Ali Riza Polat, le principal accusé : "Je veux pas aller en taule pour ce que j'ai pas fait !"

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Ali Riza Polat, le principal accusé : "Je veux pas aller en taule pour ce que j'ai pas fait !"

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Ali Riza Polat, le principal accusé, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité
Ali Riza Polat, le principal accusé, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité
© Radio France - Matthieu Boucheron

Jour 41, au procès des attentats de janvier 2015 - Aujourd'hui a commencé l'interrogatoire d'Ali Riza Polat, le principal accusé, le seul des onze présents à encourir la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité des crimes terroristes de son ami Amedy Coulibaly, mais aussi des attentats des frères Kouachi.

Ali Riza Polat, le cheveu brun et ras, masque de papier ficelé sur son visage joufflu, épaules carrées dans sa large chemise blanche, est assis dans un coin de box en attendant que retentisse la sonnerie ouvrant ce 41e jour d'audience, celui de son interrogatoire sur les faits. Il est un peu plus de 9 heures 30, la cour d'assises spécialement composée fait son entrée et Me Coutant-Peyre, l'avocate d' Ali Riza Polat, est la première à demander la parole. Elle tient à dénoncer par avance cet interrogatoire qui lui semble ne pas respecter totalement la présomption d'innocence, parle de "trous dans la raquette" de la part de DGSI, et regrette une audition manquante. Puis l'avocate rappelle qu'on n'a toujours pas retrouvé son cahier de notes disparu le mois dernier, et elle se désole parce que son cahier à spirales va lui manquer pour défendre son client, l'accusé volcanique, celui qui risque la plus lourde peine, la réclusion criminelle pour complicité de crimes terroristes.

Complice présumé des trois terroristes

Le président Régis de Jorna prévient Ali Riza Polat qu'il va lui falloir faire des efforts pour garder son calme et ne plus proférer des menaces comme il a pu le faire contre une enquêtrice antiterroriste venue à la barre il y a une dizaine de jours. "C'est pas des menaces, monsieur !" "Bon !", enchaîne le président qui explique à Polat que l'interrogatoire va durer deux jours, sur les liens avec Amedy Coulibaly, sur les déplacements en Belgique, la tentative de fuite en Syrie après les attentats. Et le président de la cour d'assises spécialement composée rappelle que Polat est jugé pour avoir été le complice présumé des crimes terroristes commis par Coulibaly les 8 et 9 janvier 2015, mais aussi ceux commis le 7 janvier 2015 par les frères Saïd et Chérif Kouachi. Et Régis de Jorna énumère la longue liste des victimes de ces attentats : dix-sept morts, mais aussi plusieurs blessés graves, et des survivants encore traumatisés par ce qu'ils ont vécu, cinq ans après. Dans son box, Ali Riza Polat écoute, les mains jointes sur la petite barre de bois face à lui. "Ben, je comprends pas. La juge P. avait besoin d'un bouc émissaire. J'ai fait tout ça sans connaître les frères Kouachi ?" s'étonne-t-il. 

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"Le 7, 8, 9 janvier, j'étais chez moi. J'ai fait tout ça sans laisser une empreinte ?", fanfaronne Ali Riza Polat. "Maintenant, la personne qui a fourni les armes, c'est Claude Hermant, c'est votre travail d'enquêteur de retracer !" Hermant est le trafiquant d'armes notoirement connu à Lille qui remilitarisait des armes venues de l'étranger dans l'arrière-boutique de sa friterie, avec une étiquette d'indicateur des gendarmes. Hermant a été jugé devant un tribunal correctionnel lillois pour ce trafic-là, mais pas devant cette cour d'assises, même si des armes qui ont atterri dans l'arsenal d'Amedy Coulibaly viennent de lui. Et Claude Hermant a été convoqué ici comme témoin, libre, à la barre devant Polat qui, comme tous les accusés et de nombreuses parties civiles, en avait été choqué.

"Vous voulez absolument un coupable, mais ça va pas être moi ! Je veux pas aller en taule pour ce que j'ai pas fait ! "

"Moi, j’ai rien à faire dans le terrorisme, je me suis jamais levé un matin pour tuer quelqu’un !", commence à s'énerver Ali Riza Polat, qui ne sera pas resté calme très longtemps. "Vous voulez absolument un coupable, mais ça va pas être moi ! Je comprends pas comment on peut en arriver là", crie-t-il. Et il ne s'arrête plus de crier, d'une voix forte et décuplée par le micro et la colère : "Les attentats, j'étais vraiment pas au courant. J'ai été au courant le 9 janvier. Moi, j'ai rien à voir pour de vrai". Le président demande à Ali Riza Polat de raconter comment il a rencontré Amedy Coulibaly.  "Je l'ai connu en 2007, on a accroché direct, c'était un bandit, je suis un bandit, il faisait ses magouilles, je faisais mes magouilles". Et Polat, sans filtre, devient intarissable sur son trafic de stupéfiants qui l'a conduit une première fois en prison en 2012 : "Je ramenais de la cocaïne, de l'héroïne, ça marchait très bien pour moi". Il se vante de cette poudre blanche qu'il rapportait du Liban notamment, et qui un jour lui aurait rapporté le pactole de 50 000 euros. "C'est pas pour me la raconter, Monsieur !", s'enorgueillit Polat face au président de la cour. Et de répéter encore et encore, ce qu'il a déjà dit plusieurs fois depuis le début de ce procès : son but dans la vie, c'est de faire de l'argent. 

