"Ainsi parlait Iwata-san" : comment le patron philosophe de Nintendo a changé le monde du jeu vidéo

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"Ainsi parlait Iwata-san" : comment le patron philosophe de Nintendo a changé le monde du jeu vidéo

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Satoru Iwata entouré de certaines de ses créations comme patron de Nintendo
Satoru Iwata entouré de certaines de ses créations comme patron de Nintendo
© Radio France - Olivier Bénis

Satozu Iwata, né en 1959 et mort le 11 juillet 2015, fut le patron visionnaire du géant Nintendo pendant 13 ans, de 2002 à son décès brutal à 55 ans. Son passage a non seulement sorti l'entreprise de l'ornière, mais l'a totalement révolutionnée, avec l'envie constante de rendre les jeux vidéo plus accessibles.

Si votre oncle a déjà joué au "Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima" sur la Nintendo DS, que votre grand-mère est championne de bowling virtuel sur la Wii, ou que votre petite cousine a entamé sa collection de Pokémon sur 3DS, c'est grâce à Satoru Iwata. L'emblématique PDG de Nintendo (de 2002 à sa mort en 2015) a marqué le monde du jeu vidéo mais a surtout considérablement agrandi ses frontières, avec des consoles dont il voulait qu'on les allume "aussi naturellement que sa télévision".

Une philosophie de l'ouverture à un public le plus large possible, aujourd'hui résumée dans un ouvrage, "Ainsi parlait Iwata-san" ( édité par Mana Books) qui regroupe des entretiens menés au fil des années avec le dirigeant. On y découvre un PDG d'entreprise humaniste et passionnant, dont la philosophie dépassait elle aussi les frontières habituelles du jeu vidéo.

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Un joueur trop occupé à être le patron

"Sur ma carte de visite, je suis un président d’entreprise. Dans ma tête, je suis développeur de jeux vidéo. Mais dans mon cœur, je suis un joueur." La citation, devenue fameuse dans le monde du jeu, résume bien la manière dont le fameux "Iwata-san", "Monsieur Iwata", voyait son métier. Passionné d'informatique très jeune (il raconte avoir débuté "à l'époque où le terme PC n'existait pas encore", sur une calculatrice programmable), Satoru Iwata a fondé sa première société de jeux vidéo, HAL Laboratory, pendant ses études. La "Famicom" (ou "Nes" en Europe, la première console de salon Nintendo) arrive peu de temps après, et il sent tout de suite "que cette machine allait changer le monde". HAL Laboratory conçoit des jeux pour la console, passant en dix ans de 5 à 90 salariés.

Il est nommé président de HAL à 32 ans et ce n'est pas un cadeau : l'entreprise est en pleine tempête, criblée de dettes, et personne d'autre ne veut la place. Il parvient non seulement à rembourser ces dettes, mais instaure un fonctionnement très particulier dans son entreprise. Sans aller jusqu'à un fonctionnement horizontal, il considère qu'il est vital qu'un patron parle à tous ses employés régulièrement en tête à tête. Il met en place des rencontres individuelles avec chacun de ses salariés tous les six mois, "de 20 minutes à trois heures", avec des questions comme "Êtes-vous heureux en ce moment ?". "J’ai fait quantité de découvertes au cours de ces échanges, et je me suis rendu compte que c’était une pratique à placer en haut de ma liste des priorités", raconte le PDG.

La modestie est également une de ses valeurs cardinales. "Si je prends mon exemple, je suis le président de la société Nintendo, mais je ne sais ni dessiner ni composer de musique. D’un point de vue hiérarchique, tous les employés sont mes subordonnés, mais parmi eux se trouvent une multitude de techniciens œuvrant dans des domaines que je ne maîtrise nullement."

Une nécessité vitale d'évoluer

Le président précédent de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, sait parfaitement ce qu'il fait en léguant en 2002 la vénérable société au jeune Satoru Iwata, 42 ans à l'époque et arrivé dans l'entreprise deux ans plus tôt, alors qu'elle se transmettait uniquement au sein de sa famille auparavant. Yamauchi, c'est l'homme qui a changé la direction de Nintendo en l'orientant vers le jeu vidéo, et ce qu'il cherche à l'époque, c'est tout sauf quelqu'un qui assure la continuité paisiblement.

"Je l’ai entendu un nombre incalculable de fois me dire : 'Vous ne devez pas proposer les mêmes choses qu’avant, ça ne marchera pas.'", raconte Iwata. Avant de passer la main, Yamauchi avait en tête une console portable à deux écrans, un projet qu'il confie à Iwata, qui dit avoir "toujours pensé que le sens véritable de ses paroles était : 'quitte à faire une console avec deux écrans, il faut proposer quelque chose de radicalement différent.'" Satoru Iwata en fera, avec l'aide de Shigeru Miyamoto (le créateur de Mario), la Nintendo DS, avec deux écrans... dont l'un tactile. La deuxième console de jeux vidéo la plus vendue de l'Histoire.

