30 ans après : ces quatre albums révolutionnaires qui sont sortis la même semaine
Par Adrien Toffolet
En 1991, les 23 et 24 septembre, Nirvana, les Red Hot Chili Peppers, A Tribe Called Quest, et Primal Scream publient chacun un album. Avec des styles musicaux pourtant différents, ils parviennent à toucher non seulement un large public mais aussi à donner sens aux aspirations de la société.
La semaine du 23 septembre 1991 est synonyme de révolution. En l'espace de deux jours, les lundis 23 et mardi 24 septembre, plusieurs albums majeurs sortent aux États-Unis et en Europe. En France, "La Zoubida" de Vincent Lagaf' est numéro un du Top 50 depuis le milieu de l'été, et "L'autre…" de Mylène Farmer est l'album le plus vendu depuis le mois de mai. Pendant ce temps, Nirvana, les Red Hot Chili Peppers, A Tribe Called Quest, et Primal Scream écrivent chacun de leur côté une nouvelle page de l'Histoire de la musique et marquent une jeunesse un peu perdue avec quatre albums tout simplement légendaires.
Cette semaine précise est "un moment charnière" aux yeux de Jean-Marie Pottier, auteur du livre "Alternative Nation. La scène indépendante américaine 1979-2001", le moment le plus emblématique de l'histoire musicale où "l'underground est devenu mainstream", où l'avant-garde a brisé la porte du grand public.
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La fin d'une ère
Ces groupes sont non seulement sortis de l'ombre, mais ils sont surtout entrés en résonnance avec la société. En septembre 1991, le monde a vécu une année de grands chamboulements : fin de la guerre du Golfe en février, abolition de l'Apartheid en Afrique du Sud en juin, l'Arménie prend son indépendance ce même mois… C'est aussi la fin d'une époque aux États-Unis et au Royaume-Uni. Une période dure.
Ces albums arrivent dans un contexte : "C'est un peu un hasard que ces quatre albums, qui sont différents par bien des aspects, sortent cette semaine-là, mais à la fois ce n'est pas un hasard dans le sens où ils actent la fin des années 80, avec toutes les connotations qui vont avec : le culte de l'argent, le militarisme agressif, les années Reagan et Thatcher. Ces albums incarnent un peu cette ambiance, avec un discours différent, pas nécessairement plus politique, mais un ton plus narquois, nonchalant, décontracté par certains côtés, ou aussi une certaine angoisse face à ce climat un peu crépusculaire en Amérique ou au Royaume-Uni", explique Jean-Marie Pottier.
"Nevermind" : Tourner la page
En 1989, Hippo, le jeune personnage principal du film d'Éric Rochant, "Un monde sans pitié", a ces mots pour raconter son époque : "Si au moins on pouvait en vouloir à quelqu'un. Si même on pouvait croire qu'on sert à quelque chose, qu'on va quelque part… Mais qu'est-ce qu'on nous a laissé ? Les lendemains qui chantent ?" En 1991, aux États-Unis comme en France, le sentiment est le même, mais l'heure est venue de tourner la page en disant "ce n'est pas grave, tant pis" ("never mind").
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Pour Jean-Marie Pottier, c'est une "réponse" aux générations précédentes, d'abord d'un point de vue musical, car il y avait une volonté de "sortir des clichés des années 80. De dire 'on ne veut pas être comme les stars du hard rock', comme Guns N' Roses qu'ils détestaient. C'est un peu comme si, d'un coup, Guns N' Roses, malgré leurs ventes colossales, se retrouvaient frappés d'obsolescence ou de ringardise".
Mais c'est aussi une posture anticonformiste, hurlée sans superficialité, une musique violente comme un cri du cœur, ou encore une attitude ironique, incomprise par toute une partie de la société américaine qui ne voyait en eux que l'image d'une jeunesse blasée et apathique. Ce mouvement portait un nom : le grunge. Avec "Nevermind", Nirvana l'adapte à MTV en faisant des morceaux plus propres qu'auparavant, le rend abordable à une audience extrêmement grande.
"The Low End Theory" : la violence des mots
"1991, c'est l'heure de gloire de certains artistes de hip hop beaucoup plus commerciaux, comme MC Hammer ou Vanilla Ice, et de l'autre côté Public Enemy et NWA", rappelle Jean-Marie Pottier. Autrement dit, des tubes dansants grand public ou des morceaux aux discours militants et une agressivité qui connaîtra son âge d'or avec le gangsta rap quelques années après. "A Tribe Called Quest arrive avec un discours différent, beaucoup moins hédoniste, très politisé mais moins agressif."
