Yémen : un drame humanitaire sans précédent

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Yémen : un drame humanitaire sans précédent

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Un membre du personnel médical regarde un enfant souffrant de malnutrition dans un hôpital à Abbs dans la province de Hajjah, dans le nord-ouest du Yémen, le 19 septembre 2018.
Un membre du personnel médical regarde un enfant souffrant de malnutrition dans un hôpital à Abbs dans la province de Hajjah, dans le nord-ouest du Yémen, le 19 septembre 2018.
© AFP - Essa Ahmed

Les ONG s'inquiètent régulièrement du sort des civils au Yémen. Cette semaine, c’est l'organisation britannique Save the Children qui a tiré la sonnette d'alarme. 5 millions d'enfants risquent de plonger dans la famine dans le pays à cause de la guerre, selon l'ONG.

La guerre au Yémen a fait depuis mars 2015 quelque 10 000 morts, dont 2 200 enfants. L'ONU y voit "la pire crise humanitaire" au monde.

Ce conflit oppose les forces pro-gouvernementales, soutenues par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, aux rebelles chiites houthis, soutenus par l’Iran. Dès 2014, les Houthis s’emparent de plusieurs régions du Yémen, dont la capitale Sanaa, en septembre. En janvier 2015, ils assiègent le palais présidentiel. En mars 2015, ils contrôlent Taëz, plus au sud, la troisième ville du pays (carte ci-dessous). Dans son rapport rendu public mercredi 19 septembre, l’ONG Save the Children met en garde contre "une famine d’ampleur sans précédent". 

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L’offensive d'Hodeida à l’origine de la crise humanitaire

Selon l’organisation britannique, cette crise résulte directement de l'offensive menée par les forces pro-gouvernementales dans le port d'Hodeida, à l'ouest du pays, sur les bords de la mer Rouge. La ville et son port stratégique sont dans la ligne de mire des forces pro-gouvernementales depuis le mois de juin. Ces derniers jours, l'armée yéménite, aidée des forces saoudiennes et émiraties mène des raids aériens autour de ce port. L'objectif : tenter d'en reprendre le contrôle aux mains des rebelles, chiites houthis, soutenus par Téhéran. 600 000 civils vivent encore à Hodeida. 

Plus de 70% des importations et l'aide humanitaire transitent par ce point clé. Or, 3 Yéménites sur 4 ont besoin d'assistance, notamment alimentaire selon l'ONU. "Le conflit au Yémen a eu un effet dévastateur sur l'économie, sur l'emploi, mais aussi sur la nourriture disponible", explique Tamer Kirolos, directeur du bureau de Save the Children au Yémen.

"L'escalade de violences et les affrontements autour d'Hodeida, en particulier ces dernières semaines, a entraîné la coupure des deux principales routes menant d'Hodeida au reste du pays", affirme Tamer Kirolos. Autre conséquence, "le prix des denrées alimentaires a doublé à certains endroits" et le "prix du carburant a terriblement augmenté".

Toutes les parties du conflit sont responsables de l’escalade de l’insécurité à Hodeida, selon Amnesty International. "Nous avons découvert que les deux parties du conflit, à la fois la coalition menée par l’Arabie saoudite et le groupe armé des Houthis sont en train de limiter l’accès à l’aide humanitaire et aux importations", explique Lynn Maalouf, directrice de recherche Moyen-Orient à Amnesty International.

"La coalition impose des délais très longs aux bateaux pour qu’ils puissent arriver à bon port au Yémen. De leur côté, les milices installent des barrages et imposent des procédures administratives et logistiques très lourdes, et bloquent ainsi l’accès de l’aide humanitaire, et la circulation de cette aide dans le reste du pays", ajoute-t-elle.

