13-Novembre : les récits des "victimes oubliées" des explosions au Stade de France, au 13e jour du procès

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13-Novembre : les récits des "victimes oubliées" des explosions au Stade de France, au 13e jour du procès

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Les témoins du Stade de France
Les témoins du Stade de France
© Radio France - Valentin Pasquier

Début aujourd’hui des auditions de parties civiles. Avec, tout d’abord, l’attentat du Stade de France. Gardes républicains primo-intervenants, fille endeuillée et survivants se sont succédé à la barre.

C'est le temps de l'émotion dans lequel l'audience a plongé aujourd'hui. Celui des auditions de parties civiles. Elles sont 350, indique le président, à souhaiter livrer leur témoignage à la barre. 350 sur les plus de 2200 désormais constituées. 

Les gardes républicains, primo-intervenants et victimes oubliées

Ils sont les tout premiers à s’avancer à la barre. Certains en uniforme, salut et pas militaire. D’autres retraités. Tous gradés, expérimentés. Et tous s’effondrent les uns après les autres à la barre. En larmes, ces membres de la garde républicaine racontent leur 13 novembre 2015. Leur mission, habituelle lors de concert ou de match, de sécurisation du Stade de France. Et, comme d’habitude là encore, une fois la rencontre débutée, les militaires prennent une pause. Ils sont à l’arrière de leur camion, “les chevaux attachés de part et d’autre” lorsque survient la première explosion. "Le temps s'arrête, un silence de mort s'installe. Et puis un cri déchirant", se souvient Jonathan. “A une vingtaine de mètres : il y avait énormément de fumée. J'entends un monsieur qui hurle : bande d'enculés, bande d'enculés" poursuit Philippe. 

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Et non loin de là, le corps de Manuel Dias, 66 ans, chauffeur de bus pour des spectateurs venus de Reims : "Je vois son visage, les yeux ouverts, agenouillé, le visage appuyé sur l'une de ses mains", raconte Jonathan. Je constate qu'il est décédé. Et il me faut un moment pour réaliser que les débris humains sont trop nombreux pour un seul corps". Philippe, lui, aperçoit “une jambe. Ma première pensée, ça a été : qu’est-ce que fait cette jambe de mannequin de vitrine là ?” 

Jonathan, gendarme membre de la garde républicaine, pendant son témoignage
Jonathan, gendarme membre de la garde républicaine, pendant son témoignage
© Radio France - Valentin Pasquier

A quelques mètres de là, Pierre, lui a “senti qu’il y avait quelque chose de grave, qu’il fallait donner l’alerte”. Il est au téléphone lorsque le deuxième kamikaze déclenche sa ceinture explosive. “Je garde en moi l’explosion, le bruit, l’odeur”. Les gardes républicains interviennent, mettent en place un périmètre de sécurité, s’affairent auprès des victimes blessées. Mais rapidement, ils sont écartés de la scène de crime par les forces de l’ordre dépêchées sur les lieux. Alors ils rentrent aux écuries pour “un débrief rapide”. Puis chez eux. “Je mets une heure à arriver à parler”, raconte Renaud très ému. “C’était mon premier jour de reprise après mon congé paternité. Ma première fille avait cinq semaines. Le 14 novembre au matin, ma femme m'a dit : il faut que tu parles aux petits” poursuit Philippe en larmes. “Je leur ai dit : posez-moi cinq questions chacun et après on n'en parle plus. Et puis voilà, je n'en parle jamais en famille".

Les uns après les autres, les gendarmes de la garde républicaine livrent à la barre leur émotion. Leur amertume aussi. Car ils se sont sentis “seuls, abandonnés” par leur institution. "Zéro reconnaissance. Et ça vraiment c'est dur", résume Renaud.

Manuel Dias, seule victime décédée

C’est sa fille Sophie Dias, 39 ans, qui s’avance à la barre pour évoquer ce “papa poule comme il en existe peu”, ce “mari qui offrait des roses rouges à son épouse” qu’était Manuel Dias, “66 ans, retraité, seule victime décédée au Stade de France”. Et pas “un passant comme plusieurs médias ont pu le dire ces derniers jours”, insiste-t-elle. 

