Est-ce qu'un gène hérité de l'homme de Néandertal aggrave le cas des malades du Covid ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
Une étude récente de l’Institut allemand Max Planck affirme que les personnes qui portent un génome hérité de l'homme de Néandertal ont des prédispositions pour développer les formes graves du Covid. Ils auraient par exemple trois fois plus de risques d’avoir besoin d’une assistance respiratoire. Qu'est-ce que ce génome et comment est-il lié au Covid-19 ? Voici l'entretien de Nicolas Martin avec le chercheur Lluis Quintana-Murci, généticien des populations et professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur.
Un gène néandertalien rend-il plus sensible au Covid ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Oui, c'est tout à fait vrai. Il y a une étude qui montre qu'un morceau d'ADN néandertalien est effectivement associé à un risque accru de développer la maladie grave du Covid-19."
Que dit cette étude exactement ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Cette étude montre que certains Européens, ainsi qu'une proportion très importante d'Asiatiques du Sud comme les Indiens ou les populations du Bangladesh, portent un morceau de leur génome d'environ 50 000 paires de bases qui, non seulement vient de Néandertal, mais aussi des mutations dans cette région qui ont été associées à un risque accru d'être hospitalisé, c'est-à-dire de développer la maladie sévère du Covid."
Combien de personnes sont concernées en Europe ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "En Europe, entre 10 et 15 % de la population environ présentent ces 50 000 paires de bases qui viennent directement d'un ancien métissage avec les hommes de Néandertal."
Pourquoi ces gènes agissent ainsi avec le Covid ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Nous ne savons pas encore quel est le mécanisme qui relie ce morceau d'ADN néandertalien dans nos génomes à la susceptibilité accrue de développer la maladie sévère du Covid."
D'habitude, si un gène est conservé, c'est qu'il est utile ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Cette découverte est assez contre-intuitive, parce que la plupart des segments néandertaliens que nous portons dans nos génomes, soit, n'ont aucune fonction et c'est pour cela qu'ils ont été tolérés par l'évolution, soit, n’ont pas seulement été tolérés, mais avantagés. Or, dans ce cas-là, au lieu de nous conférer un avantage, comme une meilleure résistance à la grippe par exemple, il nous confère une vulnérabilité accrue à développer la maladie grave du Covid. Cela s'explique parce que, simplement, ce dont on a hérité de Néandertal, il y a 40 000, 50 000 ans, à l'époque, ce morceau de l'ADN néandertalien devait être positif pour nous, il devait nous apporter un avantage pour la survie. Mais avec les changements de modes de vie et l'apparition de nouvelles épidémies comme celle du Covid, le même morceau d’ADN, les mêmes mutations qui dans le passé étaient avantageuses pour notre survie, peuvent aujourd'hui se révéler être associées à des fonctions délétères comme les allergies et, en l'occurrence comme le montre cette étude, à la maladie sévère du Covid-19."
Quels avantages nous apportaient ces variantes génétiques ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Certains morceaux de Néandertal qui on été introduits dans nos génomes, aux ancêtres des Européens et des Asiatiques, nous ont apporté des avantages pour une meilleure survie, liés par exemple à l'adaptation au froid ou à la résistance à certaines maladies infectieuses dont les infections virales."
Comment sait-on que ces gènes viennent de Néandertal ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Le protocole pour comprendre quels sont les morceaux de nos génomes qui viennent de Néandertal, c'est simplement de comparer nos génomes, par exemple mon génome à moi avec celui de Néandertal. Et pour dire que ce morceau-là vient vraiment de Néandertal, il faut que le morceau de génome que je veux comparer soit exactement semblable à celui de Néandertal, et qu’en même temps, ces mutations-là, néandertaliennes, soient absentes en Afrique. Pourquoi faut-il qu'elles soient absentes en Afrique ? Parce qu'on sait que Néandertal n'a jamais été présent en Afrique."
Comment a-t-on fait le lien entre ces variants génétiques et le Covid ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Le lien entre un morceau néandertalien et le Covid est simple. Dans cette étude, les auteurs ont trouvé que ce morceau de 50 000 paires de bases dans le chromosome 3 venait de Néandertal. Et simplement, ils ont vu qu’une autre étude, faite par des Espagnols et des Italiens, avait montré que cette région de nos génomes était associée à la maladie sévère du Covid-19. "
Pourquoi ce gène est associé aux formes graves du Covid ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Aujourd'hui, on ne sait pas exactement quel est l'impact fonctionnel des mutations néandertaliennes de ce gène dans le Covid. On l'a juste associé (c'est ce qu’on appelle une étude d'association), c’est-à-dire qu'on sait que les gens qui portent ces mutations d'ADN néandertaliennes ont plus de risques d'avoir une maladie grave. Mais on ne connaît pas les mécanismes immunologiques sous-jacents. Au sein de mon laboratoire, cette étude nous a inspiré une expérience à faire : la technique des ciseaux moléculaires. C'est-à-dire qu'on peut prendre des cellules humaines et mettre les mutations néandertaliennes une par une et ainsi se faire une idée de la fonction immunologique de ces mutations-là, néandertaliennes."
Avec une copie de ce gène, c'est comme si on avait dix ans de plus ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Simplement, le fait d'avoir une ou deux copies et de faire le lien entre ces facteurs de risque et avoir dix ou vingt ans de plus, c'est faire une analogie avec le risque apporté par l'âge. Parce que, comme on le sait tous, l'âge (c'est-à-dire plus de 60 ans) et le sexe (les hommes développent plus de maladies sévères que les femmes), sont des facteurs de risque connus depuis le début."
Est-ce qu'il faut s'inquiéter si on est porteur de cette variante ?
Pr. Lluis Quintana-Murci : "Environ 13 % des Européens sont porteurs de cette variante. Il ne faut pas s'inquiéter, car ça ne veut pas dire que si vous avez cette variante, vous allez développer la maladie. N'oublions pas que ce ne sont que des facteurs de risque. On parle de maladies complexes. On ne parle pas de maladies qu'on appelle dans le jargon "mendéliennes", qui veut que si vous avez telle mutation, vous allez développer la mucoviscidose par exemple. Quand on parle de maladies complexes, c'est juste que vous augmentez un peu le risque d'être infecté ou de développer la maladie grave."
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Un gène de Néandertal nous rend-il plus sensible au Covid ?
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