« Vineta, la république des utopies », de Moritz Rinke (critique de Fabrice Chêne), Théâtre de la Tempête à Paris
Par Trois Coups
« Un parc à thèmes des rêves disparus »

Vineta, la république des utopies © Lot
Dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, un spectacle à voir en ce printemps : « Vineta la république des utopies ». Cette pièce originale et pleine de fantaisie, sorte de fresque poético-politique, remarquablement mise en scène par Lisa Wurmser, séduit par son mélange de sérieux et de loufoquerie.
Quelque part en Allemagne de l’Est, dans un lieu étrange et isolé, se tient une mystérieuse réunion de travail autour d’un projet pharaonique : créer une cité idéale sur une petite île de la mer du Nord. Ce projet, baptisé Vineta, a été conçu par une improbable « Société Delta », représentée par l’énigmatique Dr Leonhard. Très vite, les problèmes apparaissent : un navire chargé de matériel coule, des conflits naissent entre les participants. Dans le « staff de planification projective », deux camps s’affrontent : celui de l’idéaliste Färber, architecte berlinois plutôt exalté prônant « un retour aux sources contre le strictement utilitaire », et celui de l’urbaniste Hagemann, plus terre-à-terre.
Cette république idéale déclenche les passions, et la guerre que se livrent les personnages prend des proportions drolatiques. On se bat à coups de clubs de golf, de pistolets. On projette de renverser l’autorité du Dr Leonhard. Une intrigue sentimentale complique le tout, puisque l’architecte déjà nommé et l’ingénieur Born se disputent les charmes de l’avenante Nina, l’assistante du fameux « docteur ». Celui-ci, comme l’auteur lui-même, se révélera bientôt comme un grand manipulateur. Et si toute l’histoire n’était qu’un trompe-l’œil ? Le dramaturge nous mène en bateau, et aux deux tiers de la pièce une révélation en forme de coup de théâtre viendra donner une nouvelle direction à l’intrigue.
Où en est l’utopie ?
Moritz Rinke est un auteur allemand contemporain jamais monté en France jusqu’à ce jour. Pour écrire Vineta , il s’est inspiré de la légende médiévale d’une île opulente engloutie par les eaux aux confins de la mer Baltique, et d’un fait-divers. La pièce tout entière tient de la fable. Derrière la querelle de l’urbaniste et de l’architecte, c’est notre capacité à rêver qui est interrogée. Car cette cité idéale doit renfermer « un parc à thèmes des rêves disparus », du communisme à l’utopie libertaire des années soixante. Où en est l’utopie aujourd’hui ? semble nous demander l’auteur. L’idéal a-t-il disparu avec les idéologies ? Peut-on encore rêver d’avenir à une époque où, comme le rappelle Rinke, notre horizon se limite à la « fusion » d’entreprises de taille inhumaine ?
Même si on peut trouver le début de la pièce un peu poussif, la présentation de tous les protagonistes un peu longuette, le texte de Rinke charme ensuite par ses chausse-trapes et ses différents niveaux de lecture, comme par son ironie douce-amère. Mais ce sont surtout le rythme de la mise en scène de Lisa Wurmser et la beauté de la scénographie qui emportent l’adhésion. Loin de l’improbable Vineta, le plateau se transforme lui-même en lieu de toutes les illusions, de toutes les fantasmagories. L’escalier gigantesque semble conduire vers le ciel des rêves. La poésie du texte est soulignée intelligemment par la vidéo, et quelques notes de musique bienvenues viennent parachever l’ensemble.
Des comédiens remarquables
Les effets de surprise se succèdent et renouvellent constamment l’intérêt du spectateur. Des personnages pittoresques surgissent, comme cette Ursula, la femme du capitaine de la compagnie de transport, interprétée avec beaucoup d’humour par Camille Grandville. Toute la distribution est à la hauteur, et les neuf comédiens sont remarquables. Jacques Verzier, en particulier, fait un numéro assez époustouflant dans le rôle d’Hagemann, et Fannie Outeiro incarne une Nina aussi tournoyante qu’insaisissable. Michel Hermon, magnifique comédien, joue avec une maîtrise impressionnante Robert Leonhard, le directeur du projet Vineta qui sait faire face à toutes les frondes. ¶
Fabrice Chêne
Les Trois Coups
Vineta, la république des utopies , de Moritz Rinke
Texte français de Patrick Démerin et Lisa Wurmser (L’Arche éditeur)
Mise en scène : Lisa Wurmser
Avec : Jean-Louis Cordina, Guillaume Fafiotte, Camille Grandville, Michel Hermon, Jean Lescot, Stéphane Mercoyrol, Fannie Outeiro, Pierre Poirot, Jacques Verzier
Scénographie : Sophie Jacob
Costumes : Marie Pawlotsky
Création vidéo : Yvan Blanlœil
Musique originale : Gérardo Jerez Le Cam
Musiques enregistrées : Iacob Maciuca, François Girard, Gérardo Jerez Le Cam
Chorégraphie : Gille Nicolas
Création lumière et direction technique : Philippe Sazerat
Accessoires : Emmanuelle Daverton
Collaboration artistique : Olivier de Logivière
Assistant : Laurent Michel
Maquillage : Mityl Brimeur
Théâtre de la Tempête • la Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris
Métro : Château-de-Vincennes + navette
Réservations : 01 43 74 94 07
Du 28 avril au 29 mai 2011, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 16 h 30
Durée : 2 h 5
18 € | 14 € | 10 €