Six questions sur la possible remise en cause du droit à l'avortement aux Etats-Unis

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Six questions sur la possible remise en cause du droit à l'avortement aux Etats-Unis

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Des manifestants devant la Cour Suprême américaine le 3 mai 2022.
Des manifestants devant la Cour Suprême américaine le 3 mai 2022.
- Stefani Reynolds / AFP

Un avis de la Cour Suprême américaine qui a fuité ce lundi révèle qu'elle envisage de revenir sur le droit à l'avortement, et notamment d'ôter sa protection constitutionnelle. Y-a-t-il un risque réel ? Quelles sont les réactions ? On fait le tour du sujet en six questions.

Le média américain Politico révèle que la Cour suprême américaine, garante du droit à l'avortement aux Etats-Unis depuis l'arrêt Roe v. Wade en 1973, envisage de l'annuler. Cette information, qui provient d'une fuite de documents, fait l'effet d'une bombe à Washington. La Cour suprême américaine confirme que le document est "authentique" mais pas "final". Concrètement, qu'y a-t-il en jeu ? Pourquoi ce droit n'est-il pas plus protégé ? Nous faisons le point.

Que contient ce texte ?

C'est un "Avis de la Cour", de 98 pages, publié en intégralité par Politico dans sa version non définitive. Il a été rédigé le 10 février dernier par l'un des juges de la Cour Suprême, Mr Alito, et était destiné à d'autres juges, dont le président de la Cour le juge Roberts pour relecture.

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Il traite de la pertinence de l'arrêt Roe v. Wade, qui garantit la constitutionnalité du droit à l'avortement depuis qu'il a été rendu par cette même Court Suprême il y a près de 50 ans. En réalité, comme c'est toujours le cas, ce débat est réouvert dans le cadre d'une autre affaire mentionnée en préambule "Dobbs v. Jackson Women's Health Organization".

Cette affaire oppose l'Etat du Mississippi, qui a passé une loi interdisant l'IVG après les 15 premières semaines de grossesse, à une clinique pratiquant l'avortement sur ce territoire. Les tribunaux "inférieurs" ont jugé jusque-là cette loi anticonstitutionnelle puisqu'elle s'oppose aux arrêts Roe v. Wade et Planned Parenthood v. Casey, qui garantissent le droit d'une femme à avorter jusqu'à environ 24 semaines.

En statuant sur ce cas en cours, les juges de la Cour Suprême pourraient donc annuler ces deux précédents arrêts historiques. Selon le juriste américain Neal Katyal, cet "avis" rapporte un vote qui aurait déjà eu lieu à la Cour en décembre 2021, après les plaidoiries dans l'affaire du Mississippi. La décision finale est attendue fin juin.

Que cherchent les juges conservateurs de la Cour suprême?

La majorité conservatrice (six juges sur neuf) de la Cour suprême a été renforcée sous Donald Trump, qui y a fait entrer trois magistrats. "Nous estimons que Roe v. Wade doit être annulé", écrit Samuel Alito, le juge conservateur qui a rédigé ce projet de décision. Selon lui, cet arrêt historique, qui garantit que le droit des femmes à avorter est protégé par la Constitution américaine, est "totalement infondé depuis le départ". Après la diffusion de l'information, le chef de la Cour suprême américaine a ordonné une "enquête" pour connaître l'origine de la fuite. Elle a dans le même temps confirmé l'authenticité du document et précisé qu'il n'était pas "final".

Les arguments avancés ? Le fait que le débat soit vif sur la question, et que rien n'interdise dans la Constitution de le mener à l'échelle des États. "L'avortement constitue une question morale profonde, sur laquelle les Américains ont des opinions très divergentes", écrit plus loin le juge Alito.

Le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation et n'est protégé par aucune disposition de la Constitution.

Selon CNN, les cinq juges conservateurs seraient favorables à l'annulation de Roe v. Wade. Le sixième et président de la Cour, John Roberts, ne voudrait en revanche pas “renverser complètement” la décision de 1973 à ce stade.

