Y aura-t-il un ciné ouvert à Noël ?

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Y aura-t-il un ciné ouvert à Noël ?

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Cinéma confiné, cinéma condamné ? Pas pour La Clef, cinéma indépendant historique qui a projeté des films au-dessus de son enseigne lors du confinement, pour continuer à faire vivre le 7e art.
Cinéma confiné, cinéma condamné ? Pas pour La Clef, cinéma indépendant historique qui a projeté des films au-dessus de son enseigne lors du confinement, pour continuer à faire vivre le 7e art.
© Corbis - Stephane Cardinale

Retrouverons-nous bientôt les salles de cinéma ? En ces temps d’incertitude, la crainte des distributeurs et des exploitants est que la période de confinement nous ait complètement convertis à leur préférer les offres de plus en plus riches des plates-formes numériques.

En ce mois de mai 2020, à défaut de salles de cinéma et de Festival de Cannes, chacun.e nourrit sa cinéphilie chez lui/chez elle, avec tout ce que la technologie permet et suivant ses revenus. 

Télé, DVD, Blu-ray, VOD : on n’a jamais vu autant de films depuis que les cinémas sont fermés - ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette singulière pandémie.  

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Retournerons-nous un jour en salles pour voir les films en grand ? En aurons-nous envie ? Y aura-t-il un ciné ouvert à Noël ? Questions lancinantes qui planent comme des oiseaux de mauvaise augure sur l’industrie cinématographique telle qu’elle existe en France et encore dans quelques autres coins du globe. "De par le monde, un grand nombre de salles ne rouvriront jamais, elles auront fait faillite, les autres - grands circuits et indépendants - vont connaître des situations financières difficiles" : ce n’est pas Philippulus le faux prophète qui le clame, mais Jean-Michel Frodon le vrai ciné-critique de Slate qui le déclame dans un article intitulé "La Crise du Covid-19 est-elle en train de tuer le cinéma ?", mis en ligne dès le 13 avril 2020.

Pour l’ancien directeur des Cahiers du Cinéma, "il est en effet possible que le cinéma vienne non à disparaître, mais à se raréfier au rang de curiosité réservée à des poignées de passionné·es se nourrissant essentiellement de grandes œuvres du passé. Il occuperait alors dans la vie commune un statut comparable à celui que détient par exemple aujourd'hui l’opéra". Jean-Michel Frodon estime par ailleurs que l’affaiblissement du réseau des salles risque d’affecter l’essence même du 7ème art : "Si la VOD est un moyen de transport (très utile pour les films, entre autres) ; elle n'est pas un dispositif de création, ce qu'a été et reste la salle de cinéma" soutient-il. Amen !

La Théorie
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Sédentarisation forcée 

Né officiellement le 28 décembre 1895 avec la première projection publique des frères Lumière, le Cinéma est-il officieusement mort le 14 mars 2020 à minuit avec la décision de fermer les 2 000 cinémas, soit 6 000 salles en France ?

Ce n’est pas la première fois qu’on annonce la fin du cinéma, loin s’en faut, on l’a claironné avec l’avènement de la télévision, puis avec l’essor des vidéo-clubs, et encore plus fortement avec l’arrivée des sites de streaming. D’ailleurs, aujourd’hui de plus en plus d’observateurs estiment que la pandémie actuelle ne fait qu’accélérer des mouvements de mutation déjà en cours, et que cela vaut aussi pour la diffusion des films. Si la pandémie du Covid-19 semble particulièrement virulente vis-à-vis de ce pas si vieil art de 125 ans, le pronostic vital n’est pas engagé : le cinéma au cinéma ne va sans doute pas disparaître du jour au lendemain. Personne ne peut prédire néanmoins dans quel état il sortira de cette terrible séquence. 

Richard Patry, le président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) ne cache pas sa crainte : "C’est la sédentarisation forcée de nos concitoyens qui m’inquiète le plus. Que vont-ils faire pendant que les salles sont fermées ? Regarder Netflix, Disney + ou Amazon Prime Vidéo, et, donc, se déshabituer de la salle de cinéma" confie-t-il au Film Français

On peut comprendre les craintes exprimées par le président de la FNCF, les plates-formes de VOD (vidéo à la demande) sont en pleine expansion, enregistrant partout dans le monde une hausse importante de leurs nombres d’abonnés. 

Mais n’était-il pas hasardeux d’indexer l’envie de la salle de cinéma au taux de rendement des plates-formes américaines de streaming ? "Depuis l'origine de l'ère numérique, on s'est posé les mauvaises questions" s’emporte Thierry Frémaux dans une longue interview accordée au site du magazine britannique Screen mise en ligne le 11 mai. 