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Avec une écriture riche, une musique pointue qui mélange jazz et hip hop et un discours d'appropriation des connaissances, de lutte intellectuelle, de conscientisation, "The Low End Theory" ouvre la voie à une nouvelle génération d'artistes hip hop (The Roots, Kanye West, Pharrell Williams, Mos Def ou même les Français MC Solaar et Oxmo Puccino), tout en plaisant à un large public amateur de musique.
"Screamadelica" : Alors on danse
Le message est clair, donné dès le début de l'album : "Nous voulons être libres... Et nous voulons nous défoncer." L'album sort le 23 septembre au Royaume-Uni, avant de sortir aux États-Unis et de devenir un disque culte. Avant cet album, Primal Scream est un groupe de rock sans grand succès. À la fin des années 80, une partie de la jeunesse (tout comme le groupe) découvre l'acid house, la culture des clubs naissante, et l'ecstasy. Ainsi nait "Screamadelica".
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"C'est typiquement un album qui incarne la fin des années Thatcher. En gros, l'Angleterre a été lessivée par onze ans de politiques libérales, de coupes budgétaires dans tous les sens. Et face à ça, que fait la jeunesse britannique ? Elle va gober des ecstasys et elle va danser, dans une démarche d'hédonisme un peu désespéré, comme réponse à la noirceur des années Thatcher", résume Jean-Marie Pottier, Primal Scream parvient à faire se rencontrer deux mondes, celui du rock et celui de la house, et au passage inspire la scène électronique à venir, Daft Punk en tête.
Blood Sugar Sex Magik : "L'underground est devenu mainstream"
De l'avis même du chanteur Anthony Kiedis dans son autobiographie, le groupe Red Hot Chili Peppers n'a "connu qu'un succès d'estime" avec leurs quatre premiers albums - ce qui n'est pas totalement vrai car le troisième a des titres qui passent en radio. Une période d'amusements et d'excès qui a conduit à la mort par overdose du guitariste Hillel Slovak en juin 1988. Les Red Hot Chili Peppers se donnent alors les moyens de leurs ambitions, en commençant par envoyer le chanteur en cure de désintoxication. "Il y a ce côté 'on vient d'une scène un peu underground, mais on essaye de franchir le pas qui nous sépare du grand public, y compris en ouvrant un peu nos morceaux vers un vers un son plus plus pop'", analyse Jean-Marie Pottier.
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En avril 1991, ils recrutent le producteur Rick Rubin, le plus prisé du moment qui touche autant au hip hop qu'au metal (Beastie Boys, Run DMC et autres Slayer) pour les diriger vers des ambiances un peu plus diffusables en radio et sur MTV. On y trouve donc une balade, "Under The Bridge", devenue tube planétaire (dont le clip a été réalisé par Gus Van Sant), mais aussi une majorité de morceaux drolatiques qui cachent non seulement une déclaration d'amour à la musique afro-américaine (hip hop soul, funk, jazz et même blues) mais aussi une envie de célébrer la liberté et la sexualité. Exactement ce que réclame une partie de la société en ce début des années 90. À la suite de la sortie de "Blood Sugar Sex Magik", les Red Hot Chili Peppers jouent quelques concerts, et partagent logiquement l'affiche avec… Nirvana.
Pixies et Public Enemy : la marche loupée de peu
Les Pixies comme Public Enemy sortent eux aussi un album les 23 et 24 septembre mais la déferlante occasionnée par les quatre albums cités plus tôt ne leur laisse pas la moindre chance de rivaliser. "Trompe le monde" est le quatrième disque des Pixies (l'un des groupes phares de la scène alternative américaine) et le dernier avant de se séparer. L'ironie, souligne Jean-Marie Pottier, c'est que "le point final de leur aventure" arrive le "même jour que la sortie de "Nervermind" de Nirvana, alors que Kurt Cobain a reconnu qu'il avait ouvertement pompé leurs morceaux, notamment pour "Smells Like Teen Spirit"".
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De leur côté, Public Enemy n'a pas les ambitions des MC Hammer et NWA. Depuis le début des années 90, l'un des groupes les plus respectés du hiphop trace sa route et tente de poursuivre ses tentatives de mariage avec le monde du metal et du rap, sur "Apocalypse 91... The Enemy Strikes Black". Avec cette formule, peu de chance de séduire le grand public, mais un morceau légendaire : "Bring The Noise", enregistré avec le groupe de thrash metal, Anthrax. Après la sortie, les deux groupes partent en tournée ensemble, et réunissent pour la première fois dans une salle de concert un public de métalleux et de fans de hip hop.
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