Un soir de musique à la Maison des femmes

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Un soir de musique à la Maison des femmes

Par
Awa et Clarisse
Awa et Clarisse
- Louise Oligny

A la Maison des femmes de Saint-Denis, le 14 janvier, avait lieu la restitution d'une résidence musicale. En partenariat avec Banlieues Bleues, elle s'est faite dans l'atelier « Estime de soi » qui s'articule autour du dessin, des bijoux, et de la photographie. Récits et témoignages croisés.

Une maison pour la "reconstruction" des femmes à Saint-Denis 

Quelques blocs de couleurs ponctuent les alentours de l’Hôpital Delafontaine à Saint-Denis, c’est la Maison des femmes.
Le 8 mars 2015, avant même d’avoir réuni la totalité de son financement, la gynécologue et chirurgienne Ghada Hatem-Gantzer en avait posé la première pierre. Un geste symbolique pour dire sa détermination et celle de son équipe. Un geste pour dire aussi l’audace et l’endurance nécessaires à faire advenir les choses - de manière générale - et au bénéfice des femmes vulnérables, en particulier. 

Ce sont elles que cette maison accueille depuis : des femmes aux parcours fragilisés, qui subissent ou ont subi des violences. Psychologue, sage-femme, gynécologue, chirurgienne, assistante sociale, permanence juridique, service de planning familial… une équipe pluridisciplinaire s’est constituée pour parer au mieux à la diversité des situations. 

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Sur la page d’accueil du site de la Maison des femmes  nous sont rappelés des chiffres accablants sur les mutilations sexuelles, les violences conjugales ou les viols. Si ces chiffres disent froidement la conséquence de dynamiques de domination et de violence qu’il s’agit de combattre sans relâche, reste à savoir comment rencontrer chacun des destins individuels des femmes qui franchissent la porte de cet endroit ? Par le soin, avant toute chose, la justice, et puis il y a ce qui se tisse à côté, avec. 

Un atelier pour retrouvrer l'estime de soi 

Depuis deux années, Clémentine du Pontavice et Louise Oligny , qui développent chacune leurs propres pratiques artistiques, mènent un atelier hebdomadaire qu’elles ont appelé "Estime de soi". Pendant deux heures, chaque lundi, des femmes viennent fabriquer des bijoux, dessiner, se faire photographier, se regarder. Clémentine et Louise ont tâtonné pour ébaucher progressivement le cadre d’un espace d’échange, où le "faire" serait le support d’une fragile reconstruction de la parole et pourquoi pas… de soi. Depuis le début, je suis de loin le récit de ces lundis matins, rendez-vous honorés, rendez-vous importants. Je suis aussi les questions soulevées par ce cadre inventé semaines après semaines. Je suis enfin le grand souci des intervenantes pour ces femmes, sujets avant d’être victimes, les plaçant en permanence au centre de leur histoire et se méfiant de leurs propres projections. 

Voilà deux ans donc, qu’elles tâtonnent à partir de ce qu’elles savent faire, mais aussi à partir de tout ce qu’elles ne savent pas faire, et c’est peut-être là le plus intéressant.

Le 14 janvier dernier, la "chorale" de la Maison des femmes se met en place devant un large tissu bleu et un petit public chaleureux. En partenariat avec le festival Banlieues Bleues, et pendant plusieurs mois, les musiciennes Eve Risser et Joby Smith, sont intervenues dans l’atelier, ont écrit et composé des chansons, avec et pour les femmes. Ce soir, ces mêmes femmes chantent, esquissent bientôt quelques pas de danse au milieu du demi-cercle, s’avancent pour un morceau de couplet. Certains de leurs visages s’ouvrent d’un sourire, elles sont filmées par une adolescente que l’on devine être une fille ou une nièce. 

Eve Risser est au piano et Joby Smith est la cheffe de chœur. Clémentine du Pontavice et Louise Oligny à l’un et l’autre bout de la demi-lune des corps. 

C’est parce que les femmes chantaient souvent en fin d’atelier, que Louise a eu l’idée de me contacter » me raconte Stéphanie Touré, responsable des actions musicales de Banlieues bleues. Ensemble, nous avons monté un dossier pour la Drac Ile de France qui accorde des subventions aux projets qui mettent en lien des artistes et des publics très en difficulté. Ils sont exigeants sur la qualité artistique des projets qu’ils soutiennent, j’ai de suite pensé à Eve Risser que j’avais déjà vu à l’œuvre lors de sa résidence au festival. J’ai aussi pensé à Joby Smith, car je connaissais la dimension très physique qu’elle donne à ses échauffements vocaux, le souffle, le corps… tout cela faisant sens.