Quelles conséquences ?

Ce projet de décision doit être négocié jusqu'au 30 juin. Si cet argument est retenu par la Haute cour, les Etats-Unis reviendront à la situation d'avant 1973. Chaque Etat pourra choisir d'autoriser ou d'interdire le droit à l'avortement, y compris de le refuser en cas de viol ou d'inceste, selon les précédentes lois en vigueur dans chaque État. Environ la moitié des États, surtout dans le Sud et le centre conservateurs et religieux, devraient rapidement le bannir sur leur sol.

Selon Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire spécialiste des États-Unis, "si jamais la décision va au bout, il y a u moins 13 États qui interdiront du jour au lendemain l’avortement".

Outre le Mississippi, la durée légale pour pratiquer une IVG a été remise en question au Texas en septembre dernier. La Cour Suprême avait alors fait un premier pas dans le sens des opposants à l'IVG. Les juges avaient refusé d'interdire qu'elle soit raccourcie à six semaines, contre 24 semaines selon le cadre légal actuel.

Comment ont réagi le monde politique et la société civile ?

Des responsables démocrates ont immédiatement dénoncé l'éventuelle décision. Elle constituerait "une abomination, l'une des pires décisions et des plus dommageables de l'histoire moderne", ont estimé dans un communiqué conjoint la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le chef des sénateurs démocrates, Chuck Schumer.

"Si ces informations sont justes, la Cour suprême est prête à infliger la plus forte restriction des droits des cinquante dernières années - pas seulement aux femmes mais à tous les Américains." (Nancy Pelosi et Chuck Schumer)

Des centaines de personnes se sont spontanément massées devant la Cour Suprême à Washington ce lundi soir, certains pour protester, d'autres pour se réjouir. " Soyons clair: c'est un avant-projet. Il est scandaleux, sans précédent mais pas final: l'avortement reste votre droit et est encore légal ", a tweeté l'organisation Planned Parenthood (le Planning familial américain) qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des avortements.

Si la décision finale est dans la lignée de ce document de travail, The New York Times prévoit “un changement sismique dans le droit américain et la politique américaine, quelques mois avant des élections de mi-mandat qui décideront de qui contrôle le Capitole”.

Pourquoi le droit à l'avortement n'est-il pas inscrit dans la loi comme en France ?

Face à cette situation, plusieurs élus démocrates ont souligné l'urgence d'inscrire le droit à l'avortement dnas la loi, comme la sénatrice Amy Klobuchar sur Twitter. Une proposition en ce sens a été adoptée par les représentants mais est enlisée au Sénat à cause de la féroce opposition des républicains.

Ces derniers ont au contraire salué une victoire très attendue. "C'est la meilleure et la plus importante nouvelle de notre vie", a notamment commenté la représentante Marjorie Taylor Green.

Comment ce document a-t-il pu fuiter ?

Fuite inédite, selon le juriste Neal Katyal qui a plaidé à plusieurs reprises pour le gouvernement de Barack Obama devant la Haute cour. Il compare cette fuite à celle des Pentagon Papers en 1971.

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Même si le document doit encore être définitivement authentifié, il s'agit très probablement d'un vrai document selon ce même juriste. "Il est très peu probable que des faussaires se soient amusés à reproduire tant de pages d’opinions expertes, car on reconnait bien la plume du juge conservateur Alito", complète Corentin Sellin.

Il dit sa "stupeur complète" ce matin lorsqu'il a découvert ce document. "La Cour Suprême prend des mesures drastiques pour préserver la confidentialité des délibérations et de la rédaction des opinions."

C’est une fuite qui est dirigée pour faire pression sur ces juges, car ils peuvent encore changer d’avis.

La décision finale est en effet attendue pour le 30 juin. Selon le chercheur, la majorité des Américains est contre l'annulation du droit à l'avortement.