À Nanterre, une exposition d'art contemporain dont des détenus sont les commissaires

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À Nanterre, une exposition d'art contemporain dont des détenus sont les commissaires

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L'espace d'exposition est faiblement éclairé et instaure une proximité avec les oeuvres d'art
L'espace d'exposition est faiblement éclairé et instaure une proximité avec les oeuvres d'art
© Radio France - JB

L'espace d'art contemporain La Terrasse, à Nanterre, accueille jusqu'à fin décembre une exposition intitulée "Je me souviens, images-oiseaux". Particularité de cet accrochage : la sélection des œuvres n'a pas été faite par des spécialistes de l'art, mais par des détenus de la maison centrale de Poissy.

En apparence, l'exposition "Je me souviens, images-oiseaux" présentée jusqu'au 22 décembre à l'espace d'art La Terrasse, à Nanterre (Hauts-de-Seine), est une exposition d'art vidéo somme toute classique. Classique mais de très bonne facture : entre œuvres projetées aux murs et d'autres à regarder de façon plus intimiste sur des téléviseurs, elle présente des vidéos d'artistes réputés dans ce domaine, comme Ange Leccia, Valérie Mréjen ou Doug Aitken. 

Les 18 œuvres qui composent l'exposition sont toutes issues de la collection du Cnap, le Centre national des arts plastiques, qui dispose d'un fonds vidéo riche de quelque 800 vidéos. Et ce qui réunit ces œuvres, c'est la façon dont elles ont été sélectionnées pour créer l'exposition : pas de spécialiste de l'art contemporain en guise de commissaire d'exposition... mais des détenus de la maison centrale de Poissy. 

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Projet depuis près de deux ans

Au Cnap, Pascale Cassagnau, responsable des collections audiovisuelles et nouveaux médias, a supervisé ce projet depuis janvier 2017 : "Je mène avec la centrale de Poissy, un lieu d'exécution de peines longues, un atelier de lecture de films. J'ai sélectionné 55 films parmi le fonds, et nous travaillons avec un groupe de détenus à analyser__, œuvre par œuvre, ce corpus", parfois en présence des vidéastes eux-mêmes. "L'exposition est le fruit de ce partenariat", ajoute-t-elle. 

Comment appréhender l'art contemporain, et plus particulièrement l'art vidéo, avec ce public qui y est peu sensibilisé ? "Au début, les détenus ne savaient pas ce que c'était, ils étaient intrigués parce qu'ils sont habitués à voir des clips vidéo, des films ; l'art vidéo ne leur disait pas grand chose, à part à quelques-uns", raconte Pascale Cassagnau. "Finalement, la découverte leur a paru passionnante. Comment on fait ? On regarde des œuvres : dès le premier jour j'étais venue avec des œuvres, ils s'y sont plongés. La présence d'un artiste à presque chaque séance a aussi été un atout formidable", ajoute-t-elle.

Les supports de présentation sont variés dans cette expo : projections, téléviseurs, et même affiches tirées des films
Les supports de présentation sont variés dans cette expo : projections, téléviseurs, et même affiches tirées des films
© Radio France - JB

Les détenus sont ensuite partis du plan de La Terrasse pour imaginer ce à quoi ressemblerait l'exposition, en sélectionnant 18 films parmi les 55 sur lesquels ils ont travaillé. "La scénographie a été conçue avec un scénographe qui est allé à la maison centrale de Poissy, et qui a ensuite filmé les lieux pour la faire partager aux détenus dans le cadre du projet culturel", souligne Sandrine Moreau, directrice de La Terrasse.

De nombreuses artistes femmes

Le résultat n'est surtout pas une exposition sur la prison, ni sur le milieu carcéral - même si on peut parfois se surprendre à deviner un lien avec le monde de la justice (comme dans le film de Marie Voignier Hearing the shape of a dream, où l'artiste a filmé uniquement le dispositif médiatique lors d'un procès) ou de l'enfermement (l'amusant mais oppressant Manufrance de Valérie Mréjen, sorte de roman-photo où la femme semble confinée dans sa sphère domestique). 

Tout de même, "il y a deux grandes thématiques que l'on retrouve dans plusieurs œuvres", précise Sandrine Moreau : 'L'enfance, que l'on retrouve avec les films de Guy Ben-Net et Noëlle Pujol ; et puis on s'est également rendus compte que les personnes détenues avaient sélectionné de nombreux films réalisés par des femmes"

Création radiophonique et livre

Prévoyez du temps pour tout visionner : mis bout à bout, les films représentent neuf heures de programmes. Mais plusieurs pièces présentées valent le coup de passer une après-midi sur place.

De ce travail en groupe - qui n'est pas un atelier de loisirs mais bien une activité à visée scientifique, précise Pascale Cassagnau, a déjà été tirée une création radiophonique pour France Culture ( à écouter ici), et un livre est également en préparation, qui réunira des témoignages des détenus sur leur travail.