Alain Prost : "Aujourd’hui, dans le monde entier, vous ne pouvez pas dire Prost sans dire Senna"

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Alain Prost : "Aujourd’hui, dans le monde entier, vous ne pouvez pas dire Prost sans dire Senna"

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C'est un des plus grands duels de l'histoire du sport : Alain Prost contre Ayrton Senna. A eux deux, ils comptabilisent 7 titres de champions du monde F1. (GP d''Espagne 1988)
C'est un des plus grands duels de l'histoire du sport : Alain Prost contre Ayrton Senna. A eux deux, ils comptabilisent 7 titres de champions du monde F1. (GP d''Espagne 1988)
© Getty - Patrick Béhar

Le 25 janvier dernier, Philippe Collin recevait pour "l'Œil du Tigre" "Le professeur", Alain Prost. Il y évoquait ses années Honda, sa relation avec le patriarche Soichiro Honda et bien sûr, sa rivalité avec Ayrton Senna.

"Que ce soit ici, en Europe ou ailleurs dans le monde, je ne sais pas s’il y a une journée où je rencontre pas quelqu’un qui ne me parle pas d’Ayrton et moi, comme un « âge d’or de la formule 1 » ", déclarait Alain Prost au micro de Philippe Collin_. "En tout cas, ça veut dire qu’on a fait quelque chose, qu’il s’est passé quelque chose. Mais quand vous le vivez en direct, vous ne le réalisez pas. C’est souvent bien après qu’on s’en rend compte... Notre histoire a un peu marqué cette époque avec des pilotes aux styles différents, une culture différente. Je crois qu’on a été dépassés par les événements à certains moments. C’était assez incroyable..."_

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Casque jaune soleil contre casque bleu roi

Deux bolides rouge et blanc filent comme le vent sur le bitume du circuit de Suzuka ce 22 octobre 1989. 

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Deux pilotes luttent pour le titre de champion du monde de Formule 1. Prost et Senna. Hector et Achille. Casque jaune soleil contre casque bleu roi.

Au 47e tour, les deux champions s’accrochent dans la dernière chicane. La récompense se joue sur tapis vert et couronne le Français pour la troisième fois de sa carrière. 

Prost avant Senna

Avant l’arrivée de Senna, Prost est plus qu’un pilote : c’est un partenaire pour l'écurie McLaren. Il est là quand il faut négocier les contrats. Il en garde d’ailleurs quelques souvenirs insolites comme les négociations pour obtenir le moteur Honda dans les hôtels enfumés à trois heures du matin, comme cette soirée karaoké, avec Soichiro Honda, où il a dû chanter La vie en rose, avec quelques verres de whisky pour aider.

Après mon passage chez Honda, je me suis fait offrir un livre, « Comment travailler avec les Japonais ».  J’aurai du le lire avant car je me suis rendu compte que j’avais tout fait à l’envers. 

Ayrton Senna, Soichiro Honda, Alain Prost et Ron Dennis. Ce 30 octobre 1988 l'équipe fête le titre pilote pour Ayrton et constructeur pour McLaren
Ayrton Senna, Soichiro Honda, Alain Prost et Ron Dennis. Ce 30 octobre 1988 l'équipe fête le titre pilote pour Ayrton et constructeur pour McLaren
© Getty - The Asahi Shimbun / Contributeur

Prost avec Senna

Il est tellement impliqué dans l’équipe McLaren qu’il a voix au chapitre quand il faut décider de qui sera son coéquipier en 1988. Il choisit d’appuyer la candidature du jeune Brésilien qui pilote pour Lotus, Senna.

À partir de 1988 donc, l’écurie anglaise dispose du moteur Honda. Alain Prost, contrairement à Ayrton Senna, va se retrouver handicapé par sa relation avec le motoriste japonais et se sentir mis en minorité dans une équipe où il était quasiment le deuxième patron. Sauf que Ayrton a déjà travaillé avec les Japonais quand il était chez Lotus et qu'il a pesé dans la balance pour que Honda participe à l'aventure.

Cette année-là, Senna et Prost raflent 15 des 16 manches du championnat. Le Brésilien est le champion du monde en titre. Prost devient le challenger. 

Pourtant, rien dans les photos d'agences de la saison 1988 ne laisse présager que ce duel terrible va basculer dans une bataille sans merci. Rien si ce n'est un dépassement musclé dans la ligne droite du Grand prix du Portugal, à Estoril. En 1989, il y a donc deux champions du monde dans la meilleure équipe

"L’année 1989 a été compliquée pour moi. Comme dans une vie, vous avez des moments impeccables et là, il y avait de la tension. Je sentais qu’il y avait un favoritisme pour Ayrton. Monsieur Honda, qui était le patriarche, avait une passion pour Ayrton Senna… Quand les moteurs arrivaient et qu’ils étaient déballés, il y en avait ceux marqués « special for Ayrton ». Quand vous voyez ça, ce n’est pas facile... Moi je réponds par "oui" ou par "non", mais avec un japonais c’est un peu différent. A l’époque, je ne me suis pas complètement adapté."

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Prost contre Senna

Alain Prost n’a pas vu venir le coup et il n’est plus le patron dans l'écurie McLaren. Et la soif de gagner du Brésilien face au Français est loin d’être étanche. Pour éviter les accrochages, des accords de non-agressions sont décidés avant le départ. Jusqu’au Grand prix d’Imola où Senna rompt le pacte. Entre les deux hommes, le ton monte. 

Prost tente de renouer le dialogue en l’invitant chez lui à Genève. Senna ne dit pas un mot de tout le déjeuner et va faire la sieste dans le canapé. Un membre de Honda expliquera plus tard à Prost que : 

Il ne veut pas te parler parce qu’il ne veut pas que vous deveniez amis. Il veut te battre, il ne peut pas se rapprocher de toi.

