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Avril 2001 : « Que chacun sache exactement de quoi et de qui il est responsable », s’inquiète la DCN-Cherbourg

Visiblement, les conditions de travail à Karachi des salariés de DCN préoccupent le directeur de DCN-Cherbourg, à l’époque, Laurent Barthélémy

Ainsi, dans une note du 4 avril 2001, le directeur de DCN-Cherbourg s’inquiète de sa responsabilité éventuelle concernant « la santé-sécurité des personnels DCN-Cherbourg employés à des travaux à Karachi, voire en assistance technique client. »

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« J’ai, jusqu’à présent agit en partant du principe que j’avais la responsabilité civile et pénale de l’employeur, au même titre que pour les personnels DCN-Cherbourg travaillant sur Cherbourg », dit-il, avant d’ajouter qu’il est « impératif que chacun sache exactement de quoi et de qui il est responsable. »

Mai 2001 : un rapport d’audit pointe la possible responsabilité de DCN en matière d’hygiène et de sécurité

Cette inquiétude semble partagée par la direction de la DCN puisqu’elle commande un audit au cabinet d’avocats d’affaires Lamy Lexel intitulé : « Responsabilités civiles et pénales de la DCN en matière d’hygiène et de sécurité. Chantier de Karachi (Pakistan.) »

Dans ce rapport de 18 pages que nous avons pu consulter, le cabinet d’avocats ne rassure pas vraiment la DCN « non partie au contrat » mais qui « intervient pour la fourniture de main d’œuvre », par le biais de la DCNI (Direction des constructions navales internationales.)

Le cabinet Lamy Lexel conclut que, malgré ce dispositif de sous-traitance, « la direction de la DCN en charge du projet pakistanais dispose des pouvoirs de direction sur les différents personnels envoyés sur place, étant donné que c’est elle-même qui ordonne les missions au personnel DCN. »

la phrase 2
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© Radio France

Traduction : la responsabilité de DCN pourrait être engagée en cas de problème (accident ou autre) sur place.

« La direction DCN pourrait en effet voir sa responsabilité engagée dans l’hypothèse d’un événement dommageable qui concernerait le personnel français envoyé en mission à Karachi, dans la mesure même où les ordres de mission sont établis par elle », note encore le cabinet d’avocats.

Des diplomates étrangers rendent un dernier hommage à 11 ingénieurs de la marine française lors d'une cérémonie à Karachi
Des diplomates étrangers rendent un dernier hommage à 11 ingénieurs de la marine française lors d'une cérémonie à Karachi
© REUTERS/Zahid Hussein

Juin 2001 : un conseiller juridique à la DCN de Cherbourg s’interroge sur la légalité de l’envoi du personnel à Karachi

C’est à ce moment là qu’un spécialiste des questions juridiques, rattaché auprès du directeur de DCN Cherbourg, entre en scène.

Il s’appelle Didier Panza. L’homme est en poste à la DCN de Cherbourg d’avril 1995 à janvier 2003.

Début 2001, Didier Panza est spécifiquement chargé d’une mission d’évaluation sur la situation des personnels envoyés à Karachi.

Depuis plusieurs mois, ce fonctionnaire s’intéresse de très près au délit de marchandage et au prêt illicite de main d’œuvre au sein de la DCN. Plusieurs enquêtes judiciaires sont alors en cours, à Toulon et à Marseille, sur ces relations opaques entre la DCN et une myriade de sous-traitants. Le scandale aboutira à la condamnation de plusieurs chefs d’entreprises, militaires et responsables de la DCN, en 2001-2002.

Dès l’été 1999, Didier Panza dénonce à DCN-Cherbourg des « mécanismes corrupteurs » concernant la sous-traitance au sein de la DCN « sans contrôle à priori de l’Etat », insistant alors sur « l’oubli de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, dans un contexte de guerre économique. »

Début 2001, Didier Panza est donc sollicité par le directeur de DCN-Cherbourg sur les questions de sécurité à Karachi. Il rédige alors plusieurs notes à ce sujet. Selon notre enquête, en mars 2001, cinq notes de Didier Panza sont transmises au directeur de DCN, Jean-Marie Poimbeuf.

Le 29 juin 2001, Didier Panza demande à la direction de DCN-Cherbourg « de s’assurer de la légalité de la mise à disposition par DCN Cherbourg des personnels militaires, fonctionnaires, contractuels, ouvriers affectés à DCN-Cherbourg, sous l’autorité de DCN et sous autorité opérationnelle de PND (le ministère de la Défense du Pakistan). »

Pour Didier Panza, le fait que ces salariés se retrouvent dans une chaine de sous-traitance avec un groupement d’entreprise employé sur place (GME, Assystem, DCN Log, Nafco, Défense conseil international) constituent clairement des « initiatives illégales. »

Dès lors, Didier Panza commence à se renseigner spécifiquement sur la situation juridique des ouvriers de l’Etat à Karachi. Après l’attentat, ses notes à sa hiérarchie (que nous avons pu consulter) vont se multiplier.

Les failles de la sécurité, après l’attentat de Karachi

Après l’attentat de Karachi, le 8 mai 2002, Didier Panza confirme par écrit à de multiples interlocuteurs (y compris au pôle anti-terroriste) que ce drame aurait pu, selon lui, être évité.

L’attentat de Karachi place brutalement la DCN face à ses responsabilités, en matière de protection des personnels. En interne, la température monte.

Un audit de sécurité réalisé par le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) est effectué sur place. La majeure partie de cet audit n’a jamais été déclassifiée.

Un appel d’offre est lancé par DCN pour tenter de reprendre la main sur le sujet. C’est la société SSF (Sécurité sans frontières) qui obtient finalement le marché.

Le 3 juin 2002, l’un des chefs de projet de la DCN au Pakistan envoie un mail au directeur de DCN-Cherbourg pour faire le point sur les questions de sécurité, avec en copie la liste de tous les « missionnaires » envoyés à Karachi, depuis 1996.

Dans ce message électronique, il explique que le consulat général de France à Karachi ne possède même pas la liste des représentants DCN (administration de l’Etat) ou DCNI (entreprise privée) sur place !

En réalité, tout passe par Gérard Clermont, employé par la filiale de droit privée DCN Log, et disposant sur place du titre de senior advisor .

Selon le rapport de la Mission d’information sur l’attentat de Karachi, l’homme a déjà été épinglé par le passé pour des manquements à la sécurité.

Gérard Clermont, lui, a toujours démenti la moindre négligence en la matière, s’en remettant aux autorités locales pakistanaises. « Nos moyens de sécurité nous été pourvus par la Pakistan Navy, notamment le bus, conforme à ce qui était prévu dans le contrat, déclare Gérard Clermont devant la Mission d’information sur l’attentat de Karachi. Le bus était un bus blindé et était accompagné par un garde armé. Les moyens sur place ne dépendaient donc pas que de moi. »

Pourtant, comme l’a déjà révélé une précédente enquête de France Inter, les règles de sécurité à Karachi ont largement été sous-estimées, malgré de sérieuses alertes pesant sur les personnels de DCN à Karachi.

De façon inexplicable, quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001, les niveaux de sécurité ont été abaissés sur place. De même plusieurs épisodes inquiétants auraient dû alerter la DCN et ses sous-traitants : une mallette dérobée avec la liste du personnel DCN, une bombe magnétique désamorcée sous la voiture d’un diplomate français à Islamabad, l’alerte d’un policier français à Karachi jugée « inutilement pessimiste » par Gérard Clermont…

La situation juridique incertaine des ouvriers d’Etat à Karachi n’a rien arrangé.