Une crise de l'offre, et non pas de la demande, comme en 2008
La relance budgétaire risque de tomber à plat. Et les taux d'intérêt sont déjà très bas. Les moyens classiques de lutte contre les crises ne sont pas adaptés à celle qui se profile.
Et les bourses du monde entier n’en finissent pas de dévisser...
Pourtant, le gouvernement italien vient d’annoncer que, malgré sa dette publique colossale, (135 % du PIB !), il allait débloquer un crédit d’urgence de 25 milliards d’euros pour tenter de faire face à la mise en panne de l’activité économique du pays.
De leur côté, les banques centrales sont invitées, par les dirigeants politiques de tous les pays touchés, à faire preuve d’activisme.
Bref, on imagine faire face à la récession mondiale qui s’approche par les moyens qui ont permis de surmonter la crise des subprimes de 2008. Et c'est une erreur. Car il ne s'agit pas de la même crise.
Un immense choc pour les chaînes logistiques mondiales, donc des pénuries prévisibles...
Comme l’écrit l’économiste Kenneth Rogoff, ancien chef économiste au FMI et actuel professeur à Harvard, la crise qui commence ne ressemble pas à celle de 2008. La mise au chômage technique d’un grand nombre de gens pour tenter d’enrayer la propagation du COVID-19 provoque un « immense choc pour les chaînes logistiques mondiales ». Ces baisses de production vont se traduire par des goulots d’étranglement et des pénuries, dans certains secteurs, qui rappelleront plutôt les files d’attente aux stations-services des années 1970.
Premier problème : comment la FED et la BCE pourraient-elles baisser leurs taux directeurs ? Ils sont déjà proches de zéro. Bien des économistes avaient mis en garde contre le maintien durant une dizaine d’années de mesures censées exceptionnelles.
Second problème : des Etats surendettés, comme les Etats-Unis et la France, ont persisté à accumuler les déficits publics, alors même que la croissance était revenue. De quels outils supplémentaires disposent-ils ? Il aurait fallu profiter des années relativement fastes pour constituer des réserves, comme l'ont faut les Allemands.
Troisième problème : les mesures de relance budgétaires, telles que les baisses d’impôts peuvent se traduire, certes, en dépenses supplémentaires de la part des ménages et des entreprises. Mais dans le contexte actuel, ce sont les importations qui en bénéficient majoritairement. Elles n’ont donc que peu d’effets bénéfiques sur la croissance interne.
Les banques centrales ne peuvent pas faire rouvrir les usines fermées pour cause d'épidémie...
L’objection aux mesures de « relance de la croissance » qui sont en train d’être prises pour compenser la panne de l’activité, que formule Barry Eichengreen, ancien responsable du FMI et actuel professeur à Berkeley, rappelle celles de Rogoff : « le problème, en 2008, résidait dans les flux financiers : des injections de liquidités des banques centrales pouvaient effectivement les rétablir. Le problème aujourd’hui est tout autre : il réside dans un arrêt soudain de la production.
La politique monétaire ne saurait réparer des chaînes d’approvisionnement brisée__. Quoiqu’en pense le président Trump, le président de la FED n’a pas la capacité de rouvrir les usines fermées pour cause de quarantaine. La politique monétaire ne saurait faire revenir les consommateurs dans les galeries marchandes, ni les voyageurs dans les avions. »
Autrement dit : les moyens mis en œuvre après 2008 ne sont pas adéquats à la nature des défis du jour. Il ne s’agit pas d’une crise financière, mais d’une crise de production. Le problème ne vient pas de la demande, mais de l'offre !
Faire converger les efforts budgétaires vers le secteur de la santé !
Même son de cloche chez l’économiste allemand Daniel Gros, directeur du Center for Eropean Policy, l’un des meilleurs think tanks bruxellois. « Ce sont les chaînes d’approvisionnement qui vont être perturbées, pas seulement par les fermetures temporaires du côté de la machine exportatrice chinoise, mais aussi par des ruptures à l’intérieur même de l’Europe__. Ni les baisses de taux d’intérêt, ni de nouvelles dépenses publiques ne seraient d’une grande utilité pour contrebalancer les effets à court terme de tels chocs. »
Pour Eichengreen, les mesures classiques de soutien à l’économie, via les politiques monétaires et budgétaires ne sont pas inutiles, face à la crise de production, mais ne sont pas suffisantes. Les dépenses budgétaires devraient mieux cibler les besoins les plus urgents, qui sont d’ordre sanitaire : il faut soutenir en urgence le secteur hospitalier.
Et restaurer la confiance des populations, en pratiquant une politique de totale transparence sur la progression de l’épidémie. Et l’économiste de Berkeley fait, à cet égard, une proposition originale : créer, dans tous les pays démocratiques, des autorités de santé indépendantes des gouvernements, sur le modèle de ce que font désormais les banques centrales…
Empêcher les faillites en chaîne des entreprises !
Pour Gros, ce sont les entreprises qu’il faut secourir d’urgence. Dans de nombreux secteurs, leur activité va ralentir, voire s’interrompre, alors même qu’elles devront faire face à leurs obligations contractuelles envers leurs employés et aux banques auprès desquelles elles sont endettées.
D’où l’importance des systèmes de compensation publique, telle que l’indemnisation, par les Etats, du chômage technique. Ils permettront de soutenir la consommation durant la crise.
Les Etats vont également s’engager à soutenir financièrement, notamment par des reports d’impôts et de charges sociales, les secteurs d’activité les plus directement touchés par la crise, tels que le tourisme, la restauration, le transport. Mais lorsque la crise s’étendra à d’autres secteurs, les capacités des Etats à les soutenir s’affaiblira. Ce sera alors aux banques d’intervenir massivement, afin de sauver nombre d’entreprises de faillites qui pourraient se développer en chaînes, par un effet de contagion parallèle à celui de la maladie elle-même.
Les politiques traditionnelles de stimulation de la demande devraient être gardées en réserve. Pour l'après-crise...
Les politiques de « stimulation fiscale » devraient être réservées à l’après-crise, lorsqu’il s’agira de ranimer la demande, d’après Daniel Gros.
Quant à Kenneth Rogoff, il nous met en garde contre le risque d’un redémarrage de l’inflation, comme dans les années 1970 : l’absence d’inflation des dernières décennies était la conséquence de la mondialisation, qui a écrasé les prix à la consommation. Le repli sur les frontières nationales, tel que Trump l’envisage au nom des « relocalisations » se traduirait par des pressions à la hausse sur les prix. Et pousserait donc les banques centrales à devoir remonter leurs taux d’intérêt, ce que tous les dirigeants politiques veulent à tout prix éviter…