Verne, Beauvoir, Cendrars, Rolin, Ernaux, Gide : la Russie des écrivains

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Verne, Beauvoir, Cendrars, Rolin, Ernaux, Gide : la Russie des écrivains

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Photographie couleurs prise entre 1911 et 1912
Photographie couleurs prise entre 1911 et 1912
- Sergueï Prokoudine-Gorski

Ils ont pris le transsibérien, prononcé un discours sur la place rouge ou y ont simplement voyagé. Pour Gide, Cendrars, Ernaux, Beauvoir, Rolin ou encore Verne, ce pays a tenu une place particulière dont leurs œuvres témoignent. Exploration en archives de la Russie des écrivains.

La Russie n'a cessé de fasciner les écrivains français. Grâce aux archives de France Culture, revisitez la Russie des écrivains français, à l'occasion du Salon Livre Paris qui place la Russie à l'honneur en cette édition 2018. 

"Michel Strogoff" de Jules Verne

Lorsqu'il publie Michel Strogoff en 1876 - d'abord sous forme de feuilleton dans le journal Magasin d'éducation et de récréation - Jules Verne est déjà un écrivain réputé, notamment grâce à Cinq semaines en ballon (1863), Voyage au centre de la Terre (1864) ou encore Vingt mille lieux sous les mers (1870). En août 2012, dans "Le Rayon Verne", François Angelier dressait le portrait de ce héros vernien par excellence, capable de tuer un ours de son poignard dès l'âge treize ans. C'est un récit de voyage et d'aventures, comme Verne sait le faire, et auquel il doit sa notoriété. Mais cette fois, à la dimension littéraire et imaginaire se mêle une dimension politique qui lui valut d'éminentes lectures, de Nicolas Tourgueniev et de l'ambassadeur de Russie de l'époque : 

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En 1876, la France est en pleines manœuvres diplomatiques et commerciales avec la Russie, donc pas question de faire de faire faux pas. [Pierre-Jules] Hetzel transmet le roman à Tourgueniev qui le trouve très drôle, parce que c'est tout de même une Russie imaginaire, et même à l'ambassadeur de Russie - c'est dire l'importance de Jules Verne à l'époque - qui trouve que c'est une vision un peu archaïque de la Russie et qui ne fait pas assez état des modernismes et des adaptations. 

Michel Strogoff est un héros vernien par excellence : capitaine des courriers du Tsar Nicolas II, il voyage "De Mocou à Irkoutsk" et traverse la Sibérie pour prévenir de la révolte qui émerge dans le pays. 

"Retour de l'URSS" d'André Gide 

Entre fascination et répulsion, la Russie a tenu une place centrale dans la vie d'André Gide. En juin 1936, il voyagea en URSS, avant de publier, en novembre de la même année, un ouvrage intitulé Retour de l'URSS dans lequel il critiquait le régime russe. Le livre a suscité de vives polémiques, si bien qu'il publia en 1937 un nouveau texte : Retouches à mon "Retour de l'URSS".

En 1949 au micro de Jean Amrouche, il confiait son profond attachement à la Russie, au départ à travers sa littérature : ".J'ai toujours eu, à travers les romans russes, une sympathie violente pour les Russes". Dans cette archive, il racontait autant sa rencontre avec d'éminentes figures russes, comme Léon Tolstoï ou encore Boris Pasternak, mais également sa critique du système totalitaire. Il se souvient également, au micro de Jean Amrouche, du discours qu'il prononça lors des funérailles de Maxime Gorki, dont il se félicitait qu'il soit le premier prononcé par un Français sur la place Rouge : "Pour ce discours, j'étais aux côtés de Staline quand je l'ai prononcé." 

