’humour à cause de notre tristesse. L’homme est le seul animal qui rit. Il est aussi le seul qui sait qu’il doit mourir. Puisqu’on le sait, on sourit, pour ne pas passer sa vie à pleurer", confiait-il au Devoir, en 1998.
Numéro Zéro (2015)
Ultime roman d'Umberto Eco, Numéro Zéro réunit des thématiques qui lui sont chères, parmi lesquelles l'engagement critique face aux médias ou la théorie du complot (déjà présente dans Le Nom de la Rose, Le Cimetière de Prague et_ Le Pendule de Foucault_). Dans son dernier ouvrage, l'auteur dresse un portrait au vitriol de la presse italienne -et plus généralement des médias- sous l'ère Berlusconi.
"J'appartiens à une association, le Skeptical Inquirer, qui a une revue qui s'occupe de tous les hoax, les fables qu'on invente à propos de la science, du cancer, des soucoupes volantes... On essaye de montrer aux gens que ce sont des fantaisies. Si vous ouvrez Internet vous vous retrouvez au milieu de quantité de complots, et les gens y croient ! [...] Le complot c'est la déresponsabilisation de soi-même."
"Il y a des auteurs qui, au cours de leur vie littéraire, ne racontent rien d'autres que des personnages qui font l'amour, moi je raconte des personnages qui font des complots", s'amusait l'écrivain au micro de Chrostophe Ono di Biot, dans Le Temps des Ecrivains en mai dernier :