Anouar Joumaa, député libanais : "Les sanctions américaines renforcent le Hezbollah !"
Par Christian Chesnot
Anouar Joumaa est un ancien journaliste et documentariste à la télévision Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. Depuis 2018, il député du parti chiite pro-iranien pour la circonscription de Zahlé, au cœur de la région de la Bekaa, au Liban.
FRANCE INTER : Le Hezbollah est un mouvement à la fois politique et militaire. Est-ce un parti comme les autres ?
ANOUAR JOUMAA : "Pour répondre à cette question, il faut d’abord se demander : "Pourquoi le Hezbollah ?" Le Hezbollah, parti de Dieu. C’est un terme coranique. Tout le monde peut être Hezbollah. Le Hezbollah, c’est la foi, c’est une croyance.
Les gens, au Sud-Liban surtout, parce qu’il y a eu une occupation, ont subi pendant des décennies l’agression israélienne. Les Israéliens osaient tout. Ils disaient même : "Nous pouvons envahir le Liban avec un orchestre."
Les gens ont donc beaucoup souffert. Tout le monde le sait. Donc l’idée du Hezbollah est venue des gens eux-mêmes, avec l’aide de dignitaires religieux."
L’Iran a aussi soutenu la création du Hezbollah dans les années 1982-1983…
"Oui, c’est vrai, l’Iran a aidé avec la révolution islamique. L’imam Khomeïni est intervenu en tant que guide spirituel. Au début, il a encouragé spirituellement le Hezbollah. Il y a eu aussi le soutien de Pasdaran, les gardiens de la révolution [iranienne, ndlr].
Aujourd’hui, ce n’est pas un secret, Hassan Nasrallah, notre secrétaire général, l’a ouvertement dit : nous recevons de l’argent de la part de l’Iran."
Mais le Hezbollah est surtout le seul parti politique libanais à posséder encore des armes lourdes…
"C’est un cas. Personne n’a aidé les Libanais à reconquérir leurs terres occupées dans le Sud. La résistance s’est contentée de résister, de faire sortir l’occupant. Ces armes n’ont jamais été utilisées à l’intérieur du Liban.
Le Liban est impuissant face à l’énorme force militaire d’Israël. Vous voyez, les chasseurs-bombardiers israéliens continuent de se promener dans le ciel du Liban. Toujours. Le pays est désarmé. On ne peut pas par exemple acheter des MIG à la Russie. C’est interdit. Les États-Unis nous interdisent d’acheter des avions pour nous protéger."
En ce moment, vous subissez, ainsi que votre allié iranien, la pression des États-Unis, notamment sur les plans économique et financier. Vous pensez tenir longtemps ?
"Vous savez, le Hezbollah n’a pas de comptes en banque. C’est bien connu. Nous avons du dollar. En liquide. En exerçant ces pressions financières, vous mettez en difficulté tous les Libanais. Ce n’est pas le Hezbollah qui est perdant. C’est lui le gagnant.
Vous faites s’effondrer les institutions libanaises. Qui va les remplacer ? Le gouvernement ? L'Etat ? Le Hezbollah est plus fort.
Mais les Américains persistent dans cette ligne."
On vous reproche aussi les interventions militaires du Hezbollah à l’extérieur du Liban, notamment en Syrie…
"Daesh [groupe État islamique au Levant] et Al-Nousra [groupe salafiste affilié à al-Qaeda] ont commis des attentats suicides contre des Libanais. On a tout fait pour arrêter cette vague de violence contre nous. Ils ont commencé à tuer les gens à tort et à travers. Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on devait se contenter d’être la cible permanente de ces gens-là ? On a décidé d’aller chez eux en Syrie. Parce qu’ils venaient de là-bas. C’était la seule solution. Vous vous souvenez de ce que disait le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah : "Là où nous devons être, nous y serons !""
Dans la crise qui secoue le Liban, que demande le Hezbollah ?
"Nous demandons la stabilité politique et la stabilité sociale. Le Liban doit reprendre son souffle. Il faut réactiver les institutions de l’État, travailler sur la réforme du système judiciaire, financier, et même sécuritaire. Nous sommes avec tout ce qui aide à la renaissance de ce pays. Nous sommes pour la lutte contre la corruption, le gaspillage de l’argent public, ces deux maux qui nous tuent…
Vous savez, chaque année, le Liban débourse 2 milliards de dollars pour l’électricité… et malgré cela, il n’y a pas de courant ! Il faut stopper le gaspillage et la corruption."