À la recherche du variant anglais de la Covid-19 à l'Hôpital Henri Mondor de Créteil
Par Véronique Julia
Y a-t-il des patients Covid en France, touchés par la variante du virus identifiée par la Grande-Bretagne ? Les experts le soupçonnent mais sans en être encore certains. Depuis dimanche, la plateforme de séquençage génomique de l'Hôpital Henri Mondor à Créteil fait tourner ses machines pour le savoir.
Le variant du virus identifié en Grande-Bretagne a-t-il déjà essaimé sur notre territoire ? Rien n'est sûr mais cela semble probable, et pour en avoir le coeur net, plusieurs plateformes de séquençage génomique y travaillent depuis dimanche : les CNR (Centre Nationaux de Référence) des virus respiratoires de Paris et de Lyon, mais aussi des plateformes hospitalières, puisque les CHU disposent eux aussi de séquenceurs d'ADN.
Tous les hôpitaux n'ont pas les équipements les plus perfectionnés. À l'Hôpital Henri Mondor de Créteil, en tout cas, le pôle de Biologie-Pathologie du Professeur Jean-Michel Pawlotsky, lui-même Centre National de Référence pour les hépatites virales, est doté de séquenceurs à haut débit très performants. Il s'est donc tout naturellement attelé à la tâche. Depuis dimanche, les machines tournent. Objectif : identifier si des personnels soignants et patients testés Covid au sein de l'hôpital au cours des deux derniers mois ont contracté un virus semblable à la variante britannique. L'opération devrait prendre quelques semaines, il faut séquencer le génome de quelque 600 personnes. Mais ça ne donnera qu'une photo locale, cantonnée à la zone que couvre l'hôpital, c'est-à-dire une partie du département du Val-de-Marne, autour de Créteil, en banlieue sud-est de Paris. "C'est sans doute plus intéressant de faire ça au Nord de la France, concède le Professeur Pawlotsky, près de la frontière avec la Grande-Bretagne car les flux sont plus évidents, mais ces séquençages sont toujours intéressants".
Pas de séquençage systématique en France
Si ces séquençages sont intéressants, on n'en fait pourtant pas tant que ça sur la Covid. "Nous ne sommes pas à la traîne, les Allemands ou les Italiens n'en font pas plus que nous, c'est la Grande-Bretagne qui en fait beaucoup, commente Jean-Michel Pawlotsky, car elle a une tradition de surveillance de masse plus ancrée, une vraie culture de santé publique". De fait, la Grande-Bretagne aurait déjà séquencé plus de 120.000 souches virales quand la France n'en a séquencé que 2.500 !
En France, cette surveillance est beaucoup moins systématique, mais pas absente non plus. Depuis le début de la pandémie, au printemps dernier, le laboratoire de virologie de l'hôpital Henri Mondor a déjà fait du séquençage Covid mais pas pour rechercher un variant particulier : c'était pour des protocoles de recherche, bien précis. Dans le premier, il s'agissait de vérifier si certaines mutations pouvaient être associées à des formes plus graves (ça n'a pas été le cas), dans un autre, on a étudié des clusters. L'analyse des virus retrouvés parmi les patients de ces clusters peut en effet permettre de remonter l'historique et les conditions de la contagion.

En soi, qu'un virus ait des variants n'est pas une surprise. "Si on les analyse, il n'y a pas deux virus strictement identiques chez deux patients, explique le Professeur Pawlotsky, on trouve toujours des différences. Chaque virus est en quelque sorte un variant. Il y a toujours des petites signatures moléculaires qui font qu'une souche est un peu différente d'un patient à l'autre et d'une région à l'autre. Ce virus anglais a un peu plus de changements que ce qu'on a pu voir jusqu'à présent, c'est vrai, mais ces changements ne sont pas non plus très importants. Il n'est pas forcément plus problématique ou plus contagieux, on attend encore là-dessus des informations biologiques et cliniques qui nous en apprendront davantage."
Des séquenceurs qui coûtent au moins 300.000 euros pièce
Pour vérifier si certains des personnels et patients testés positifs à l'hôpital au cours des deux derniers mois ont contracté la variante "anglaise" du virus, on s'en remet donc, ici, à plusieurs séquenceurs stockés dans une seule pièce du service de bactériologie de l'hôpital. Une pièce banale, à l'entresol de l'établissement. Posées sur des tables, comme de simples ordinateurs, ces machines, qui coûtent au moins 300.000 euros chacune, vont faire le travail.

Dans le détail des opérations : on prend l'échantillon naso-pharyngé du patient, et on va d'abord "casser l'enveloppe" qui contient le virus, ce qui permet d'en libérer le génome, pour le rendre accessible au séquençage. "Une fois que l'enveloppe est fracturée, précise le Docteur Christophe Rodriguez, virologue, et responsable de la plateforme génomique de l'hôpital, il n'est plus infectieux, il est inerte, plus besoin de se protéger, on peut travailler dans des conditions standards."
Le génome est ensuite placé dans un tube rempli, pour faire simple, d'une solution d'eau salée. Vient alors l'étape du séquenceur, qui va lire le génome. Chaque génome compte plus de 20.000 lettres. Ces machines sont capables de lire des milliards de lettres en même temps et donc de séquencer de très nombreux génomes au même moment. Elles sont reliées à de gros serveurs informatiques qui font ensuite, en quelques heures, l'analyse automatisée des séquences. Dans le cas présent, où il faut analyser le génome du virus de plusieurs centaines de patients, on ne répète pas l'opération pour chacun d'entre eux, ce serait trop long et trop cher. En fait, chaque génome est identifié pour chaque patient mais tous les génomes sont placés dans un même et seul tube. Lors de sa lecture, le séquenceur saura distinguer qu'il s'agit de Mr Dubois ou de Madame Durand. On peut ainsi "pooler", comme on dit, près de 400 génomes en même temps sur la machine. Les séquences obtenues seront ensuite analysées et comparées à tous les variants déjà observés depuis le début de l'épidémie.
Plusieurs centaines de génomes à séquencer dans les semaines qui viennent à l'hôpital Henri Mondor
Voila pour la méthode. Sur la recherche du variant anglais, un "premier tube" de 40 génomes de virus de patients infectés va passer au séquençage en fin de semaine. La lecture et l'analyse vont prendre quelques jours. Ce sera un premier coup de sonde pour voir si l'on retrouve du variant anglais. En janvier, après les fêtes, l'analyse sera plus ambitieuse et portera cette fois sur plusieurs centaines de patients. On verra alors si la mutation identifiée en Grande-Bretagne a bel et bien circulé dans le Val-de-Marne.
"Le séquençage nous apprend toujours beaucoup de choses, explique le Professeur Pawlotsky. Le systématiser pour chaque patient serait beaucoup trop long et coûterait bien trop cher mais il serait souhaitable quand même de pouvoir en faire davantage en France pour avoir une meilleure idée des virus qui circulent. Ca suppose évidemment des moyens..."
Ce sera d'autant plus nécessaire maintenant que les vaccins arrivent, car il est possible que certains variants se révèlent moins sensibles aux vaccins et continuent de se transmettre plus facilement que d'autres. "C'est une simple hypothèse, mais autant utiliser les très bons outils qu'on a sous la main. C'est à surveiller en tout cas dans les mois à venir quand la vaccination va se généraliser".