Vent mauvais : de Verlaine à Pétain, comment cette expression est-elle devenue une formule politique ?
Par Yann LagardeQuel est le point commun entre Emmanuel Macron, Anne Hidalgo, le Maréchal Pétain et Verlaine ? Tous ont utilisé l'expression "vent mauvais", dans un contexte différent et avec des visées différentes.
Vous l’avez entendue dans la chanson de Gainsbourg : "Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais/Je suis venu te dire que je m'en vais".
Depuis, cette formule poétique est devenue une sentence politique, prononcée encore récemment par Emmanuel Macron ou Anne Hidalgo. Voici l’histoire de cette expression, immortalisée par les romantiques du XIXe siècle, puis popularisée par Pétain…
Emmanuelle Prak-Derrington, linguiste : “C’est une expression qui est intéressante parce qu’au-delà des allitérations, elle a des sonorités qui parlent, c'est bien pour ça qu’elle est utilisée par Verlaine, que Gainsbourg l’a prise dans sa chanson. Ça évoque des choses, rien que par les sonorités.”
Depuis l’Antiquité, les vents sont associés à des divinités : Éole, gardien des vents chez les Grecs ou encore les sept vents dans la mythologie mésopotamienne.
Le vent est une métaphore poétique ancienne, très prisée des romantiques au XIXe siècle dont Victor Hugo et Paul Verlaine qui écrit dans Chanson d'automne : "Et je m’en vais/Au vent mauvais/Qui m’emporte/Deçà, delà,/Pareil à la/Feuille morte."
Emmanuelle Prak-Derrington : “La métaphore du vent n’est pas en soi négative. C’est 'mauvais' qui la rend négative. C’est un adjectif qui est employé 'le mauvais oeil', 'mauvais esprit', 'mauvais génie', 'mauvais sang'... Les noms avec lesquels on associe mauvais peuvent effectivement renvoyer à des forces occultes, quelque chose qui serait maléfique.”
De la poésie à la chanson populaire
En 1939 Charles Trenet est le premier d’une longue série de chanteurs à mettre en musique le poème de Verlaine. Mais en 1941, l’expression "vent mauvais" prend un sens politique, dans un discours du Maréchal Pétain : “De plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques semaines un vent mauvais.”
Pétain désigne ainsi la menace que représentent pour le régime la Résistance, les Alliés, mais aussi toute pensée anti-Vichy. La métaphore du vent mauvais sonne aussi comme une menace divine qui plane.
Jean-Yves Camus, politologue : "Les éléments sont dans toutes les cultures vus comme étant quelque chose qui émane de la divinité. Cette référence au dieu féroce, au dieu vengeur qui punirait la Nation ou le pays de son inconduite en amenant sur lui des forces négatives."
Ironie de l’histoire, le poème de Verlaine d’où est tiré cette expression est aussi utilisée par la Résistance dans les messages codés de 1944. Dans les années 1960, elle revient dans les chansons populaires, en référence à Verlaine avec Alain Barrière puis Gainsbourg.
Mais elle reste d’un autre côté associée à la guerre, et garde une charge politique lourde. Elle est utilisée comme métaphore de la montée de l'extrême droite.
Jean-Yves Camus : "Je me souviens d’une revue assez éphémère et consacrée précisément à la lutte contre le Front national qui s’appelait, ce n’était pas tout à fait la même expression, “Mauvais temps”. On est toujours dans la métaphore de l’élément de la nature qui se déchaîne et qui apporte quelque chose de négatif et qui en même temps emporte. C’est-à-dire avec la force avec laquelle il passe, arrache, enlève ce qui est sur son passage."
Le spectre des "heures sombres"
Elle devient une formule politique efficace, et référencée, faisant allusion en même temps au patrimoine poétique, à la chanson populaire et à l’histoire du XXe siècle. Elle est utilisée pour désigner les dangers et pulsions qui menaceraient la démocratie : néo-fascisme, populisme, discours séparatistes, radicalisation, etc.
Jean-Yves Camus : "Toutes celles et ceux qui utilisent cette expression semblent utiliser la posture du prophète : 'Je vous préviens que quelque chose va advenir dont vous commencez à sentir au sens propre les effets', parce que le vent, ça souffle. Le vent mauvais qui au fond est une expression assez floue, quelque chose qui, pour reprendre la métaphore, est dans l’air et qui annonce, comme le vent annonce parfois la tempête des jours difficiles et une idéologie négative, destructrice.
Comme “vent mauvais”, d’autres expressions sinistres font allusion à la Seconde Guerre mondiale : "bruit de bottes", "les heures les plus sombres", "le retour des années 1930”.