Abus sexuels dans l’Eglise catholique française : deux décennies pour une prise de conscience

Publicité

Abus sexuels dans l’Eglise catholique française : deux décennies pour une prise de conscience

Par
L'assemblée plénière des évêques de France, en 2016, à Lourdes (illustration)
L'assemblée plénière des évêques de France, en 2016, à Lourdes (illustration)
© Maxppp - Caroline Blumberg

La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) remet ce mardi 5 octobre un imposant rapport aux représentants de l’Eglise catholique française. Ses conclusions marquent une étape clef dans un processus de prise de conscience de l’institution et de la société, qui s'étale sur plus de vingt ans.

Le choc s'annonce considérable. Ce mardi 5 octobre sera remis aux représentants de l'Eglise catholique de France le rapport de la Ciase, présidée par le conseiller d'Etat Jean-Marc Sauvé, qui dresse constat et préconisations sur 1300 pages. Ce dimanche, il dévoile à l'AFP l'un des premiers enseignements : la commission a dénombré entre 2900 et 3200 pédocriminels dans l'Eglise depuis les années 1950.

Sur le nombre estimé de victimes, pas de détail pour le moment. Au printemps, la Commission estimait à au moins 10 000 le nombre de victimes d'agressions sexuelles commises depuis 1950. Ce chiffre devrait être fortement revu à la hausse. Cette publication est l'aboutissement de plus de deux ans d'un travail de fourmi mené partout en France, et d'une série de scandales qui ont forcé l'Eglise catholique française à bouger. 

Publicité

2000 : L’électrochoc de l’affaire Pican

Pierre Pican, évêque de Bayeux et Lisieux, avait été averti en 1997 d’agressions sexuelles au sein de son diocèse. Il laisse le prêtre mis en cause continuer à exercer. Après de nouvelles plaintes de familles, en justice cette fois, Pierre Pican est condamné en septembre 2001 à trois mois de prison avec sursis pour non-dénonciation de crime, une première pour un évêque français dans une affaire de pédophilie. 

Cette affaire pousse l’institution à se pencher sur la question. Lors de leur assemblée plénière en novembre 2000, les évêques publient une déclaration commune pour condamner la pédophilie et reconnaître que l’institution ecclésiastique n’est pas épargnée par le phénomène. Un Comité consultatif en matière d’abus sexuels sur mineurs est créé. La CEF publie sa première brochure "Lutter contre la pédophilie, repère pour éducateurs", afin de donner des pistes pour détecter les comportements à risque, saisir la justice, et mettre fin à la loi du silence. Tirée à 100 000 exemplaires, diffusée en 2003 chez les prêtres, les religieux, et dans les séminaires, elle sera rééditée en 2010 et 2017.

2016 : La déflagration de la Parole libérée

D’anciens scouts du groupe Saint-Luc de Sainte-Foy-lès-Lyon se regroupent au sein de l’association La Parole Libérée. Ils sont plusieurs dizaines à se dire victimes du prêtre Bernard Preynat, et décident de rendre le dossier public. En mars 2016, Bernard Preynat est mis en examen pour agressions sexuelles sur mineurs. L’association grandit, et des victimes d’autres prêtres rejoignent ses rangs pour témoigner. 

Par ailleurs, l’affaire Preynat devient vite l’affaire Barbarin, archevêque de Lyon, accusé par les victimes du prêtre de ne pas avoir agi en conséquence et dénoncé les faits rapportés, à la justice. Une colère décuplée par les mots de Philippe Barbarin, lors d’une conférence de presse sur l’affaire Bernard Preynat : "La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits". Des victimes se constituent parties civiles et attaquent en justice en 2017 le cardinal Barbarin et six autres responsables religieux pour non-dénonciation d’abus sexuels (condamné à six mois de prison avec sursis en 2019, Philippe Barbarin est relaxé en appel l’année suivante). 

Face à l’ampleur du scandale, en avril 2016, l’épiscopat (l’ensemble des évêques) s’engage à faire "toute la lumière" sur les affaires de pédophilie, y compris anciennes, ce qui marque une rupture avec la gestion précédente. Une messagerie puis un site internet dédié à la lutte contre la pédophilie dans l’Eglise voient le jour. Des cellules d’écoute sont mises en place dans les diocèses, des référents diocésains sont désignés. Monseigneur Luc Crépy, alors évêque du Puy-en-Velay, prend la tête d’une cellule permanente de lutte contre la pédophilie afin de développer la formation et la sensibilisation à cette thématique, ainsi que les relations avec les associations. 

2018 : L’accélération

En novembre 2018, la Conférence des Evêques de France invite, pour la première fois, des victimes d’abus sexuels lors de l’assemblée plénière à Lourdes. Ces victimes espéraient une prise de parole commune devant l’hémicycle, elles doivent se contenter de groupes de discussions, mais sept d’entre elles acceptent de faire le déplacement ; les représentants de l’association La Parole Libérée refusent de leur côté, dénonçant un coup de communication. 

A la tribune, Monseigneur Georges Pontier, alors président de la CEF fait un mea culpa : "Même si nous savons que ce drame des enfants abusés dans notre société déborde amplement la responsabilité d’acteurs ecclésiaux, cela ne diminue en rien notre peine, notre honte, notre confusion". Lors de la clôture de leur assemblée plénière, les évêques annoncent la création d’une commission indépendante pour faire la lumière sur le passé et en tirer les conséquences. 

C'est cette décision qui est à l'origine de la création de la Ciase : Jean-Marc Sauvé, conseiller d’Etat, reçoit quelques jours plus tard sa lettre de mission de la CEF et de la Conférence des religieuses et religieux de France (Corref). Composée de vingt-deux membres, la commission rendra donc ses conclusions ce mardi.