5 choses à savoir sur Le Livre de Poche, des polémiques au choix des couvertures
Par Camille Abbey
Petit et pas cher, il a révolutionné le monde de l'édition, et l'encombrement des sacs et des bibliothèques à sa création en février 1953. Ce livre, qui a permis de populariser la littérature, fête aujourd'hui ses 70 ans !
Le Livre de Poche, et ses bouquins en petit format tirés à grande échelle, a été créé en 1953, par Henri Filipacchi (aussi à l'œuvre pour la création de La Pléiade), avec pour premier titre Kœnigsmark, premier roman de Pierre Benoit. Il associe alors les grands éditeurs français, Albin Michel, Gallimard, Calmann-Lévy, Grasset, "pères fondateurs du Livre de Poche", et leurs grands fonds éditoriaux. Son prix attractif a permis de toucher un large public.
Aujourd'hui, il y a 400 nouveautés par an, 70 éditeurs partenaires, et c'est le premier sur le format poche. Voici cinq choses à savoir sur les coulisses de cette maison d'édition pas comme les autres.
1. Comment choisit-on les couvertures ?
Les couvertures du Livre de Poche sont souvent notables. On pense par exemple aux diverses éditions de celles des livres de Boris Vian, des images de gravures sur celles de Jules Verne ou encore aux peintures impressionnistes chez Proust. Le livre de Poche a changé souvent de parure au cours des décennies, suivant les tendances et les courants artistiques. À ses débuts, les couvertures ont été jugées trop tapageuses. Des années 50 aux années 70, les principes graphiques sont à rapprocher des pratiques publicitaires.

Depuis plusieurs dizaines d'années, l'on constate une tendance chez plusieurs collections de poche : celle de choisir un tableau en couverture d'un livre classique. Les impressionnistes y tiennent une place importante. Pour exemple, Les Coquelicots de Claude Monet, un paysage peint en 1873, a été choisi par Le Livre de Poche, dans les années 90 pour apparaître sur la couverture de Du côté de chez Swann de Marcel Proust. Mais les couvertures sont aussi variées que les livres édités.
Béatrice Duval, directrice du Livre de Poche, nous explique le processus de création d'une couverture, ainsi que le chemin des validations : "Les éditeurs et les éditrices, à partir d'un livre grand format qu'ils ont acheté, qu'on envisage de publier, environ six ou huit mois à l'avance, briefent notre studio en donnant des indications sur le contenu, sur l'ambiance du livre, sur les éléments qu'ils veulent mettre en avant. Le studio revient avec plusieurs propositions de couvertures. On a une réunion 'couverture'. Donc, sont autour de la table : la personne qui a créé la couverture, l'éditeur qui est concerné par cette couverture, la directrice du marketing et moi-même. On discute de la couverture et on voit si le projet doit être accepté ou pas. Et s'il nous convient, on l'envoie à l'éditeur grand format, puis il l'envoie lui-même à l'auteur qui donne ou pas son accord."
C'est une mécanique bien huilée. Beaucoup d'illustrations sont donc réalisées en interne, mais il y a aussi des achats de droits d’œuvres picturales ou de photos. Si la couverture du grand format est très identifiable et qu'elle a marqué les esprits, elle peut également être reprise pour le livre de poche. Cela a par exemple été le cas pour la série Vernon Subutex de Virginie Despentes, d'abord publiée chez Grasset, puis au Livre de Poche, avec la même illustration.
2. Parution d'un livre énigmatique pour les 70 ans : La Mâchoire de Caïn
C'est un véritable puzzle littéraire que ce livre, publié en 1934 en anglais. Il est désormais dans le domaine public. La Mâchoire de Caïn est une sorte d'énigme, conçue par un verbicruciste – quelqu'un qui crée des mots croisés. Ce roman policier a ses pages imprimées dans le désordre. Des millions de combinaisons sont donc possibles, mais il n’existe qu’un seul ordre correct pour retrouver les six assassins et leurs six victimes.
