15e étape de notre série "Allons en France" : Roubaix et ses quartiers populaires, confrontés à des vagues successives de rénovation urbaine.
L’engagement et la participation des habitants y est parfois intense, mais les frustrations ont pris le dessus à l’approche de la présidentielle.
Roubaix, ville de contrastes
A 5 kilomètres à vol d’oiseau du majestueux parc Barbieux entouré des maisons de maître de descendants des grandes familles de l’industrie textile, les pelleteuses terminent de déblayer les gravas de deux grandes tours du quartier des Trois Ponts. C'est l'aboutissement d’un gros projet de rénovation urbaine - en cours sur ce secteur, et le seul de Roubaix - de grands ensembles construits dans les années 60, et cette démolition était attendue. Mais de nombreux habitants garderont d’elle un goût amer. Kamel, un trentenaire du quartier, impliqué dans le tissu associatif :
Visuellement parlant, ça change, c’était nécessaire. Mais socialement parlant, la situation s’aggrave. Il y a énormément d’entreprises partout autour, mais les jeunes d’ici n’y sont pas recrutés.
Des records d'abstention
Lors des derniers scrutins, l’abstention a atteint des records dans cette ville de la métropole lilloise, la plus pauvre de France.
Ici, on se préoccupe de sa survie, donc comment-voulez vous qu’on s’intéresse au collectif. Je n’ai jamais voté
A quelques centaines de mètres, le quartier du Pile, connaît un taux de pauvreté très élevé également, mais très peu de points communs urbanistiques.
Construit au début du 20e siècle, avec ses petites maisons en briques rouges collées les unes aux autres, il a perdu au cours des dernières années environ un tiers de sa population, passant de 8.000 à 6.000 habitants.
Plusieurs projets de réhabilitation et de transformation du quartier se sont succédé depuis les années 80. Mais le dernier, en cours depuis 2013, suscite de nombreuses inquiétudes. Expérimentée dans le cadre des initiatives pour favoriser la démocratie participative, une "table de quartier" permet depuis environ un an et demi, de recueillir la parole des habitants, et devait devenir un espace pour "co-construire" un projet avec les pouvoirs publics. Ses participants dénoncent aujourd’hui "un manque de reconnaissance de la part des élus locaux, alors même que la volonté de faire ensemble était très forte". Conséquence : une énorme frustration.
A quoi ça sert de se mobiliser si on nous laisse tomber, s’il n’y a personne en face lorsqu’on est force de proposition? Alors les gens ici s’abstiennent, votent blanc, ou de plus en plus extrême droite
Mixité sociale ?
L’artiste, et youtubeuse Lyne K, a racheté et rénové il y a deux ans une petite maison en ruine dans l’un des quartiers pauvres de Roubaix : "On a un niveau de vie légèrement supérieur à celui des gens de notre rue, on vient apporter une petite touche nouvelle dans ce quartier. Ça, c’est pour moi la vraie mixité sociale qu’il faut favoriser. Mais attendre que des blocs entiers deviennent vides et insalubres pour y mettre, d’un coup, trente familles de middle class, ça c’est autre chose. C’est pousser la misère pour la remplacer, et fragiliser le patrimoine historique, ouvrier, de cette ville. On n’améliore pas la vie des habitants".
Roubaix est une ville qui a suscité tellement de fantasmes. Beaucoup de Roubaisiens se sont sentis attaqués ces dernières années, dans leur façon d’être Français. Dans ma rue, tout le monde se fout de savoir qui est musulman et qui ne l’est pas. Vu d’ici, les politiques et les débats nationaux semblent souvent à côté de la plaque