Un agriculteur yéménite travaille sa terre à Sanaa, le 19 septembre 2019
Un agriculteur yéménite travaille sa terre à Sanaa, le 19 septembre 2019
© AFP - Muhammed Huwais
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Les enfants, victimes directes du conflit

Les conséquences sont dramatiques sur le plan médical. "Il y a de gros problèmes d’accès à l’eau propre, et c’est qui déclenche des maladies comme le choléra", souligne Lynn Maalouf. Le choléra touche plus d'un million de personnes au Yémen, selon l'OMS, et a fait plus de 2 400 morts entre septembre 2016 et mars 2018.

La population civile et en particulier les enfants sont les premières victimes de l’insécurité croissante et de l’envolée des prix. 

De plus en plus de Yéménites n'ont pas accès à la nourriture pour survivre. De plus en plus de familles doivent faire ce terrible choix : soit dépenser leur argent, pour leur santé, soit pour nourrir leurs enfants. On voit des parents arriver avec leurs enfants pour se faire soigner. Mais malheureusement, souvent ils arrivent trop tard, et leurs enfants meurent.      
Tamer Kirolos, directeur du bureau de Save the Children au Yémen

Plus de 5 millions d'enfants risquent de souffrir de la faim selon Save the Children. Précisions avec le témoignage du directeur de l'ONG sur place

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Cela est clairement dû, selon Tamer Kirolos au "prix des transports et aux difficultés d'accès aux hôpitaux." Selon l'ONG britannique, 400 000 enfants souffrent déjà de malnutrition sévère au Yémen. "Dans un hôpital que j'ai visité dans le nord du Yémen, les bébés étaient trop faibles pour pleurer, leurs corps épuisés par la faim", a déclaré Helle Thorning-Schmidt, directrice générale de Save the Children.

D'après le Fonds des Nations unies pour l'enfance ( Unicef), la guerre a déjà entraîné la mort de 2 200 enfants. Cette situation risque malheureusement de s'aggraver, redoutent les organisations humanitaires. "Le temps commence à manquer" pour empêcher "une famine dévastatrice" au Yémen et "nous ne pouvons pas nous permettre la moindre perturbation" dans la distribution de l'aide, a averti le Programme alimentaire mondial (PAM).

© Visactu

Des crimes de guerre

Selon Lynn Maalouf, directrice de recherche Moyen-Orient à Amnesty International, "toutes les parties du conflit commettent des violations du droit international, des abus, et des crimes de guerre", notamment des "bombardements", qui "sont des violations des lois de la guerre, dans le sens où elles font un nombre disproportionné de victimes par rapport à l’objectif militaire". L'ONG dénonce également "l’utilisation des bombes à sous-munitions", qui sont aussi interdites. 

"Avec l’opération militaire d’Hodeïda, l’impact sur la population civile pourrait être dramatique", souligne la chercheure pour le Moyen-Orient. Selon l’ONU, le coût humain de cette offensive est incalculable. Autres abus pratiqués aussi bien par l’armée que par les milices houthis, "des détentions arbitraires, des disparitions forcées dans le sud du pays."

De nombreuses violations des droits humains sont dénoncées par Amnesty International. "Nous avons dénombré plus de 50 cas de disparitions forcées, des civils, des activistes en faveur de la défense des droits de l’Homme", précise Lynn Maalouf. Une illustration de ces violations persistantes des droits humains : "l’arrestation l’été 2018 de deux co-cofondateurs de l’une des plus importantes organisations des droits humains yéménites, Muwatanna, par les forces de la coalition alors qu’ils tentaient de quitter le pays pour assister à une conférence sur le Yémen". Ils ont finalement été relâchés sous la pression d'une mobilisation populaire. Un des chercheurs de l'organisation serait détenu par les forces houthies, selon Amnesty International. 

Les organisations humanitaires appellent à un cessez-le-feu dans la région. Elles en appellent aussi à la responsabilité des occidentaux dans ce conflit. "Amnesty International demande expressément aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, et la France, d’arrêter de vendre des armes à la coalition menée par l’Arabie saoudite", insiste Lynn Maalouf. "Il y a un fort risque que ces armements soient utilisés pour commettre des crimes de guerre".

Revue de presse internationale
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