8h43 dans un train, c'est long… Ou pas, si vous connaissez Bergson
Par Thibaut de Saint-Maurice
Thibaut de Saint-Maurice a du temps à perdre : le train qui l'amène à son lieu de vacances dure 8h43. C'est long. Pourtant, il ne sent pas le temps passer. Pourquoi ? Grâce à Henri Bergson (oui, le philosophe), écrit-il dans sa carte postale hebdomadaire. Découvrez-la ci-dessous (ou réécoutez-le ici).

Mon cher Bergson,
Après avoir écrit à Nietzsche la semaine dernière, je me suis donc décidé à partir en vacances. Je me suis levé tôt ce matin et je suis maintenant dans le train depuis plusieurs heures. Ma voisine s'est endormie avec ses écouteurs sur les oreilles ; j'ai baissé la tablette pour pouvoir t'écrire cette carte - alors, tu verras la photo n’est pas terrible mais c'est tout ce que j'ai trouvé à la gare…
Alors je suis parti tôt ce matin, mais bizarrement, je ne trouve pas le temps long. Le paysage défile, je somnole un peu. Je rêvasse, je laisse mes yeux glisser, mon esprit vagabonder - et du coup, je ne vois pas passer le temps . Je fais exprès de t'écrire ça, « je ne vois pas passer le temps », parce que je sais que ça te fait sourire. Parce que je me souviens bien que c'est toi qui prends soin de penser la complexité de notre rapport au temps . Dans ton premier livre, l' Essai sur les données immédiates de la conscience , tu commences par distinguer entre le temps et la durée .

Le temps, pour toi, ce n'est que le temps objectif, mesuré, quantifié par les horloges . C'est la succession le temps de l'avant et de l'après. Mais c'est un temps construit et artificiel qui nous dissimule, en fait, la nature intérieure du temps qui passe. Ce que tu appelles justement, la durée.

La durée, c'est le tempsque nous ressentons, dont nous faisons l'expérience . Le temps dans lequel nous sommes plongées comme dans un bain bouillonnant - bref un temps inséparable de notre conscience.
Si une heure est toujours composée de soixante minutes, elle ne dure pas de la même façon selon que j'attends le bus ou que je discute avec une jolie fille dans une fête. Dans le premier cas elle me paraîtra bien longue, et dans le second, bien trop courte.

Je connais la durée de mon voyage en train ce matin, c'est écrit sur mon billet : 8h43. Mais, en fait, ces huit heures et quarante-trois minutes ne sont que la mesure du temps de mon voyage. Elles ne disent rien de la durée réelle, de la durée vécue, de la durée intime de ce qu'est ce voyage pour moi. 8h43, c'est long - c'est presque tout une journée de travail. Mais pendant ce voyage là, sur la route de mes vacances, ce n'est pas la longueur du temps que je ressens mais le plaisir de voyager .
Alors mon cher Bergson, tu voulais, comme tu l’écrivais, porter la métaphysique sur le terrain de l'expérience . Eh bien grâce à toi, la durée mon voyage en train c'est une expérience métaphysique. C’est assez génial parce que le temps n'est plus une condition qui s'impose à moi comme irréversible, mais cette durée que je découvre c'est une nouvelle liberté.
Holà, ma voisine se réveille, je crois qu'elle va se lever, je te laisse.
À très vite,
Thibaut