Anne Diana Clain, condamnée à neuf ans de prison : "J'ai gâché la vie de mes enfants à cause de mes frères"
Par Sophie ParmentierLe tribunal correctionnel de Paris a condamné Anne Diana Clain à neuf ans de prison, et son époux, Mohamed Amri, à dix ans, et une interdiction définitive de territoire français. Ils ont été jugés coupables d'avoir voulu emmener quatre de leurs enfants en Syrie entre l'été 2015 et l'été 2016. Avec "détermination".
Anne Diana Clain avait attaché en queue-de-cheval ses longs cheveux blonds, quand elle est entrée dans le box des prévenus, pour le deuxième et dernier jour de son procès devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Comme au premier jour, plusieurs policiers et gendarmes cagoulés de noir, autour d’elle, ce qui est assez rare ici. A côté d’elle, son époux, et co-prévenu, Mohamed Amri, qui comparaît comme elle pour avoir tenté de rejoindre la Syrie en août 2015, avec quatre de leurs enfants, âgés de 8 à 15 ans.
Anne Diana Clain, influençable et généreuse, selon les psys
La présidente les a moins longuement interrogés qu’hier. Elle les a surtout fait réagir aux enquêtes de personnalité établies par des psychologues en détention provisoire. Pour Mohamed Amri, les psys ont noté qu’il pouvait être "autoritaire", en "errance", et qu’il était un "croyant pratiquant pacifique, contre le djihad violent." Pour Anne Diana Clain, les psys ont défini une personnalité "influençable, plutôt généreuse, avec un besoin de reconnaissance. Ils estiment qu’elle a un "idéal romantique adolescent". Et qu’elle n’est "pas solidaire de ses frères pour qui elle garde néanmoins une certaine affection."
"J’ai été triste d'apprendre leur mort, et ça a été un choc de réaliser que mes frères étaient vraiment des terroristes", dit Anne Diana Clain
Le principal avocat d’Anne Diana Clain, Martin Desrues, lui demande de raconter au tribunal comment elle a appris la mort de ses deux frères, qui avaient enregistré la revendication des attentats du 13 novembre 2015, et étaient alors devenus parmi les pires ennemis de la France. Ils ont été tués en février 2019, dans l’un des derniers réduits de l’Etat islamique, par une frappe de la coalition internationale. Anne Diana Clain a appris la mort de Fabien Clain à la télé. Puis celle de Jean-Michel (qui avait été blessé), plus tard, chez un juge. "J’ai été triste et ça a été un choc de réaliser que mes frères étaient vraiment des terroristes", dit-elle. Longtemps, elle a pensé qu’ils étaient "innocents", malgré leur statut de cadre de l’Etat islamique à Raqqa.
La présidente lit des propos qu’Anne Diana Clain avait déclarés, après la mort de ses frères. "Je suis triste de la fin, de la mort, j’ai gâché la vie de tous mes enfants à cause des idées de mes frères". Dans une lettre à son époux, en détention, elle avait écrit : "les enfants ont besoin d’amour. Même dans cette situation, il y a du bon à tirer. C’est nous qui nous sommes mis dans cette situation. Il faut recoller les morceaux".
"Ce n'est pas le procès des frères Clain" assure la procureure
La procureure prend la parole. Et commence par dire que "ce n’est pas le procès des frères Clain". Elle précise d’ailleurs qu’Anna Diana Clain et Mohamed Amri auraient pu être poursuivis devant une cour d’assises spéciale, leur départ vers la Syrie ayant eu lieu après les attentats de janvier 2015. Depuis cette date, la justice estime qu’un simple départ vers Raqqa pouvait devenir criminel, et plus seulement une association de malfaiteurs terroriste. Dans leur cas, c’est resté un délit. Pas de sévérité excessive parce qu’ils s’appellent Clain, sous-entend la procureure. Mais elle veut parler de cette famille, et plus largement du "clan Clain, avec trois générations de djihadistes", autour d’Artigat et de l’émir blanc Olivier Corel.
"Comment croire que votre départ vers la Syrie est déconnecté de l'Etat islamique et des attentats terroristes ?" clame la procureure
La procureure évoque le rôle de Mohamed Amri dans cette "saga familiale". Son rôle de référent religieux. C’est lui qui a donné envie aux Clain de se convertir à l’islam. Lui qui a organisé le départ vers la Syrie, pour sa femme, et leurs enfants. "Comment croire que ce départ est déconnecté des attentats terroristes ?" clame la procureure. Pour elle, "c’est impossible". Pour elle, ce projet est certes "avorté" mais "réfléchi". C’était un projet de "vie famiale", "définitif", sous Daech. La procureure souligne qu’après avoir été refoulés à une première frontière, ils se sont "terrés pendant neuf mois en Bulgarie, sans jamais rebrousser chemin".
Pour la procureure, Anne Diana Clain et Mohamed Amri sont dangereux. Alors, elle requiert à leur encontre la même peine, maximale devant ce tribunal correctionnel : dix ans de prison. "Ce n’est pas cohérent pour des gens qui n’ont jamais mis les pieds en Syrie !" plaide maître Xavier Nogueras, l’un des avocats d’Anne Diana Clain. Maître Martin Desrues, avocat principal, qui a vu sa cliente vingt-cinq fois en détention, assure qu’elle "incarne l’espoir de la famille Clain, elle qui aime ses enfants". Les avocats demandent une peine moins lourde pour la sœur aînée des frères Clain.
Anne Diana Clain condamnée à 9 ans de prison, son époux à 10 ans, pour un "périple mortifère" vers la Syrie avec leurs enfants
Mais au bout d’une grosse heure de délibéré, le jugement tombe. Dix ans de prison pour Mohamed Amri et une interdiction définitive de territoire français. Neuf ans de prison pour Anne Diana Clain, avec un suivi socio-judiciaire de trois ans. "Votre projet n’a échoué que par votre arrestation en Turquie, jamais vous n’avez renoncé" se justifie le tribunal. "Au contraire, vous avez entraîné vos enfants dans ce périple mortifère", gronde la juge. Au fond de la salle, les quatre enfants qui avaient été emmenés dans ce voyage, fondent en larmes. Les éducateurs et les psychologues qui prennent aujourd’hui soin d’eux tentent de les réconforter. Ils les avaient préparé à entendre un jugement sévère. Mais les larmes coulent longtemps sur les joues des adolescents.