Le championnat du monde 1989 se joue dans le bac à sable de Suzuka, avant la ligne droite au 47e tour... Les deux champions s'accrochent. 

Prost, qui dominait la course, est champion mais le goût est amer puisque c’est un titre acquis devant la FIA et pas sur la piste. Senna considère lui que le titre est volé et se sent humilié d’avoir à faire des excuses publiques. La FIA le condamne à six mois de suspension avec sursis, et une amende, pour avoir repris la piste au mauvais endroit.

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Pour 1990, ils ne seront pas dans la même écurie. Prost passe chez Ferrari. Senna est seul maître à bord chez McLaren mais la saison sent le soufre et qui finit à nouveau dans le bac à sable de Suzuka, Senna sort volontairement Prost, à nouveau au Japon. Il est vainqueur et tient sa revanche. 

Steve Nichols, designer chez McLaren de 1985 à 1989, explique dans l'Auto Hebdo hors-série consacré à Ayrton Senna (2014) :

Ayrton ne voyait que Prost et avait l'habitude de me dire : « Soyons honnêtes, il n’y a que lui. C’est le seul dont je m’occupe ».

Une vraie pièce de théâtre

La guerre est totale. Ferrari va essayer de reconstituer le duo, en vain. En 1991, la Ferrari n'est pas compétitive et Prost se retrouve bien loin de Senna qui remporte son troisième titre chez McLaren. Prost se fait virer de l'équipe italienne et prend une année sabbatique en 1992. 

Senna, lui, est surpassé par le moustachu britannique Nigel Mansell et sa Williams-Renault. Mais même quand Prost est loin, Senna le cherche et ne mâche pas ses mots quand il apprend le retour de son meilleur ennemi chez Williams Renault justement. Une équipe sur laquelle lorgnait Ayrton Senna également, mais Prost avait mis son véto à une éventuelle cohabitation, provoquant à nouveau la fureur du Brésilien. 

Quand ce ne sont pas des coups de volants qui sont échangés, ce sont des mots, des mots violents et des portes qui claquent. Un spectacle qui va ravir évidemment les médias et le public. Cette lutte va faire basculer la F1 d'un sport de passionnés au grand public.

Ron Dennis, directeur de l'écurie McLaren de 1980 à 2009, Auto Hebdo hors-série consacré à Ayrton Senna (2014) :

Ils réglaient désormais leurs différents par médias interposés. Ils donnaient des informations à leur presse nationale, informations qui étaient reprises internationalement. Ils ont utilisés toutes les armes à leur disposition.

Grand prix d'Allemagne de l'ouest, 1988 - Ayrton Senna quitte le podium pendant que Alain Prost termine de célébrer sa seconde place.
Grand prix d'Allemagne de l'ouest, 1988 - Ayrton Senna quitte le podium pendant que Alain Prost termine de célébrer sa seconde place.
© Getty - Pascal Rondeau

Pour sa dernière saison, le Professeur joue la sécurité et la stratégie qui lui apporte sept victoires. Chaque point comptera le jour du sacre. Senna, lui, laisse parler la fougue. En Angleterre, sous la pluie, il livre une des plus belles courses de sa carrière dont un premier tour qualifié littéralement de "tour de dieu"

Un jour, tout change

Le 7 novembre 1993, lors du Grand Prix d'Adélaïde, tout change. 

Alain Prost met un terme à sa carrière sur un quatrième titre de champion du monde sur Williams-Renault. C'est fini. Senna va prendre la place et pouvoir jouer le titre à nouveau contre un certain Michael Schumacher. 

Alors sur le podium, Ayrton qui a gagné la course prend Alain par le bras et le fait monter avec lui sur la plus haute marche.

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"Malheureusement, il y a eu l’accident d’Ayrton après, mais notre histoire était magnifique. Il y a eu un avant Senna dans la F1 qui me regardait, et c’est lui qui me l’a expliqué, comme "le pilote à battre et à abattre". Il y avait une guerre totale. Il fallait qu’il trouve tous les moyens pour me battre. Et puis quand j’ai arrêté, il y a eu une période absolument incroyable jusqu’à sa mort. Il y a eu un rapprochement total, parce qu’il n’a plus tout à fait la même motivation. Il a un peu perdu son objectif". 

"Nous sommes devenus des amis"

"... au point qu’il me racontait des choses incroyables sur sa vie. Ce n’était plus du tout le même Ayrton Senna. Il était alors obnubilé par la sécurité. Il voulait que je m’occupe de l’association des pilotes. Il appelait 3 à 4 fois par semaine pour me demander des conseils sur sa nouvelle équipe (Williams-Renault)".

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Quand Senna a perdu la vie dans la courbe de Tamburello le 1er mai 1994, Alain Prost était consultant pour TF1. La veille, le Brésilien avait enregistré un message pour son "cher ami Alain" qui fut diffusé à l'antenne. 

Le lien entre les deux hommes était plus fort que ce le public ou les médias pouvaient imaginer. Et comme le rappelait Jean-Louis Moncet dans l'Œil du Tigre du 11 septembre 2016, Alain Prost fut le seul pilote à être convié par la famille dans la maison d'Ayrton après l'enterrement.

"Sans cette période-là, je serai sans doute resté sur un sentiment amer. Je lui en aurais voulu de certains épisodes. Mais voilà. Aujourd’hui, dans le monde entier vous ne pouvez pas dire Prost sans dire Senna, et Senna sans dire Prost." 

Podium d'Adélaïde 13 novembre 1988
Podium d'Adélaïde 13 novembre 1988
© Getty - Greg White/Fairfax Media