
Le monde dans le viseur. Vannesa Rosales, qui a épaulé une fille de 13 ans victime d’un viol en lui fournissant des médicaments pour mettre fin à sa grossesse non désirée, risque 4 ans de prison. Au Venezuela, où au moins deux femmes meurent chaque semaine des suites d’un avortement non sécurisé, des ONG se mobilisent.
Au Venezuela, une nouvelle campagne de soutien à Vannesa Rosales a été lancée. Un collectif de 165 ONG nationales et internationales, qui dénonce le "harcèlement judiciaire" dont l’enseignante travailleuse sociale et féministe de 31 ans est victime, plaide pour sa libération. Un soutien très visuel, que l'on découvre sur les murs de Caracas.
En témoigne une photo de Federico Parra, pour l'AFP, "structurée de telle manière à donner du mouvement, note Olivier Bourgoin, de l’agence Révélateur. On commence par regarder les lettres blanches, à gauche, qui nous disent qu’on est dans un endroit où l'on parle espagnol, et ce monsieur qui semble marcher calmement. Tourné vers la droite, il nous donne envie de le suivre. Notre regard croise enfin une autre image à moitié dévoilée, celle d’un enfant."
Cette photo amène en douceur le sujet, le suggère, elle ne nous agresse pas bien qu'elle vise à dénoncer des violences.
Pour Olivier Bourgoin, cette image séquencée – trois plans séparés par des troncs d'arbres, – "n’impose pas d’emblée ce que je dois comprendre". "[Elle] m’invite à entrer dans une histoire, m’incite à un questionnement sur ce qu’elle veut dire. Il y a au premier coup d’œil tant d’éléments et d’ambigüités qui font la force de la photo… De quoi le photographe me parle-t-il ? De la maltraitance des femmes, de la Covid, d’un monsieur pensif, d’un biberon à terre ? Et si tous ces composants reliés m’amenaient doucement à quelque chose de plus précis ?"
Tabou sociétal
Passé le temps de l'observation, on peut réfléchir, poursuit Olivier Bourgoin, et lire dans l'image "le futur d’un enfant, les engagements des générations et, finalement, ce qui nous rattache à l’histoire de l’enseignante vénézuélienne, la question du viol et la légalisation de l’avortement".
Une question centrale, dans un pays où l'IVG demeure un tabou, invisible dans la société vénézuélienne et occultée par les pouvoirs publics. Au nom de valeurs religieuses et familiales, l’avortement est interdit au Venezuela, sauf en cas de danger pour la vie de la femme enceinte. Il est sévèrement réprimé : les peines peuvent varier de six mois à deux ans de prison pour la mère. Et la personne qui l’a aidée risque de un à trois ans d’emprisonnement. Illégal ou non, le nombre d’avortements ne cesse d’augmenter et son lot de morts aussi.

Le sujet est tellement tabou que les chiffres restent secrets. Néanmoins, selon des associations féministes soutenant la décriminalisation de l’avortement, deux femmes meurent chaque semaine des suites d’une IVG pratiquée dans de mauvaises conditions. Et celles qui sont le plus touchées sont issues des classes les plus défavorisées, par manque d’argent, d’informations, ou d’éducation.
Sur la photo de Federico Parra, on peut lire un slogan : "Non aux violences physiques et morales faites aux femmes." Un slogan en noir et blanc, qui suggère à Olivier Bourgoin un rappel historique :
Le mot "féminicide" est né en Amérique latine dans les années 1960, après le meurtre de trois sœurs sous la dictature dominicaine.
"Plusieurs pays du continent ont instauré une journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui, en 1983 a été internationalisée par l’ONU." Mais pour les autorités vénézuéliennes, il n'y a pas de lien. Les avocats de Vannesa Rosales accusent le régime de Nicolas Maduro de vouloir cacher la réalité des avortements clandestins et d’"intimider" chaque personne qui voudrait légitimement défendre les droits sexuels et reproductifs, au Venezuela.
Continent à la traîne
Vannesa Rosales, justement, milite dans la ville de Mérida contre la pénalisation de l’IVG et en faveur du droit à avorter pour toutes. Ses avocats dénoncent le non-respect des droits et des garanties constitutionnelles de l’enseignante et ils se disent profondément préoccupés par l’utilisation d’accusations fabriquées contre cette femme engagée.
Vannesa Rosales marche sur les pas des femmes vénézuéliennes qui, à l’occasion de la Journée internationale pour la dépénalisation de l’avortement en Amérique latine et dans les Caraïbes, décrétée le 28 septembre, avaient rédigé un plaidoyer sur les droits à la santé sexuelle et reproductives. Les féministes ont aussi manifesté autour du Palais législatif fédéral de Caracas pour finalement obtenir que l’avortement soit autorisé en cas de danger pour la vie de la femme enceinte. Un changement qui a permis de sauver de nombreuses vénézuéliennes, mais pas encore assez.
Dans le monde, 1 pays sur 4, dont le Venezuela, criminalise encore l'avortement. Comme le Honduras, le Nicaragua, le Salvador et l'Équateur, où l’IVG est totalement interdite. Mais en Amérique latine, les choses changent. Récemment, l’Argentine a rejoint les pays du sous-continent qui autorisent l’avortement : Cuba, Guyana, Uruguay et les villes de Mexico et Oaxaca. Et le Chili, qui examine cette question, pourrait franchir le pas de la dépénalisation totale après avoir autorisé l’avortement dans certains cas de risque pour la vie et la santé de femme, comme au Belize, en Bolivie, au Brésil, en Colombie, au Costa Rica, en Equateur, au Guatemala,, au Paraguay, au Pérou, au Surinam (certains autorisent l’avortement en cas de viol ou de fœtus non viable).