Les projections sur grand écran ont perduré depuis l'invention de la télévision. Un beau jour, les chaînes de télévision se sont multipliées, suivies par le DVD, et maintenant les plates-formes. Tout cela coexiste parfaitement bien. Pourquoi la presse perd-t-elle son temps à annoncer le déclin des salles de cinéma alors qu'il n'en est rien ? Thierry Frémaux

Si les débats sont toujours vifs, c’est que l’enjeu économique est colossal : le circuit de distribution français avec ses 6 000 salles de cinéma génère habituellement 200 millions d’entrées par an. Peut-on espérer revenir un jour, le plus tôt possible, à ce niveau de fréquentation ?

Le désir des salles obscures

D'après un sondage réalisé entre le 26 et le 31 mars par Vertigo Research, "aller voir un film au cinéma" serait la deuxième activité post-confinement la plus plébiscitée par les spectateurs s'étant rendus en salles au cours des 12 derniers mois. Après "Manger au restaurant, boire un verre dans un café", en tête des suffrages, mais avant "Pratiquer une activité sportive librement", "Sortir faire la fête", "Assister à un spectacle vivant"… D'après cette étude, 65 % des Français déclarent vouloir retourner "rapidement au cinéma" - à titre comparatif, au pays d’Hollywood, seulement 7% d’Américains se disent prêts à retourner voir un film en salles.  

On sonde, on s’inquiète, on imagine toutes sortes d’aménagements possibles. On mesure surtout à quel point il n’est pas possible de se projeter dans ce futur si proche et si insolent d’incertitudes. En attendant, il faut maintenir la flamme. Sur les réseaux sociaux, des stars de cinéma vantent l’expérience unique de la salle à travers le mot d’ordre #OnIraTousAuCinéma, partageant depuis leur confinement des vidéos où elles livrent leurs meilleurs souvenirs dans une salle de ciné. 

Dans quel état d’esprit serons-nous, nous, quand les salles rouvriront ? Et surtout dans quel état seront les salles quand on pourra enfin aller voir un film au cinéma. Autre débat, autre polémique ! Un mètre de distance entre chaque siège (sauf pour les personnes venues ensemble à la séance) proposent certains exploitants prêts à sacrifier plus de la moitié de la jauge à chaque séance. Durant l’émission de télévision C dans l’air du 23 avril 2020, le président du Festival de Cannes Pierre Lescure a fait savoir que les exploitants de salles prévoient d’activer la ventilation des salles pendant 20 minutes entre chaque séance au lieu de 5 minutes habituellement, de manière à ce que l’air soit "complètement transformé". Ambiance ! 

Entre les impatients qui espèrent l’ouverture des salles de cinéma dès le mercredi 1er juillet 2020 et ceux qui préconisent d’attendre qu’on puisse s’y rendre comme autrefois, sans masques et sans contraintes, quitte à patienter jusqu’à décembre 2020 ou janvier 2021, Hollywood semble jouer le rôle d’arbitre. Si les studios américains maintiennent la sortie de quelques blockbusters attendus, ce qui semble loin d’être acquis, alors on pourrait espérer durant cet été une réouverture des salles de cinéma en France et dans le reste du monde. Avec des aménagements pour les sièges, pas de pop-corn et des horaires décalés. 

Imagine la culture demain
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Un été blanc à Hollywood ?

Pour "relancer la machine_",_ les distributeurs français parient donc sur les grosses productions américaines. Sauf qu’à Hollywood la panique des studios suit la courbe américaine du Covid-19, ce qui a pour conséquence de bousculer chaque jour un peu plus le calendrier des sorties. Le si bien nommé Mourir peut attendre, le nouveau James Bond qui devait faire exploser les box-offices du monde en mars, a été repoussé à fin novembre. Les films Marvel prévus pour cet été, Black Widow et Eternals, sortiront respectivement le 6 novembre 2020 et le 12 février 2021 ! S.O.S Fantômes : l’Héritage et le spin-off de Spider-Man, ne sortiront qu'en mars 2021 alors qu'ils devaient tous les deux nous accompagner cet été 2020. Idem pour Soul, le dernier Pixar, qui devait être distribué après son avant-première au Festival de Cannes, ainsi que The French Dispatch, le nouveau Wes Anderson, également sélectionné par le Festival de Cannes, tous les deux déplacés à l’automne ! Pratiquement achevés, Top Gun 2 et Fast and Furious 9 ont vu leurs sorties repoussées à 2021. Enfin, si le West Side Story réalisé par Steven Spielberg n’est plus certain d’être à l’affiche le 18 décembre 2020 comme annoncé, au moins on a la certitude que le 5ème Indiana Jones prévu pour l’été 2021 ne sortira pas avant 2022. Idem pour Matrix 4

Ironie du (mauvais) sort : cet été US 2020 qui s’annonçait périlleux avec son carambolage de blockbusters risque à l’arrivée d’être un été blanc pour Hollywood. Autrement dit le scénario noir pour l’industrie, l’été étant la saison la plus importante pour le cinéma américain car elle concentre la moitié des recettes de l’année.

