Un Toit Pour Les Abeilles : sauver les abeilles et soutenir l’apiculture française
Par Annabelle GrelierCréée il y a dix ans à Aytré en Charente-Maritime, un Toit Pour Les Abeilles fédère et soutient un réseau de 150 apiculteurs à travers la France. Entreprise à mission engagée dans la sauvegarde de l’abeille domestique et sauvage, elle défend grâce aux parrainages une apiculture artisanale et locale.
Le constat est sans appel : les abeilles sont en voie de disparition. Depuis plusieurs années, leur taux de mortalité est en constante augmentation. Estimé à plus de 30%, le phénomène est particulièrement inquiétant quand on sait que les abeilles contribuent à la pollinisation de 80 % des espèces de plantes à fleurs. Si elles venaient à disparaître, il n’y aurait plus de production de graines et de fruits essentiels à l’alimentation humaine. Selon l'Inra, la valeur économique de leur butinage s'élève à 153 milliards de dollars, soit 9,5% de l'ensemble de la production mondiale de nourriture.
En France, 70% des cultures dépendent de la pollinisation mais chaque année, ce sont 300 000 colonies qui disparaissent quand 80% des abeilles sauvages ont été décimés.
L’abeille, déclarée grande cause nationale 2022
Les principales raisons du déclin des abeilles sont multiples : le réchauffement climatique avec la multiplication des parasites et maladies, la disparition des biotopes, les dommages liés aux insecticides et de manière générale, une diminution des résistances immunitaires.
En même temps que l’annonce en 2020 de la réintroduction des insecticides néonicotinoïdes qualifiés de "tueurs d’abeilles" pour la culture de la betterave, le gouvernement avait promis un plan national en faveur des insectes pollinisateurs.
Lancé en fin d’année dernière, ce plan prévoit notamment d’évaluer le risque de tous les pesticides, dont les herbicides et fongicides, pour les pollinisateurs en vue d’une possible restriction voire interdiction.
Un décret promulgué en novembre 2021 prévoit également des plages horaires spécifiques pour les traitements. Il est interdit aux agriculteurs d’épandre des pesticides pendant la journée en période de floraison sur les cultures jugées attractives pour les pollinisateurs. Seulement deux heures avant le coucher du soleil et trois heures après, mais avec des exceptions et dérogations possibles.
Ces directives, déjà jugées à l’époque insuffisantes par les associations environnementales viennent d’être mises à mal en mars dernier par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation qui a publié une liste des cultures considérées comme non attractives pour les abeilles et les insectes pollinisateurs.
Cette liste écarte des plantes qui ne seront plus protégées par les nouvelles règles d’épandage. Des plantes pourtant attractives estiment le Syndicat national d’apiculture, la Confédération paysanne, l ’Union nationale de l’apiculture française et l’association Terre d’abeilles qui envisagent une procédure judiciaire.
Sauver les abeilles locales
Au bout d’un chemin, sur la presqu’ile de Fouras, entre La Rochelle et Rochefort, la Cabane aux abeilles semble bien calme. La nuit a été fraîche et dans l’humidité de cette matinée, les abeilles dorment encore dans les ruches. Des ruches aux formes quelque peu originales. En paille, en osier, ou bien en argile certaines en forme de cheminée et d’autres recouvertes de bouses de vaches. "C’est une pratique ancienne pour les protéger des vers" nous explique Régis Lippinois. L’apiculteur et fondateur d’un Toit Pour Les Abeilles, aime à venir sur ce petit bout de terrain paisible au milieu des marais où il a installé son rucher pédagogique. Il y a planté des arbres fruitiers, des fleurs et des haies mellifères où viennent butiner les abeilles.
Véritable refuge, elles ne sont pas là pour faire du miel, précise-t-il. Dans ces drôles de ruches, il n’y a en effet pas de cadres, le miel que produisent ses habitantes, sont pour leur consommation, pour se nourrir, prendre des forces et se reproduire. Et c’est presque comme des intrus que nous venons les déranger. En s’approchant des ruches, quelques abeilles viennent en reconnaissance. Elles ne sont pas agressives mais mieux vaut ne pas trop s’y frotter, elles sont programmées pour défendre la reine. D’ici quelques semaines, quand les acacias seront en fleurs, elles seront en pleine activité. "Ce sera un beau foisonnement ici, de fleurs et de butineuses au travail" se réjouit Régis Lippinois.
Ce rucher pédagogique est ouvert à tous et de nombreuses écoles de la région y viennent en visite. C’est indispensable pour sensibiliser la population et les jeunes générations sur l’importance des abeilles pour notre survie. Expliquer leur importance dans la nature mais aussi leur mode de vie, leurs différences. Il existe à peine un millier d’espèces d’abeilles différentes en France, et dix à peine produisent du miel mais toutes ont leur rôle à jouer dans l’équilibre de nos écosystèmes.
