Algérie : les démons du passé incitent les Algériens à se faire entendre sans heurts
Par Thibaut Cavaillès
Depuis le 22 février, les Algériens manifestent dans plusieurs villes du pays contre une nouvelle candidature du président Bouteflika à la présidence. Des rassemblements dont le pays n'était plus habitué et que les participants veulent pacifiques, encore traumatisés, pour certains, par la décennie de guerre civile.
La vidéo, touchante, est devenue virale. En pleine manifestation à Alger, un bras, à travers une barrière, tend une fleur à un policier. L’homme casqué, épaulé par d’autres représentants des forces de l’ordre, ne dit rien et accepte la fleur qu’il accroche à son bouclier posé au sol.
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Les youyous de joie que l’on entend sur le court extrait résonnent avec les commentaires sous la vidéo, la plupart pour dire combien ce moment enchante les citoyens.

Une photo qui circule également sur les réseaux sociaux montre un jeune homme, drapeau algérien sur les épaules embrasser un policier présenté comme étant son père. Des images largement commentées, appréciées et qui donnent l’ambiance de ces journées de manifestations contre un cinquième mandat du très affaibli président Abdelaziz Bouteflika. Des rassemblements avec un mot d’ordre : " Silmya" -en français : "pacifique"-, entonné durant les manifestations, et plus particulièrement scandé lorsque s’esquissent des débuts de heurts avec les forces de l’ordre.
Un pacifisme lors des manifestations, voulu et revendiqué
"Toute la population algérienne est catégorique sur ce point : elle veut que ces manifestations restent pacifiques, nous raconte depuis Tizi Ouzou, à l’est d’Alger, Missibsa, jeune étudiant en finances. Nous ne voulons pas que ces manifestations soient reprises par quiconque pourrait utiliser la haine et la casse. "
Missibsa n’a que 20 ans. Il est né après la Décennie noire, cette phase de guerre civile durant laquelle, par le biais d’attentats, les islamistes ont protesté contre les autorités qui ne souhaitaient pas les voir s’installer au pouvoir. Entre 1991 et 2002, cette période qui hante encore les esprits, a coûté la vie à 150 000 personnes selon plusieurs estimations. Missibsa incarne peut-être l’esquisse de changement constatée par de nombreux observateurs
"Cette manifestation du 22 février a surpris tout le monde parce que jusqu’à peu, l’Algérie était marquée par une certaine faiblesse des manifestations politiques" analyse l’enseignant chercheur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, Massensen Cherbi.
Une faiblesse qui peut s’expliquer par le douloureux passé du pays en matière de contestation ces trente dernières années.
Octobre 1988, des manifestations contre le pouvoir dégénèrent et s’étalent sur plusieurs jours. Bilan : près de 500 morts dans des répressions policières. "Après ces contestations, le pouvoir a accepté de s’ouvrir démocratiquement, mais la décennie qui a suivi a éloigné les Algériens de la politique" explique le chercheur.
Depuis, les Algériens ne veulent plus de sang
Et pendant longtemps ont préféré intérioriser leur colère. Même quand le voisin tunisien se soulevait, en décembre 2010 et janvier 2011 pour s’émanciper du dictateur Ben Ali.
Quelques rassemblements ont bien été organisés entre 2011 et 2014 mais à chaque fois la présence policière y était trop importante pour espérer un quelconque changement.
Mais la donne donc est en train de changer. "Les jeunes qui sont depuis peu majeurs n’ont pas connu la Décennie noire, explique Massensen Cherbi. Son spectre devient de plus en plus lointain d’autant que 45% de la population algérienne a moins de 25 ans et du coup n’est pas épouvantée par le souvenir de cette période."

Les Algériens sont également poussés à sortir par la situation économique qui s'est détériorée depuis plusieurs années. Elle est aujourd’hui au plus mal, avec des cours du baril de pétrole -dont l’Algérie est un important pays producteur- qui se sont effondrés. Le ras-le-bol provoqué par cette crise économique et l’annonce de la candidature à la présidence d’un homme dont le dernier son de voix a été entendu en 2012, devenu impotent après un AVC en 2013, poussent donc les gens, et particulièrement les jeunes, à renouer avec la contestation. Mais, encore une fois, de façon pacifique. "En raison de ce que l’on voit en Egypte, Syrie, Irak, il s’agit d’éviter toute violence de part et d’autre, estime Massensen Cherbi. L’expérience des années 90’ est également un repoussoir".
Depuis le début de ces manifestations, les autorités ne les interdisent pas, trop nombreuses dans tout le pays de toute façon pour pouvoir les juguler. Hormis quelques tirs de gaz lacrymogènes et des arrestations de quelques heures, l'attitude policière tranche avec la dureté du régime algérien. Le premier ministre Ahmed Ouyahia rappelait lundi dernier devant les députés algériens que la constitution autorisait le droit de manifester "pacifiquement et dans le cadre de la loi."
C'est comme tirer sur ses propres enfants !
Massensen Cherbi, chercheur spécialiste de l'Algérie
Vu l’ampleur du mouvement et le fait qu’il rassemble toutes les classes de la population, des gens de tous âges et de tout le pays, sans récupération partisane, les forces de l’ordre n’ont de toute façon pas intérêt à réprimer. "Maintenant que toute la population algérienne, d’est en ouest, du nord au sud est dans la rue, explique Massensen Cherbi, pour un policier tirer sur la foule c’est comme tirer sur ses propres enfants, sur ses frères, ses cousins, ses parents !"
Et de tels agissements seraient de toute façon filmés, diffusés et relayés grâce à Internet et aux réseaux sociaux dont sont friands les Algériens équipés de smartphones devenus financièrement abordables. Les autorités ainsi ne peuvent plus agir sans être scrutées par le monde entier. À moins d’opérer des coupures d’Internet comme -selon les témoignages des internautes confirmés par l'ONG internationale Netblocks- elles ont pu le faire la semaine passée avant et pendant la première manifestation.
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