Reste pour l’instant Tenet le dernier Christopher Nolan, prévu le 22 juillet, et Wonder Woman 1984 de Patty Jenkins repositionné à la mi-août. Deux blockbusters emblématiques, très post-#MeToo et compagnie. D’une part Tenet, film d’action et d’espionnage avec un Afro-américain en tête d’affiche, John David Washington, le fils de Denzel Washington, et en co-starring Robert Pattinson et pas le contraire. D'autre part, Wonder Woman 1984, qui met en vedette une super-héroïne de l’univers DC dans une super-production réalisée par une femme ! 

Les deux super-héros avec leurs statuts de minorités longtemps malmenées par le système des studios arriveront-ils à sauver (un peu) l’été hollywoodien ? Comme au cinéma, plus c’est improbable plus on a envie d’y croire…

Dans une tribune publiée le 8 mai 2020 par Le Film Français, les co-présidents du Syndicat des distributeurs indépendants (SDI), Jane Roger et Etienne Ollagnier résument les sentiments de sidération et d’inquiétude qui traversent la profession : 

Nos certitudes ont été balayées d’un revers de pandémie et nous avons appris une chose au moins : que ne nous sommes plus sûrs de rien. Il y a six semaines nous craignions tous un trop plein de films à la reprise, voilà que nous craignons désormais un manque de films, par peur d’un marché très dégradé. Jane Roger et Etienne Ollagnier

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Pacte avec le diable

Face à la crise, l’heure est aux assouplissements. Aux Etats-Unis, l’Académie des Oscars a décidé d’autoriser à concourir des films sortis directement en VOD pour cause de pandémie. En France, le Centre national du cinéma (CNC) outre ses aides aux salles et aux distributeurs, a décidé pour une durée temporaire de mettre en veilleuse la sacro-sainte chronologie des médias. Certains films sortis juste avant le confinement peuvent être proposés en VOD et d’autres long-métrages pourront sortir directement en ligne (en temps normal, la diffusion d’un film est interdite en DVD ou en VOD ­pendant les quatre mois qui suivent son exploitation en salles). 

Partant du principe que, si les gens ne peuvent plus aller au cinéma, il faut que le cinéma aille chez eux, le studio Universal n’a pas hésité à proposer en VOD son film d’animation Trolls 2 - Tournée mondiale, privé d’écrans en mars à cause de la pandémie. Avec une location du film en ligne pour une durée de 48h au prix de 19,99$, le succès a été aussi fulgurant qu’inattendu : Trolls 2 - Tournée mondiale a généré près de 100 millions de dollars de recettes au cours des 19 premiers jours de son "exploitation en ligne". De quoi donner des idées à Universal et à son patron Jeff Shell : "Dès que les salles rouvriront, nous comptons sortir nos films sur les deux supports" a-t-il déclaré dans une interview au Wall Street Journal publiée le 28 avril 2020. Un propos reçu comme une déclaration de guerre par les patrons et les syndicats des Multiplexes américains qui menacent désormais de boycotter les films Universal si le studio ne respectait plus la chronologie des films. 

Et c’est reparti pour un nouveau tour ! En France, c’est la sortie le 4 mai 2020 directement sur Amazon Prime du Pinocchio de Matteo Garrone qui a relancé la polémique. Dans un communiqué publié le 6 mai 2020, l'Association française des cinémas d'art et d'essai (Afcae) fustige Le Pacte de Jean Labadie, le distributeur français qui, faute de salles, a cédé les droits de Pinocchio à la plate-forme américaine : "Chaque semaine et chaque jour qui passent renforcent les plateformes mondiales et affaiblissent un système national régulé, mutualisé, aujourd’hui à l’arrêt. Des résultats de fréquentation anémiques cet été, faute d’incitation à la sortie de films, risqueraient de donner de nouvelles raisons aux producteurs et distributeurs de renoncer à la salle" estime dans un communiqué l’Afcae.

La crise entre le monde du cinéma traditionnel et les nouveaux géants du net tels Netflix n’est pas nouvelle, la pandémie du Covid-19 n’a fait que la raviver. "Imaginons un instant une situation à l'opposé de ce que nous vivons en ce moment, propose Thierry Frémaux, toujours dans Screen-daily, un virus informatique efface le contenu de tous nos ordinateurs. Quelles en seraient les conséquences ? Les gens se précipiteraient dans les salles de cinéma, comme les centaines de millions de spectateurs d'après-guerre, avant l'arrivée de la télévision. Malheureusement, nous vivons une situation inverse. Le cinéma est interdit, alors que les chaînes de télévision et les plateformes sont les seuls moyens de voir des films."

La Conclusion
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