Un officier du régiment Azov : "La Russie ne s’arrêtera pas avec nous si nous ne la stoppons pas"
Par Gilles Gallinaro, Omar Ouahmane, Chadi Romanos
De Marioupol, où, avec le régiment Azov, il s'efforce de contenir les assauts russes, Illya Samoylenko témoigne de la barbarie de l'envahisseur et du désarroi de civils pris en otage dans un conflit qui les dépasse. Selon lui, la résistance ukrainienne est un rempart pour l'Europe.
Qu’est-ce qui, depuis 2014, motive Illya Samoylenko ? Aujourd’hui officier de l'état-major du régiment pour la défense de Marioupol, après avoir combattu les séparatistes pro-russes, il combat les troupes du Kremlin. Comme une histoire qui se répète.
"Depuis 150 ans au moins, c’est la Russie qui nous envahit", dit-il. Et quand on invoque le prétexte de la dernière invasion – dénazifier et démilitariser l’Ukraine –, ce volontaire engagé au départ dans une milice ultranationaliste, le régiment Azov des origines, répond sans sourciller : "Elle tue des civils, quand elle bombarde des maternités, des théâtres et des hôpitaux. Pas des militaires."
Joint sur Telegram, faute d’autres réseaux de communication dans la ville assiégée, il dénonce des tactiques d’un autre âge, des opérations brutales, aux objectifs radicaux. Car pour lui, ce que Vladimir Poutine a entrepris, au-delà de la destruction de l’Ukraine, c’est la suppression des Ukrainiens.
Moscou ne veut pas notre territoire. Moscou ne convoite pas nos ressources. Moscou n’attend pas de nos concitoyens qu’ils deviennent russes. Moscou veut juste nous détruire.
Illya Samoylenko est catégorique : "La Russie opère un génocide des Ukrainiens." Une destruction systématique qui passe par des crimes de masse découverts – la ville de Boutcha, en périphérie de Kiev, a été le théâtre d’actes barbares attribués à l’occupant russe – ou restant à découvrir dans les zones occupées par les troupes du Kremlin. "Vous avez découvert les atrocités commises dans certaines régions d’Ukraine ; attendez-vous à voir bien pire à Marioupol", alerte-t-il.
Effacer les preuves
À moins que les traces de leurs crimes n’aient été effacées dans l’intervalle. C’est le sens, estime le militaire, des bombardements massifs dont Marioupol fait l’objet : "En ce moment, les Russes essaient de maquiller leur gênant secret. Ils s’efforcent de tout détruire."
Tout détruire, c’est aussi la tactique que Moscou a mise en œuvre à Grozny, en Tchétchénie, en 1995, ou à Alep, en Syrie, en 2016.
Ils sont rompus à la technique du siège comme on le pratiquait au Moyen Âge. Faute de pouvoir prendre la ville d’assaut, ils essaient de la raser.
"Les avions, en haute altitude, lâchent leurs bombes sur Marioupol, sur des immeubles d’habitation, sur des hôpitaux, sur des théâtres, de façon indifférenciée. Et ils le font à dessein. Avec les chars, c’est la même chose : ils vident leurs munitions de gros calibre sur les bâtiments, même lorsqu’ils sont habités."

Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, la ville portuaire du littoral de la mer d’Azov est un objectif stratégique. Mais les troupes du Kremlin doivent compter avec la résistance acharnée. "La Russie a pris peut-être un tiers de Marioupol, mais elle est désormais engagée dans une guerre urbaine, sans front véritable." Un conflit qui, sur le terrain, lui coûte cher, assure Samoylenko. "Nous avons déjà tué au moins 2 000 Russes, et détruit ou endommagé au moins 50 de leurs tanks."
C’est ce qui fait la réputation du régiment Azov. "Nous combattons et nous gagnons." Dans l’adversité, "Nous n’abandonnons pas notre ville, nous n’abandonnons pas nos citoyens, nous n’abandonnons pas notre mission", clame celui qui, dès 2014, a rejoint les quelques centaines de volontaires venus combattre les séparatistes russes dans le Donbass.
Asymétrie criante
Depuis, la milice est rentrée dans le rang. Elle est devenue une unité militaire régulière, et elle a grossi, pour devenir "probablement la plus efficace en Ukraine, et, peut-être, en Europe".
Pour Illya Samoylenko, c’est la condition de la survie, face à un déséquilibre militaire criant : "Les Russes utilisent des avions bombardiers, des chasseurs ; ils ont des navires de combat ; ils tirent des missiles. Ils ont aussi l’artillerie, des chars, et de nombreuses troupes au sol. Au moins 10 000 hommes ont été déployés autour de Marioupol." Son régiment, lui, a compté au maximum 2 500 hommes, équipés de "matériel soviétique obsolète".
"Je suis très reconnaissant aux pays qui, depuis le 24 février, livrent des armes à l’Ukraine. Mais nous, à Marioupol, nous n’avons rien reçu." La faute au blocus imposé par les Russes dès le début des opérations récentes. Dès lors, comment contrer des bombardiers russes qui évoluent à 7 000 mètres ? Comment percer le blindage de chars venus ravager des quartiers résidentiels ?

Sans même parler de reconquête. Car il y a les quartiers perdus. Derrière le mur, la situation des civils est déchirante. "Ils n’ont plus de ressources, ils souffrent de la faim. D’autant que la Russie s’efforce de bloquer toute aide humanitaire venant de la partie ukrainienne. Moscou. Un véritable génocide !"
Irréparables transgressions
Et puis les Russes enlèvent et déplacent les habitants des zones occupées de Marioupol. "J’ai eu entre mes mains des tracts distribués aux civils leur annonçant leur “relocalisation” dans l’extrême est de la Russie, à Vladivostok ou dans le Kamchatka par exemple, témoigne Illya Samoylenko. On leur dit “Vous êtes désormais des citoyens russes et vous allez être déplacés”."
Pour le militaire, ce qui se passe à Marioupol est l’affaire de tous, désormais.
Les Russes violent toutes les lois de la guerre, tous les traités internationaux, assure-t-il. Ils ont utilisé des munitions interdites, et même des armes chimiques, hier à Marioupol.
À ce stade, faute de disposer d’un laboratoire sur place, les faits sont difficiles à établir. Mais Samoylenko interpelle : "Nous avons appris au même moment que le commandant en chef des opérations en Ukraine avait changé ; il était remplacé par celui qui, en 2016, avait participé au siège d’Alep [ où des attaques chimiques avaient été menées par le régime, avec l’aide supposée de la Russie, ndlr]."
Plus que jamais, l’occident doit réagir. "À Marioupol, nous ne nous battons pas seulement pour notre liberté. Parce que la Russie ne s’arrêtera pas avec nous si nous ne la stoppons pas."
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