Un partenariat avec Banlieues Bleues 

Banlieues bleues mène plus de 80 actions de ce genre par an (beaucoup à destination des plus jeunes) et a développé une expertise en la matière depuis le début des années 90 en Seine Saint Denis. Le plus souvent, ils financent leurs actions sur leur budget propre, et dans certains cas, comme celui-ci, ils font appel à d’autres subventions spécifiques demandées à l’échelle du projet.

Il est clair que rien n’aurait vu le jour sans l’incroyable investissement de Clémentine et Louise. Elles déjeunent, débriefent après chaque atelier le lundi, elles font tout pour que cet atelier soit vivant et dense. Et cela existe. Devant les femmes qui chantaient l’autre soir, je me suis dit que c’était le début, le début d’un processus.

La "chorale de la Maison des femmes"
La "chorale de la Maison des femmes"
- Clémentine du Pontavice et Louise Oligny

Comme souvent dans ce genre d’expérience, il faut déployer une grande énergie, un savoir-faire administratif d’écriture de dossiers, un réseau… "pour que cela existe". Et cela existe bel et bien. Que ces femmes chantent et dansent, dans la Maison dont elles ont un jour poussé la porte parce qu’elles avaient été excisées, battues, agressées sexuellement ou malheureusement les trois, est plus qu’un début.

Le fait que nous puissions intervenir sur plusieurs mois a été fondamental, me dit Eve Risser. C'était le temps nécessaire pour trouver notre modus operandi. Ne pas connaître le détail de leur parcours, me permettait au fond de me concentrer sur la musique et ne pas me laisser envahir par ma propre fragilité. Les voir chanter, s'exprimer, danser ce soir-là était très émouvant. 

Un réseau d'attentions 

A aucun moment, Clémentine du Pontavice et Louise Oligny n’avancent d’ambition thérapeutique. Cependant, lorsqu’on ouvre un espace créatif, qu’on le fait avec sensibilité, dans un lieu garant du secret médical et de l’intégrité de toutes, il arrive que "d’autres choses" se jouent. 

Que faire avec ces "autres choses" ? Sont-elles tellement "autres" ? Quel contour faut-il imaginer pour ces ateliers hybrides, quand une sorte de latence de définition permet précisément que des choses adviennent ? 

Toutes ces questions sont au cœur des échanges que les deux intervenantes ont entre elles, avec l'équipe de la Maison des femmes, et avec une psychologue venue assister aux ateliers pendant plusieurs mois. Celle-ci a souligné l’importance de mettre en place un cadre solide, pour les participantes autant que pour les intervenantes.

Autres ateliers, autres problématiques, mais elles se recoupent : Thissa d'Avila Bensalah, metteuse en scène, mène des ateliers théâtre depuis plusieurs années avec sa compagnie De(s)amorce(s) sur la thématique des violences et auprès de différents publics. Elle utilise l'attirail théorique et pratique du Théâtre de l'Opprimé , très précieux et efficace à ses yeux, mais insuffisant dans certains cas.

Depuis des années, nous faisons un constat qui me met en colère. Dans la  majorité des structures où se tiennent nos ateliers, on observe un  terrible vide. Même si notre cadre est clair et artistique, il arrive,  beaucoup plus souvent que nous l'imaginions au départ, que s'y déposent  des témoignages de violences subies. Souvent il n'y a pas de relais. Les  assistantes sociales, les enseignants sont trop peu formés. Nous orientons autant que possible selon les ressources locales disponibles, mais nous le faisons sur la base d'un engagement personnel. C'est un véritable no man's land que l'on constate dans certains endroits quand il s'agit de savoir quoi faire de ces confidences. Il y a un  problème de repérage et de prise en charge des situations visiblement traumatiques.

Cet appel à plus de formation, plus de personne relais, plus d'ateliers financés, Thissa d'Avila Bensalah l'adresse à l’État. " Quand on voit ce que l'on peut faire, ce que l'on peut ouvrir par le théâtre, et ce genre d'ateliers artistiques, on ne comprend pas que ce ne soit pas davantage mis en place." 

Le soir de la restitution de la "Chorale de la Maison des femmes ", Ghada Hatem-Gantzer assistait à la cérémonie de rentrée de Marlène Schiappa, une sorte de cérémonie des vœux. Si je peux ici formuler le mien : que ces espaces, pas toujours simples à définir, espaces sensibles et émancipateurs, puissent à la fois être soutenus, multipliés, pérennisés et s'inscrire dans un solide réseau d'attentions portées aux parcours les plus fragilisés.

En mars prochain, Ghada Hatem-Gantzer et Clémentine du Pontavice feront paraître Le sexe et l'amour dans la vraie vie aux éditions First. Et à l'automne prochain, Clémentine du Pontavice et Louise Oligny publieront un livre autour de cette expérience menée au long cours à la Maison des femmes aux éditions Thierry Marchaisse.