Il est des paysages qui vous bouleversent et vous transforment. Plongée dans les peintures de Kandinsky, Matisse ou encore Ernst, qui ont transfiguré leur art grâce aux voyages.
Vous avez déjà été marqué par un paysage, lors d’un voyage au point d’en être bouleversé ? Plusieurs peintres l’ont également été, notamment Kandinsky, Matisse et Max Ernst. Voici comment ces trois maîtres ont été transformés après leur séjour.
Pour vous, Kandinsky, c’est le père de l’art abstrait ? Pourtant les premières toiles de l’artiste sont figuratives, et représentent des villages ou des paysages. Que s’est-il passé pour que Kandinsky bascule vers l’abstrait ? Réponse, un voyage en Tunisie.
Au début du XXe siècle, Vassily Kandinsky est un jeune peintre russe installé en Allemagne. Il est à l’époque très influencé par les impressionnistes européens, dont Monet. Ses premières toiles représentent des contes et légendes du folklore russe. En 1904, il part vivre en Tunisie quelques mois. À son arrivée, il s’imprègne de l’ambiance de la médina et observe les scènes de rue.
**Pierre-Nicolas Bounakoff, commissaire d’exposition : "**Quand Kandinsky arrive en Tunisie, il continue sur cette intention de regarder la société, la pensée vraiment populaire autour de lui. Il est très proche de cet art traditionnel populaire."
Le peintre russe erre dans la ville, observe cette architecture nouvelle, il admire la faïence et les motifs géométriques omniprésents.
**Pierre-Nicolas Bounakoff : "**Si on se centre sur un détail, on voit une touche qui est absolument manuelle et gestuelle et qui n’a plus rien d’un dessin à la ligne."
Les lignes se dissocient de plus en plus des couleurs, les humains s’effacent, les sujets disparaissent au profit de formes.
Pierre-Nicolas Bounakoff : "On est en 1905, et on voit à quel point il avance vite, à quel point il se détache de l’impressionnisme qui l’a inspiré. C’est très difficile sur une représentation d’un paysage tunisien de voir venir l’abstraction, on ne peut pas pousser des années en avance mais on voit une vraie volonté de ne pas refaire les mêmes œuvres, toujours de changer, simplifier, jusqu’à atteindre aux alentours de 1912 l’abstraction complète.
Henri Matisse au Maroc
Matisse, vous le connaissez pour ses toiles où le bleu domine. Parmi tous ses voyages, un séjour au Maroc va considérablement le marquer. En 1912, c’est un peintre de 43 ans qui connaît déjà un grand succès en Europe. Très perturbé par la mort de son père, il connaît alors une crise artistique et cherche à s’éloigner du fauvisme et de ses couleurs vives et irréelles.
**Pierre-Nicolas Bounakoff : "**Henri Matisse va traverser la Méditerranée pour aller chercher d’autres lumières et une vision du paysage différente de ce avec quoi il a débuté."
Matisse se passionne pour l’art islamique, les arabesques, les couleurs turquoises. Dans sa peinture, les formes se simplifient, les couleurs se font plus pures. Le vert et le bleu dominent.
**Pierre-Nicolas Bounakoff : "**L’influence de la couleur est très forte sur ce passage de la représentation de la réalité qui nous entoure; à simplement la couleur presque comme une nourriture, on se remplit de couleur."
Max Ernst en Arizona
Peintre et sculpteur allemand, Max Ernst est associé au dadaïsme et au surréalisme. Artiste iconoclaste et subversif en Europe, il va trouver son illumination en exil aux États-Unis.
En 1941, Max Ernst fuit l’avancée du nazisme et traverse l’Atlantique. Refusant de rester à New York comme les artistes en exil, il pousse jusqu’en Arizona.
**Pierre-Nicolas Bounakoff : "**Max Ernst était à Paris un artiste assez ironique assez centré sur la gravure, la matière. Quand il arrive en Arizona, on voit un changement dans son œuvre, impressionné sans doute par la luminosité de ce désert qui est en même temps très sec mais qui comprend des montagnes et des rochers extraordinaires de beaucoup de couleurs différentes."
Ernst utilise des couleurs de plus en plus lumineuses et rougeoyantes. Notamment dans Coloradeau, tableau en hommage à la fois à cette terre primitive et allusion au Radeau de la Méduse.
Pierre-Nicolas Bounakoff : "Il y a toujours une inquiétude psychologique dans le surréalisme et on voit à ce moment-là, la manière dont Max Ernst, au milieu des États-Unis et du désert, s’en est détaché. Dans le résultat d’un exil, d’une fuite de guerre, il arrive presque dans un paradis perdu."