"Il n’y a jamais eu de travaux de fait" : l’appauvrissement des propriétaires et les lenteurs administratives au coeur de l'enquête sur l'incendie mortel de Vaulx-en-Velin

L'immeuble de Vaulx-en-Velin qui a pris feu le 16 décembre 2022, provoquant la mort de dix résidents dont quatre enfants.
L'immeuble de Vaulx-en-Velin qui a pris feu le 16 décembre 2022, provoquant la mort de dix résidents dont quatre enfants. - MATHILDE IMBERTY / RADIOFRANCE
L'immeuble de Vaulx-en-Velin qui a pris feu le 16 décembre 2022, provoquant la mort de dix résidents dont quatre enfants. - MATHILDE IMBERTY / RADIOFRANCE
L'immeuble de Vaulx-en-Velin qui a pris feu le 16 décembre 2022, provoquant la mort de dix résidents dont quatre enfants. - MATHILDE IMBERTY / RADIOFRANCE
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Plus de quinze jours après l’incendie qui a fait dix morts dont quatre enfants dans une copropriété de vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, les résidents rescapés, relogés temporairement, sont dans l’attente des expertises. Mais la colère prime : la dangerosité de l’immeuble était identifiée mais les travaux nécessaires à leur mise en sécurité ont trop tardé.

Le 16 décembre dernier, l’incendie d’un immeuble à Vaulx-en-Velin faisait 10 morts dont quatre enfants. L’enquête est en cours, elle doit déterminer si le feu est d’origine criminelle ou accidentelle. Il s’est violemment déclaré et en pleine nuit dans un petit immeuble de sept étages, une copropriété privée autrefois très convoitée. Les expertises doivent dire dans les jours qui viennent si l’immeuble pourra être réhabilité ou s’il faut le détruire. Les autorités se sont engagées à proposer un logement définitif aux 18 familles relogées en urgence d’ici la fin janvier. Pour l'heure, des solutions temporaires ont été trouvées dans des chambres d’hôtel, ou des appart’hôtels.

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Le feu a pris au rez-de-chaussée, c’est donc la partie basse qui est la plus abimée. Mais à l’intérieur de l’immeuble et avant même l’incendie, le constat de dégradation avait été dressé par les habitants, locataires et propriétaires. "C’était déjà mal entretenu, tout ce qui était sécurité, il n’y avait rien", témoigne une habitante. "Il n’y a pas de détecteurs, système incendie, ça n’existe pas, confirme un autre résident. Mon voisin est décédé dans son sommeil".

"Ça faisait plus de vingt ans qu’on était là-bas avec ma femme. On payait plus de 400 euros de charges et en fait, il n’y a jamais eu de travaux de faits."

"Ça fait trois ans qu’il n’y avait plus de vitres dans l’allée, la trappe d’évacuation de fumée qui se trouve au troisième étage était condamnée", poursuit ce résident. "Du coup, la fumée rentrait directement dans mon appartement, explique une quatrième. Je me suis assise par terre, j’ai serré mes enfants et je me suis dit : ça y est, là, c’est la fin".

Les ex-résidents sont traumatisés par les scènes terrifiantes qu’ils ont vécues et ils n’envisagent pas d’habiter de nouveau au 12 chemin des Barques. Ils sont en colère, d’autant plus qu’ils avaient dénoncé la dégradation de leur immeuble, notamment la présence de dealers dans le hall de l’entrée qui avaient installé un canapé et menaient ouvertement leurs affaires. Abdallah cherchait à changer d’appartement avant le drame. Elle était locataire au 7e et dernier étage. "La porte était cassée, l’ascenseur marchait une fois sur deux. J’ai deux bébés, je devais monter à pied tout le temps. J’avais de la moisissure et de l’eau qui coulait dans la chambre de mes enfants. On dormait tous dans le salon", raconte-t-elle. Elle payait 790 euros pour ce "T3", qui se résumait finalement à la salle à manger, dit-elle. "On se plaignait tout le temps et ça ne bougeait pas".

"On appelait ça le quartier des ‘bourg’"

La copropriété, située entre le centre-ville de Vaulx-en-Velin et la ZUP du mas du Taureau construite dans les années 1970, des années d’expansion démographique avant d’être l’illustration malheureuse d’une copropriété dégradée, était très convoitée. Hedi aujourd’hui retraité y a élevé ses cinq enfants. Il avait acheté en 1989. "Le jour de mes 26 ans, se souvient-il. Fier parce que c’était le quartier huppé du coin. On appelait ça le quartier des ‘bourg’. J’ai grandi à Vaulx-en-Velin depuis l’âge de huit ans. Ça a été bien pendant une quinzaine d’années et puis après, ils ont mis des gens en location et ils ne s’occupaient plus de rien. Plus de vitres dans les allées, il faut slalomer pour rentrer… On est plus que cinq-six propriétaires-occupants sur une trentaine d’appartements".

Des propriétaires qui, dans leur ensemble, se sont appauvris, explique la mairie, et n’ont pas pu faire face au mur des charges. Ajoutez un syndic en faillite, puis la reprise en main par un administrateur judiciaire qui ralentit encore les procédures… In fine, la ville s’est emparée de la question en 2018. La propriété est alors inscrite comme prioritaire par l’État. Le diagnostic met en lumière "des désordres sur les équipements et les réseaux posant la question de la sécurité des habitants notamment en cas d’incendie" (extrait d’une délibération municipale). Les premiers travaux ne démarrent néanmoins qu’en 2021 et l’essentiel n’a pas été réalisé.

À Vaulx-en-Velin, 13 copropriétés dans ce même quartier sont ainsi plus ou moins sévèrement dégradées. Cela représente près de 5 000 habitants. C’est considérable. Hélène Goeffroy, la maire socialiste de la ville demande une loi ad hoc : "L’action publique s’est beaucoup orientée sur les logements sociaux. Il n’y a pas de regrets, il fallait le faire. Mais elle ne peut pas laisser de côté les copropriétés privées".

"On est partis sur un schéma historique où les propriétaires étaient aisés mais dans nos villes populaires, ce sont des propriétaires modestes à très modestes."

"À un moment, quand on considère que la copropriété se dégrade, il faut passer le pilotage au maire et à l’État local, au préfet, estime Hélène Geoffroy. Ça nécessite, je pense, de changer la loi pour qu’on puisse accélérer les choses".

Dans ce secteur de Vaulx–en-Velin, les logements se vendent à des prix très bas aujourd’hui. On n’est plus propriétaire de rien, lâche écœurée une dame âgée de l’immeuble d’à côté qui pensait se constituer un patrimoine pour l’avenir en achetant un appartement chemin des Barques.