Le président évoque cette dette de 15 000 euros que Polat avait auprès de Coulibaly, précisément pour une vieille histoire de stup. Le magistrat s'étonne qu'avec les 50 000 euros de son trafic, Polat n'ait pu rembourser son ami de Grigny. Coulibaly "était à Villepinte", la prison_, "j'avais pas son téléphone"_, rétorque Polat. Et du coup, cet argent, il l'a finalement claqué dans la location de Ferrari et de Lamborghini pour le mariage de sa sœur auquel il n'a finalement pas pu assister, car lui aussi s'est retrouvé incarcéré ! À la sortie de prison en 2013, Polat dit qu'il a arrêté les stup et s'est lancé dans les escroqueries. Coulibaly le retrouve en 2014, une fois libéré de Villepinte. C'était un matin, "j'avais mon bracelet, je jouais au foot" raconte Polat, et Coulibaly lui aurait alors réclamé cette vieille dette. La théorie de la dette est une hypothèse à laquelle les enquêteurs ont d'abord fermement crû. À cause de cette dette et de ces escroqueries, Polat serait ainsi allé jusque dans le garage crasseux de l'accusé belge Metin Karasular pour revendre la Mini-Cooper achetée 27 000 euros pour Hayat Boumeddiene, la fiancée d'Amedy Coulibaly ; l'escroquerie a rapporté une somme utile aux attentats de janvier 2015, selon les juges d'instruction. Mais dans son box, Polat nie avoir eu la moindre connaissance des attentats qui se préparaient. Le président veut savoir pourquoi Polat est retourné en Belgique le 9 janvier 2015 alors que Coulibaly était à l'intérieur de l'Hyper Cacher ? Polat affirme qu'il est allé chercher le reliquat d'argent de la Mini qui n'avait pas été donné comme prévu par la bande de Karasular. Un argent pour fuir ? 

La mère et le petit frère d'Ali Riza Polat venus le soutenir à la barre
La mère et le petit frère d'Ali Riza Polat venus le soutenir à la barre
© Radio France - Matthieu Boucheron

"Mac Gyver" ou "Les Pieds Nickelés" ?

Ali Riza Polat essaye de faire entendre à la cour sa logique d'escroc. Il dit qu'il avait encore des escroqueries en plan, et tente d'expliquer que les attentats foutaient par terre ces plans-là. Le 9 janvier, "quand t’allumes la télé, tu vois qu'ils sont en train de tuer des gens, cette dinguerie, mon cerveau, il disjoncte !", hurle Polat. C'est pourquoi il est aussitôt allé chercher de l'argent en Belgique. Puis il a tenté de fuir, loin, juste après. Par peur, dit-il. D'abord un décollage pour le Liban, pays qu'il connaît bien et où il cherche à se marier, assure-t-il. Mais l'amoureuse convoitée étant elle-même mariée à un autre, il s'est finalement rendu à la frontière libano-syrienne. Pas pour rejoindre Daech, à l'en croire ! Polat déclare que l'idée de la Syrie lui est venue en regardant la télé au Liban, sur France 24, où il avait entendu que les relations diplomatiques étaient rompues entre Damas et la France. Et il aurait tenté de rejoindre Damas, les Chiites, Bachar El Assad, juste pour être mieux protégé, assure-t-il. De toute façon, "chez l'État islamique, je fais même pas trente minutes, ils vont me tuer, je veux pas vivre sous la charia", prétend Polat. Polat qui est ensuite revenu en France, puis en Belgique, puis s'est envolé pour Phuket en Thaïlande, où il n'est resté que trois jours en ce mois de janvier 2015.  Une fuite "saccadée", résume le président de la cour, qui ne comprend vraiment pas la logique de Polat. "Je veux pas aller en taule pour ce que j’ai pas fait !" lui explique l'accusé. Il ajoute d'un air résigné et désespéré : "Mais je sais que je vais y aller ! Mais je vais pas me rendre ! Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, regardez la preuve !" Et Polat dit qu'il n'y a aucune preuve. "On me reproche d'avoir transporté des armes que j'ai jamais vues de ma vie !" Il se permet d'ironiser. "Avec l’accusation, avant les attentats, je suis extrêmement fort, et après, une fois que ça part en couille, je deviens abruti avec mon passeport !" Il dit qu'il n'a pas pu être Mac Gyver avant le 9 janvier 2015 et Les Pieds Nickelés après. 

Sa mère et son petit frère sont venus le soutenir à la barre. Sa mère, jean slim, chemisier décolleté, veste claire, accompagnée d'une traductrice qui ne lui a finalement presque pas servi, car cette mère Kurde, a appris le français pour ses enfants à son arrivée en France il y a plus de trente ans. La mère Polat a refusé de dire que son fils l'aurait traitée de mécréante, même si ce mot a été retranscrit par les policiers sur une écoute téléphonique. Elle concède juste qu'elle n'était pas d'accord avec sa conversion à l'islam, encore moins à l'islam radical, elle qui est une Kurde Alevi croit "au Bon Dieu mais pas aux religions". La mère envoie un baiser à son fils, à travers le masque, et elle résume sa pensée de mère aimante : au parloir, "il m'a regardée droit dans les yeux : maman j'ai rien fait". Elle affirme qu'elle l'a cru. Le petit frère, lui, déclare à la barre : "Mon frère, il vend pas d'armes, sinon, il serait parti, il est pas teubé ! Mon frère, il faisait des escroqueries, il est pas radicalisé comme vous dites !" Demain, l'interrogatoire d'Ali Riza Polat se poursuivra et mettra peut-être en lumière un autre visage de l'accusé volubile, qui sera notamment questionné sur la téléphonie et ses lignes dédiées qui l'ont relié à Amedy Coulibaly jusqu'au 7 janvier 2015. "La vérité, elle est souterraine, mais on va tenter de faire sortir tout ce qui est souterrain" lance Polat, dans son flot de paroles, dont on ne sait lesquelles sonnent vrai ou faux.