André Gide, au micro de Jean Amrouche, en 1949

25 min

(Durée : 25'05)

"Malentendu à Moscou" de Simone de Beauvoir 

Parmi les témoignages sur les voyages en URSS, celui de Simone de Beauvoir. Le couple Sartre - Beauvoir a en effet voyagé à de nombreuses reprises en URSS entre 1962 et 1966, sur invitation du régime soviétique. Dans une nouvelle intitulée Malentendu à Moscou, écrite entre 1966 et 1967, Simone de Beauvoir retrace l'histoire d'un couple - André et Nicole - voyageant en URSS. Tout au long du récit, l'histoire individuelle du couple croise l'histoire politique et la déception du pays. Eliane Lecarme-Tabone, professeure de littérature qui a signé la préface de l'édition de L'Herne, explique :  

C'est à travers l'expérience concrète des protagonistes, attentifs aux spectacles et aux sensations, que l'on mesure les transformations du pays et que l'on vit les nombreux tracas provoqués par l'absurdité bureaucratique. [...] La critique du régime soviétique menée dans "Tout compte fait" en 1971 après l'invasion de la Tchécoslovaquie, sera plus vive et consacrera plus de place au problème des libertés. Mais tel quel, ce tableau détaillé de la situation en URSS reste un document précieux. 

Cette nouvelle, Simone de Beauvoir l'avait initialement prévue en complément du recueil La femme rompue.  Elle remplaça finalement ce texte par un autre, L'âge de discrétion, à la thématique narrative similaire, et dont Simone de Beauvoir avait enlevé la dimension soviétique. 

Transsibérien
Transsibérien
© Getty - Wolfgang Kaehler

"La Prose du Transsibérien" de Blaise Cendrars 

Blaise Cendrars a à peine seize ans lorsqu'il parcourt la Russie, porté par le goût de l'aventure et le rejet de l'école : un voyage initiatique, qui sera distillé dans l'ensemble de son oeuvre. Cendrars a livré une poésie de la modernité traversée par un souffle épique, de Moscou à Vladivostok, si bien que John Dos Passos le surnommait volontiers "L'Homère du Transsibérien". 

En janvier 2012, dans l'émission Secret Professionnel, Charles Dantzig consacrait une émission à la Russie de Blaise Cendrars. L'universitaire Frédéric Ferney y racontait cette anecdote d'une discussion entre Pierre Lazareff et Blaise Cendrars :

- Pierre Lazareff : "Alors, tu l'as vraiment pris, le transsibérien ?"

- Blaise Cendrars : "Peu importe, je vous l'ai fait prendre à tous"

"En Russie" d'Olivier Rolin 

Dans les années 1980, Olivier Rolin voyage en Russie. Il l'ignore encore à cette époque, mais c'est là le début d'une série de voyages, de rencontres et d'écritures qui l'amèneront à retourner très régulièrement dans le pays. En Russie en 1987, Le Météorologue en 2014, Baïkal Amour en 2016 : la Russie s'est imposée comme un un leitmotiv dans ses œuvres. "De fil en aiguille, je suis retourné plus de vingt-cinq fois dans ce pays", racontait l'écrivain au micro de Mathias Enard pour l'émission "A voix nue" en 2015, avant de conclure sur son attachement humain à le pays : 

Il n'y a pas que l'espace et le souvenir de la Révolution qui m'attirent en Russie. Comme c'est un pays qui a très mauvaise presse, je voudrais dire aussi qu'il y a quelque chose de sentimental dans ce pays. [...] Il y a un sens de l'accueil, une hospitalité, une sentimentalité, on pleure facilement. Tout cela, j'y suis humainement attaché. 

Olivier Rolin (A voix nue, 14.04.2015)

30 min

(Durée : 30'37)

C'est d'ailleurs en hommage à Olivier Rolin que Mathias Enard écrivit L'Alcool et la nostalgie en 2012, variation romanesque autour du transsibérien. 

"Se perdre" d'Annie Ernaux 

En septembre 1988, Annie Ernaux participe à un voyage d'écrivains en Russie au cours duquel elle rencontre S., un diplomate russe en poste à Paris qui accompagnait le voyage. De retour à Paris, ils vivent une passion charnelle qu'Annie Ernaux a retranscrite sous la forme d'un journal tenu semaine après semaine : 

S. ne m'aime pas non plus, il ne m'a jamais aimée. Et, en lui, ce que j'aime, c'est sa jeunesse, l'URSS qui m'a toujours fascinée et qui me paraît actuellement la grande question du monde. ("Se perdre", 18 mars 1989)

Des rêves en russe, l'écriture d'un article sur la perestroïka pour la revue Europe, la nostalgie de Moscou ou encore de multiples références littéraires, c'est dans une Russie intérieure et passionnelle que nous convie Annie Ernaux. 

Archives INA - Radio France