À la frontière entre l'Iran et l'Irak, "depuis les sanctions, il y a beaucoup plus de trafic"
Par Vianney Smiarowski, Thibault LefèvreTÉMOIGNAGE - L'envoyé spécial d'Inter s'est rendu côté irakien de la frontière, où il a rencontré un garde-frontière avec l'Iran qui voit se multiplier les tentatives de traversée illégale. Selon lui, de plus en plus d'Iraniens, en particulier des Kurdes, fuient le pays pour des raisons diverses, notamment politiques.
Saman est garde-frontière irakien depuis 15 ans. Sa mission, et celle de ses collègues ? "Surveiller toute la frontière pour voir s’il y a des trafics, des criminels qui passent la frontière entre le Kurdistan et l’Iran", dit-il, au micro de France Inter.
Les sanctions économiques américaines contre la République islamique d’Iran sont en vigueur depuis cinq ans mais elles ont été renforcées le 8 janvier dernier, suite aux dernières tensions entre les deux pays liées à la mort du général Qassem Soleimani, tué par un raid des États-Unis.
Depuis cette date, Saman constate des changements à la frontière. Selon lui, les Kurdes fuient massivement l'Iran pour se réfugier en Irak. "Depuis les sanctions, il y a beaucoup plus de trafic. Il y a beaucoup plus de gens, des ouvriers qui viennent pour travailler, dans la construction notamment. Il y a aussi beaucoup plus d’opposants au régime iranien qui viennent ici. La plupart des opposants sont Kurdes. L’an passé par exemple, 4% seulement étaient Perses, le reste c’était des Kurdes", constate Saman.
"Aujourd’hui, on arrête près de 90% de personnes en plus"
Saman ne peut pas donner de chiffres précis mais depuis le 8 janvier, il dit avoir déjà arrêté une trentaine de personnes. "Avant le 8 janvier et les nouvelles sanctions, on arrêtait environ 150 personnes sur une année. Là, rien que depuis le 8 janvier, on en a déjà arrêté une trentaine sur la zone où nous nous trouvons. Il y a un peu de tout : des opposants politiques, des ouvriers, ceux qui ont des proches ici", explique le garde-frontière irakien.
"Pas de pétrole, pas d'électricité, pas d'argent, pas de travail"
Selon lui, les gens fuient principalement pour deux raisons. "Tout d’abord, à cause des sanctions américaines parce que les gens n’ont pas les moyens de vivre. Il n’y a pas de pétrole, il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de travail. Il y a aussi des rumeurs, des décisions contre la population kurde surtout. En Iran, le service militaire est obligatoire pour les Kurdes. Normalement, c’est à 18 ans, mais pour les Kurdes c’est 17 ans. Et les jeunes ne veulent pas aller faire l’armée iranienne pendant 5 ou 10 ans. C’est pour cela qu’ils préfèrent fuir et venir travailler ici au Kurdistan."
Parmi la trentaine de personnes que Saman a arrêtées depuis le début de l’année, la plupart ont fui à cause des répercussions des sanctions américaines contre l’Iran, "mais il y a aussi les sanctions iraniennes sur les Kurdes iraniens. C’est-à-dire que la population kurde est doublement punie. C’est le double des sanctions et c’est cela la raison principale. Le régime iranien est contre les Kurdes. Par exemple, si quelqu’un est accro aux drogues en Iran, on l’envoie à l’hôpital pour le soigner mais si c’est un Kurde, on l’encourage à continuer", conclut Saman.
► ÉCOUTEZ LE ZOOM DE LA RÉDACTION : Les Kurdes fuient l’Iran pour l’Irak, comment les sanctions américaines contre Téhéran ont accéléré cet exode