Reportage sur la presqu'île de Fouras, en Charente-Maritime, signé Annabelle Grelier
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Parrainer des ruches
Alarmé par le déclin des abeilles, Régis Lippinois a, il y a déjà plus de dix ans, créé son entreprise pour, non seulement sauver les abeilles mais aussi l’apiculture française. Car avec la disparition des abeilles c’est toute la production de miel qui est en chute libre. En vingt-cinq ans, elle a été divisée par quatre en France. Le pays doit donc importer du miel, bien moins cher et de moindre qualité. Pire encore, l’importation des essaims l’inquiète fortement.
L’Anses a donné son autorisation pour importer de Pologne, de Chine et du Canada, des millions de cocons d’osmies et de mégachiles qui sont des abeilles solitaires pollinisatrices mais qui ne sont pas du tout adaptées à nos terroirs. Le risque est énorme d’importer également des parasites, des maladies et d’autres prédateurs. C’est d’autant plus dangereux que le croisement et l’hybridation de ces abeilles avec nos souches locales vont affaiblir leur résistance. Ces pratiques nous annoncent un vrai désordre écologique dans quelques années.
Face à cette urgence, Régis Lippinois s’est donc lancé dans l’aventure entrepreneuriale pour soutenir la filière apicole française, qu’elle puisse produire du miel de qualité et sauver les abeilles dans nos régions.
Un Toit Pour Les Abeilles, aujourd’hui entreprise à mission, fédère et soutient une centaine d’apiculteurs dans toute la France qui s’engagent à protéger les abeilles en produisant localement du miel artisanal.
Le principe est simple : pour quelques euros par mois, particuliers et entreprises peuvent parrainer des ruches et garantir ainsi les revenus des apiculteurs. Un engagement d’un an au moins, récompensé par des pots de miel en fin de saison.
Pour les entreprises, l’abonnement un peu plus cher correspond au parrainage d’une ruche entière qu’elles peuvent soit laisser chez l’apiculteur ou installer au sein même de l’entreprise et en faire une activité d’engagement RSE.
Ce sont plus de 3 380 entreprises et 96 000 particuliers qui se sont engagés dans la démarche. Une démarche simple où il suffit d’aller sur le site pour sélectionner le rucher de sa région. Un site qui permet de suivre en temps réel les abeilles tout le long de leur développement grâce aux ruches connectées. Petite innovation mise au point par un apiculteur partenaire du réseau, Jérôme Alphonse installé dans le Vercors.
Connected Beekeeping, est un système de balance qui donne des informations importantes sur les miellées. Non seulement, il fournit des informations pour les parrains mais le système sert aussi d’alerte aux apiculteurs qui sont tenus informés de tout incident sur les ruches. Ce dispositif de ruches connectées permet de ne pas perturber les abeilles et l’apiculteur n’intervenant qu’en cas de besoin peut ainsi réduire ses déplacements et autant d’émissions de gaz à effet de serre.
Dorloteurs d’abeilles
Le modèle d’affaire de la société est aussi très simple nous explique Zakia Abarou, la directrice d’un Toit Pour Les Abeilles, puisque la totalité des fonds retourne dans le réseau. Tout d’abord, une bonne moitié sert à acheter le miel.
Notre politique d’achat de miel aux apiculteurs se situe entre 25 et 30 euros le kilos au lieu des 8 à 10 euros en moyenne. Notre but est de permettre aux apiculteurs partenaires de mettre en place des pratiques respectueuses de l’environnement, sans recherche de rendements. Des prix trop bas poussent à la surproduction.
30% du budget est dédié aux aides financières pour soutenir les apiculteurs en difficulté, face aux intempéries et aux attaques de prédateurs ou à les aider à s’installer ou encore à passer leur production en bio.
Le reste de l’enveloppe, sert au fonctionnement du réseau, aux salaires de ses 20 salariés et au financement de nouvelles actions pédagogiques.
Depuis 2020, pour éviter le déséquilibre entre abeilles domestiques et abeilles sauvages, un Toit pour les abeilles a lancé un réseau de dorloteurs. Il s’intéresse à des abeilles assez méconnues, qu’on appelle les abeilles maçonnes. Ce sont des abeilles solitaires qui ne produisent pas de miel mais qui jouent un rôle très important dans la pollinisation.
Depuis une trentaine d’années, 80% de ces populations d’abeilles ont disparu en Europe.
Les dorloteurs ont pour mission d’installer des petits abris pour protéger ces abeilles nous détaille Pauline Jung, chef de projet des dorloteurs.
Ces abeilles ne vivent pas en colonie, sont très douces et ne piquent pas. Elles sont passionnantes à observer et ont besoin de nous.
Comment s’y prendre ? Là encore, on s’appuie sur la force du réseau et du parrainage.
Pour un engagement d’un an, les volontaires reçoivent par La Poste une petite cabane et des tubes contenant des œufs.
Pouvant être installés sur un balcon, le rebord d’une fenêtre ou dans le jardin, en ville ou à la campagne, ces petits abris vont permettre aux larves d’éclore avant de devenir cocon et de s’envoler. Très pédagogique, l’équipe des dorloteurs accompagne toute la démarche et suit le processus de nidification.
Le réseau compte aujourd’hui 5 500 dorloteurs et dorloteuses qui participent à la sauvegarde des abeilles sauvages. Pas de miel en échange mais une meilleure connaissance du monde des abeilles et surtout la satisfaction de préserver la biodiversité.