Académie Goncourt : ce qu'il faut savoir sur l'élection du successeur de Bernard Pivot
Par Ilana MoryoussefÀ la suite du départ de Bernard Pivot de la présidence de l'académie Goncourt, les académiciens votent lundi matin pour le remplacer. Qui a ses chances ? Comment se déroulera l'élection ? France Inter vous dévoile les dessous ce vote très attendu du monde littéraire.
C’est lundi matin, le 20 janvier, au restaurant Drouant à Paris, que sera désigné(e) celui ou celle qui succédera à Bernard Pivot à la présidence de l’académie Goncourt. L’ancien animateur d’Apostrophes, 84 ans, a annoncé en décembre qu’il souhaitait "retrouver un libre et plein usage de son temps."
En avant-première, France Inter vous dévoile les coulisses d’une élection qui fascine le monde des lettres.
Comment se déroule la désignation du président de l’Académie Goncourt ?
Les huit jurés Goncourt (ils ne sont plus que huit, Virginie Despentes ayant démissionné le 6 janvier) votent. Cela paraît évident ? Ça ne l’est pas. Le 7 janvier 2014, Bernard Pivot est devenu président par acclamation, intronisé par la présidente sortante Edmonde-Charles Roux, peu habituée à ce que ses volontés soient discutées.
Précisons qu’à l’époque la plupart des académiciens ont été ravis de la nomination d’une personnalité aussi charismatique que l’ancien animateur d’Apostrophes. L’annonce d’Edmonde Charles-Roux avait été accueillie par une salve d’applaudissements. Cette année, cependant, il y aura un vote à bulletin secret. La diligente Françoise Rossinot, déléguée générale du Goncourt, a préparé des bulletins imprimés afin que l’écriture des votants ne soit pas identifiable.
Qui est candidat ?
- La romancière Françoise Chandernagor, membre de l’Académie Goncourt depuis 1995, en rêve.
Il y a six ans, Edmonde Charles-Roux lui a coupé l’herbe sous le pied en désignant d’autorité Bernard Pivot. Cette année, l’auteure du best-seller L’Allée du roi (sur les amours de Louis XIV et Madame de Maintenon) estime que son tour est venu. Elle a fait une campagne active, allant jusqu’à "appeler Eric-Emmanuel Schmidtt en Chine pendant une heure et demie pour arracher son vote", raille un académicien.
Ancienne maître des requêtes au Conseil d’État, première femme major de l’Ena, Chandernagor possède un magnifique C.V., mais certains s’inquiètent du fait qu’elle vive loin de Paris, dans la Creuse, sans téléphone.
Pour joindre cette féministe convaincue, il faut…passer par son mari ! Or aujourd’hui, le président de l’Académie Goncourt est très sollicité. Un débat sur l’écriture inclusive ? Un commentaire sur la santé du livre ? Un hommage à un écrivain disparu ? On appelle le président du Goncourt. Sans compter qu’elle n’aime pas se déplacer alors qu’il y a désormais 21 prix Goncourt décernés à l’étranger à partir de la sélection initiale du mois de septembre.
Jointe par téléphone dimanche après-midi, Françoise Chandernagor se récrie : "C'est faux ! Bien sûr que j'ai un portable. Simplement, j'oublie de le recharger. Vous savez pourquoi ? Parce que je vis dans la Creuse, et que jusqu'à très récemment, c'était une zone blanche." Si elle refuse de confirmer formellement qu'elle sera candidate, elle souligne néanmoins qu'une femme présidente serait une bonne chose. Elle met aussi en avant ses compétences en droit, dont les Goncourt pourraient profiter pour régler les problèmes juridiques et administratifs que l’Académie doit régler.
- Face à elle, le critique et écrivain Pierre Assouline a songé a se présenter, mais semble avoir renoncé
- Une candidature comme celle du secrétaire général Didier Decoin est aussi envisageable.
Membre de l'Académie Goncourt depuis 1995, il peut se prévaloir s'une forte légitimité. L’homme, d’une courtoisie exquise, chaleureux, toujours prêt à régaler ses interlocuteurs d’anecdotes savoureuses sur le monde des lettres ou du cinéma, fait l’unanimité. Il ne souhaite pas vraiment devenir président et préférerait consacrer son temps à l’écriture mais il pourrait accepter de s’acquitter de cette tâche pendant deux ou trois ans si nécessaire.
Selon nos informations, Françoise Chandernagor peut compter sur cinq voix. Mais le scrutin, à bulletin secret, peut réserver des surprises.
Paule Constant, inquiète des séquelles que pourrait laisser une élection trop disputée, est prête à proposer une présidence tournante ou limitée dans le temps, d'une durée maximale de cinq ans : "L'espérance de vie est plus longue qu'à l'époque des frères Goncourt, argumente-t-elle. La présidence à vie n'a plus de sens. Et puis, qui voudrait de morts-vivants au fond d'un fauteuil ?".
Interrogée à ce sujet, Françoise Chandernagor, bientôt 75 ans, assure que si elle est élue présidente, elle s'appliquera à elle-même la limite d'âge de 80 ans qui touche les académiciens Goncourt élus après février 2012. "Je suis entrée au Goncourt en 1995, en principe la limite d'âge ne me concerne pas mais j'étais favorable à cette réforme, donc je me l'appliquerai. Et puis, je n'ai pas une santé de fer."
Néanmoins, dans la foulée, elle fait observer malicieusement que Bernard Pivot aussi s'était engagé à s'appliquer la règle des 80 ans et qu'il est finalement parti... à 84 ans.
L’Académie Goncourt a-t-elle déjà été présidée par une femme ?
La réponse est oui. Si Françoise Chandernagor était élue, elle ne serait pas la première femme présidente de l’Académie Goncourt. Deux femmes, et non des moindres, ont déjà occupé cette fonction :
- Colette, entre 1949 et 1954
- Edmonde Charles-Roux, entre 2002 et 2013
Quid des deux nouveaux jurés à désigner ?
Depuis le départ de Bernard Pivot et de Virginie Despentes, les académiciens ne sont donc plus que huit (Éric-Emmanuel Schmitt, Didier Decoin, Paule Constant, Patrick Rambaud, Tahar Ben Jelloun, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel et Pierre Assouline). Les statuts de l’Académie stipulent que les dix couverts doivent être occupés et que les nouveaux doivent être désignés dans un délai de six mois après le départ de leurs prédécesseurs.
Lors de la réunion de ce lundi, les noms des écrivains qui pourraient être invités à rejoindre l’Académie Goncourt seront discutés mais il est peu probable qu’ils soient annoncés. Il devrait y avoir un homme et une femme. Le nom de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013, circule avec insistance.
Côté femmes, plusieurs écrivaines pourraient faire de très bonnes jurées (Karine Tuil, Natacha Appanah, Maylis de Kerangal) mais elles peuvent encore espérer remporter le prix Goncourt et n’ont pas intérêt à rejoindre tout de suite l’Académie. Amélie Nothomb est également citée mais on la dit fâchée d’avoir été finaliste cette année sans remporter le prix. Elle aurait le sentiment d’avoir été instrumentalisée par les Goncourt en raison de sa notoriété.
D’autres noms sont envisageables : Leïla Slimani ou Delphine de Vigan. Par ailleurs les Goncourt ne s’interdisent pas d’aller faire leur marché au sein d’autres jurys, comme le Femina ou le Médicis.