Ce 13 novembre 2015, Sophie Dias est au Portugal, d’où est originaire son père, pour préparer son mariage. Elle est au restaurant lorsque les premières alertes apparaissent sur les chaînes d’informations portugaises. “J'appelle mon père, qui ne répond pas. J'insiste une dizaine, vingtaine, trentaine de fois". Suivront de longues heures d’angoisse. Jusqu’au 14 novembre vers midi et l’annonce du décès de son père. “Le monde s’écroule. Et débute alors le parcours du combattant, seuls, qui va nous anéantir chaque jour un peu plus. Avec de lourdes démarches, un manque d'empathie constant." Outre son ressentiment vis à vis du fonds de garantie, chargé de l’indemnisation des victimes, et “ses experts froids”, Sophie Dias confie aussi son désarroi face à l’oubli dans lequel sont tombées les victimes du Stade de France, dit-elle. “Parfois on me dit : mais c'était quel attentat ? Et je trouve lamentable qu'il n'y ait pas un travail dans les écoles pour sensibiliser les jeunes à ce qu'il s'est passé et comment on en est arrivé là".

Sophie Dias, fille de la victime de l'explosion près du Stade de France
Sophie Dias, fille de la victime de l'explosion près du Stade de France
© Radio France - Valentin Pasquier

Les survivants des explosions

Arrivent ensuite les survivants des explosions. Ceux qui se trouvaient à quelques mètres des kamikazes lorsqu’ils ont déclenché leurs ceintures explosives. Marylin, journaliste, 33 ans à l’époque, avait accepté une pige pour interviewer des supporteurs allemands. Elle se dirige vers les restaurants à proximité du stade lorsque “j’ai été stoppée nette par l’explosion”. Elle parvient à fuir, retrouve son collègue. Et se rend compte qu’elle est blessée, touchée aux jambes et au visage. “J'avais très, très peur d'être défigurée, d'avoir la joue arrachée”. Elle montre son visage à la cour : “J'ai un impact là. Il ne se voit plus beaucoup. Mais moi je le vois tous les jours." D’ailleurs, elle est venue avec l’éclat d’écrou à l’origine de cette blessure pour le montrer à la cour. “Mais je souhaiterais le conserver”, précise-t-elle. Ce qu’elle livre aux magistrats en revanche est son désarroi lié au syndrome de stress post-traumatique : l'hypervigilance, “la peur de tout”, l'incapacité de résister “à la moindre émotion, “la libido en berne”, “la perte d’enthousiasme”, “les pétages de plomb incompréhensibles”. Aujourd’hui, Marylin est séparée du père de sa fille : “notre couple n’a pas résisté aux attentats”. Mais elle espère que son témoignage devant la cour, lui permettra de trouver “les mots pour expliquer un jour à ma fille qui a aujourd'hui trois ans ce qui m'est arrivé”. 

Il y a Mohamed qui, ce 13 novembre 2015, faisait “une vacation comme agent de sécurité pour compléter les fins de mois”. La deuxième explosion survient à une dizaine de mètre de la porte H où il se trouve. Son corps est perforé par cinq boulons, mais il reste debout. S’éloigne, se rend compte qu’il est blessé. “J’ai fait une prière, j’ai parlé à mon créateur”, explique-t-il à la barre, très ému. Si ému qu’il ne parvient pas à poursuivre son récit. Il fait demi-tour et quitte la salle d’audience. Plus tard, il reviendra dans le prétoire confier avoir prié “pour pouvoir voir mes filles grandir”, racontera aussi avoir tenté d’éponger le sang “avec mon mouchoir”. Avant de rejoindre l’hôpital à pied. Seul.  

Il y a aussi Hervé, victime d’acouphènes incessants depuis qu’il a ressenti “le souffle de la bombe. Des acouphènes qui la nuit me réveillent constamment et me rappellent à chaque fois ce qu’il s’est passé le 13 novembre”.

Il y a enfin Walid, égyptien de 33 ans qui s’excuse de ne pas témoigner en français. Mais tient d’emblée à préciser que “la langue arabe est la seule chose que j’ai en commun avec les accusés”. Lui qui a été “soulevé de terre” par l’explosion du deuxième kamikaze. Et qui, quand il rouvre les yeux, découvre sa “jambe droite séparée de mon corps”. Il demande à poursuivre sa déposition assis. “Je vais essayer de vous donner une idée de l'ampleur de ma douleur”, indique-t-il. La suite est le récit de deux ans et demi d’hospitalisation. Huit mois de coma, de multiples interventions chirurgicales, l’échec de l’une d’entre elles qui l’oblige, pendant plus de deux ans, à vivre “le ventre ouvert avec une poche pour mes besoins”. Ce sont encore “des perfusions d’antibiotiques sous cutanées, placées à vif”, les acouphènes permanents, les douleurs encore persistantes, l’impossibilité de reprendre son travail. C’est aussi ce triste constat : “nous en Égypte, on connaît les terroristes et leurs agissements. Ils entrent dans des églises et tuent des gens. Et je suis sûr que cela recommencera."