Il renouvellera cet performance avec la Wii, une console de salon basée sur l'analyse des mouvements du joueur, là encore un énorme succès (plus de 100 millions d'exemplaires vendus). "Ce qui me faisait le plus peur, c’était de rester dans la continuité", résume Iwata.

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Multiplier les joueurs pour qu'il y en ait toujours

La Wii est l'aboutissement de deux idées chères à Satoru Iwata : l'innovation à tout prix pour sortir de la course à la performance entre constructeurs et créer sa propre voie, mais aussi l'ouverture du jeu vidéo au plus grand nombre.

"Durant le développement de la Wii, j’ai longuement songé à ce que nous pourrions faire pour que les jeux vidéo ne soient plus considérés avec hostilité au sein du foyer", raconte-t-il. Il ajoute : "Notre conviction était acquise : nous devions augmenter le nombre de joueurs pour nous bâtir un futur."

Cela passe notamment par rendre accessible et familière la manette de jeu elle-même, un premier barrage pour beaucoup de gens. "À la maison, la télécommande de la télévision n’est jamais posée trop loin de la main. Elle est là, au milieu du salon, et n’importe qui peut s’en saisir à tout moment. Comme j’ai toujours eu envie que les manettes de jeu soient traitées de la même façon, et qu’au final la forme de la manette Wii se rapprochait grandement de celle d’une télécommande classique, je me suis dit que nous n’avions pas d’autre choix que de lui donner ce nom." Les manettes de la Wii s'appelleront donc "télécommande Wii", avec le succès que l'on sait. La Switch, dernière console à ce jour de Nintendo, et autre gigantesque succès, fut son dernier projet : il en était "responsable du développement".

Satoru Iwata balaye aussi dans ces entretiens les accusations d'avoir "divisé" les joueurs entre les "gamers", les fans de longue date de jeu vidéo, et les "casual gamers", qui jouent de manière moins intensive. Une frontière absurde, selon Iwata : "Je ne pense pas qu’il y ait lieu de faire une différence entre joueurs occasionnels et joueurs passionnés. Après tout, nous avons tous d’abord été des joueurs occasionnels. C’est juste que certains se sont plus pris de passion que d’autres pour ce loisir. [...] C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’attirer en permanence de nouveaux joueurs. Sans quoi, tôt ou tard, il n’y en aura plus aucun." L'avènement du smartphone, bourré de petits jeux rapidement accessibles à tous, lui donnera également raison.

Le patron et le créateur : le duo avec Shigeru Miyamoto

L'autre élément marquant de la carrière de Satoru Iwata, c'est sa relation avec Shigeru Miyamoto, l'un des principaux artisans de l'ascension de Nintendo dans les années 80 grâce à ses idées et à ses personnages, inventeur de Mario, Zelda, Donkey Kong, et des dizaines d'autres. Miyamoto aurait pu être le patron de Nintendo, mais c'est le plus sérieux Iwata qui l'est devenu, et étrangement cela semble avoir forgé une solide amitié entre les deux hommes, et même une complémentarité.

Pour Miyamoto, dans un entretien réalisé pour le livre, cette relation était symboliquement visible par leurs tenues respectives. "M. Iwata était très rigoureux à ce sujet, et même dans un cadre exempt de règles précises, il avait à cœur de s’habiller convenablement afin de ne pas mettre mal à l’aise son interlocuteur. Moi, au contraire, je continue de m’habiller un peu n’importe comment quelle que soit l’occasion. [...] Cette opposition entre sa rigueur et mon laxisme à ce sujet était frappante."

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De son côté, Satoru Iwata résumait ainsi son collègue et ami : "La plupart des gens voient probablement en lui un artiste. Un génie à l’hémisphère droit du cerveau ultra développé, ayant des idées lumineuses les unes à la suite des autres, comme s’il était le réceptacle de révélations divines. Mais ils se trompent. Il n’y a pas plus logique que M. Miyamoto, bien que ce ne soit pas la seule chose qui le caractérise. Doté d’une intelligence rationnelle caractéristique de l’hémisphère gauche du cerveau, il possède aussi une pensée originale, époustouflante, attribut de celles et ceux qui ont suivi une voie artistique. C’est dur à dire, mais je dois reconnaître que je l’envie."

À la mort inattendue d'Iwata en 2015 (d'un cancer fulgurant), beaucoup prédisaient l'arrivée de Shigeru Miyamoto comme nouveau président de Nintendo. Mais ce dernier préférera un poste de "responsable créatif". La place de patron, elle, a été occupée depuis par deux spécialistes en économie et en finances, n'ayant jamais été eux-mêmes programmeurs ou développeurs de jeux comme l'était Iwata, qui tenait à mettre la main à la pâte dès qu'il en avait le temps. La fin d'une époque ?

📖 "Ainsi parlait Iwata-san" (Mana Books), sortie le 1er avril 2021