Ce livre refait surface en novembre 2021, grâce à une vidéo TikTok où une jeune femme américaine, Sarah Scannell, parle du livre et essaie de résoudre l’énigme. Elle met alors en ligne des vidéos d'elle-même avec les pages du livre découpées, suspendues avec des fils autour d'elle, et des passages surlignés. La vidéo fait près de 7 millions de vues et le livre est rapidement en rupture de stock.
La Mâchoire de Caïn a été choisi pour fêter l'anniversaire du Livre de Poche, nous explique Béatrice Duval, car c'est un livre un peu atypique, qui sort de l'ordinaire ! Rendez-vous donc le 9 février en librairie, pour s'improviser Sherlock Holmes.

3. Quelles sont les plus grosses ventes du Livre de Poche ?
Les livres les plus vendus depuis les débuts du Livre de Poche sont Vipère au poing d'Hervé Bazin et Le Grand Maulnes d'Alain Fournier, avec plus de 5 millions de ventes. Ensuite, ce sont Le Journal d'Anne Frank ainsi que Germinal de Zola, qui ont quant à eux atteint les 4 millions de ventes.
Si l'on s'intéresse à l'époque récente, l'année dernière, en 2022, le livre le plus vendu a été Trois de Valérie Perrin, avec environ 325 000 exemplaires, puis arrivent ensuite deux livres de Guillaume Musso.
Les chiffres de ventes depuis la création du Livre de Poche sont faramineux. 1,2 milliard d'exemplaires ont été diffusés au total depuis ses débuts, ce qui maintient l'éditeur au premier rang de toutes les collections de poche. Les ventes furent impressionnantes peu après sa création, comme les 500 000 lecteurs d'Un Amour de Swann, de Proust, au fil des années 1950.
4. Des réticences, à sa création
Si la démocratisation des livres permise par la création du Livre de Poche a fait nombre d'heureux et a réjoui une grande partie de la population – surtout les jeunes qui ont largement plébiscité les formats de poche –, elle a aussi suscité des crispations, d'une élite inquiète de perdre le privilège qu'elle seule puisse acquérir des livres en nombre, lors de cette petite révolution culturelle. Ce que certains ont vu comme une "désacralisation" de la littérature n'a donc pas été aux goûts de tous. Dans la revue Les Temps modernes, était défendue l'idée selon laquelle le livre de poche était pour une catégorie sociale déjà familière des livres.
Les petits formats, avant la création du Livre de Poche, étaient plutôt réservés aux livres populaires, voire à la littérature de colportage. C'est ainsi, en utilisant les moyens d'impression et de diffusion alloués à ce type de littérature, qu'il a rendu accessible au plus grand nombre des grands textes littéraires, classiques et modernes.
Béatrice Duval nous explique que les réticences ont effectivement été assez fortes à la création du Livre de Poche : "Il y a toujours eu un peu une sorte de clivage entre la littérature avec un grand L et le livre de poche accessible au plus grand nombre. Sans doute moins maintenant. Mais il y a encore souvent des blocages sur l'idée que la littérature, ça se mérite, et pour tout ce qu'on appelle littérature populaire, ce que moi, je respecte énormément et que j'aime, il y a toujours un petit mépris pour ça de la part de certaines personnes."
Comme ce jeune homme, en 1964, qui déclare qu'il faut "une aristocratie des lecteurs", et qui critique Le Livre de Poche.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
5. La création de la série policière doit beaucoup à Simenon
C'est en 1960, soit sept ans après les débuts de l'aventure Livre de Poche, que, par amitié pour Henri Filipacchi, Georges Simenon lui donne l'autorisation de publier Le Chien Jaune dans la série policière, aux côtés de romans d'Agatha Christie et de Maurice Leblanc. L'auteur était publié par Fayard, uniquement en grand format, et n'était pas vraiment convaincu au départ de ce passage en poche.
Tout le monde a finalement été gagnant dans cette publication en poche du Chien Jaune, car après sa parution en petit format, le texte a été repéré par une grande partie des enseignants puis a été étudié dans les classes, ce qui a donné une grande notoriété à Simenon, et l'a totalement convaincu ensuite de donner l'autorisation de publier au Livre de Poche une bonne dizaine de ses titres.